Le coup de gueule a été entendu. Un mois après avoir écrit à Bruno Le Maire puis regretté, lors de ses vœux, que « le cadre du dialogue ne soit pas satisfaisant avec Bercy » et même « quasiment au point mort », le président (LR) des Intercommunalités de France a été reçu par le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. En compagnie de son président délégué (PS) Sébastien Miossec, Sébastien Martin est venu présenter leur contribution de dix-huit pages au projet de loi sur l'industrie verte.
Ce texte gouvernemental annoncé début janvier par le locataire de Bercy a vocation « à accélérer les processus d'autorisation des nouveaux sites industriels, à favoriser la commande publique nationale, à financer l'innovation industrielle avec France 2030, à réorienter l'épargne et à créer un environnement fiscal plus attractif pour l'industrie verte ». Il devrait arriver en Conseil des ministres en juin prochain et au Parlement dans la foulée.
Sous la houlette du président Renaissance de la commission des affaires économiques, Guillaume Kasbarian, cinq groupes de travail ont été constitués : « Transformer la fiscalité pour faire grandir l'industrie verte », « ouvrir des usines, réhabiliter des friches, mettre à disposition des terrains », « produire, commander, acheter en France », « financer l'industrie verte en France » et « former aux métiers de l'industrie verte ». Ils sont co-pilotés par un député de la majorité accompagné d'un chef d'entreprise ou d'un maire président d'un établissement public.
Les élus locaux et Bercy enfin sur la même longueur d'onde ?
Sauf qu'initialement, les présidents d'intercommunalité n'avaient pas été associés à la démarche, malgré leur compétence de développement économique et en dépit du co-pilotage avec l'Etat du programme « Territoires d'industrie ». En janvier 2023, la ministre des Collectivités territoriales affirmait que plus de 2 milliards d'euros étaient engagés dans près de 542 intercommunalités. Ces dernières soutiennent également le programme d'investissement « France 2030 » lancé par le président Macron à l'automne 2021.
Désormais, les élus locaux et Bercy semblent sur la même longueur d'onde. Lors d'un brief téléphonique organisé le 22 février dernier, le ministère de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a, principalement, communiqué sur « un choc de simplification sur l'autorisation et l'extension des usines ».
« Dans les faits, il faut en moyenne 18 mois en France contre 9 mois en Allemagne », précisait-on à la demande de La Tribune, promettant « un travail managérial et culturel à faire en interne dans tout l'appareil d'Etat pour aller le plus vite possible ».
Un processus dans le viseur de l'exécutif et des élus locaux
Bercy reconnaissait encore l'écueil d'une procédure dite « en série », avec plusieurs intervenants : l'administration, l'enquête publique... et affirmait réfléchir « à la meilleure manière de préserver l'aspect environnemental [du processus] tout en simplifiant, en accélérant et même en approfondissant cette dimension ». « Nous prenons chaque brique et nous regardons ce qui peut être optimisé », insistait-on.
Ce processus est également dans le viseur des intercommunalités. Selon nos informations, elles appellent en effet à « massifier le dispositif des sites ''clés en main'' et le transformer en ''parcours de montée en disponibilité et en gamme des sites'' ». Autrement dit, le chef d'entreprise, qui veut s'installer, n'aura plus qu'à déposer un permis de construire et se mettre en conformité avec la norme ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement, Ndlr) qui régule les implantations pouvant avoir des risques et présenter des dangers.
En vue de l'objectif de zéro artificialisation nette des sols (ZAN), « l'enjeu de la maîtrise du foncier est déterminant. La collectivité en garde la propriété ; l'argent de l'entreprise est, lui, investi dans les bâtiments, les machines ou encore les procédés », justifie une porte-parole de l'association d'élus, qui plaide aussi pour l'émergence d'offices fonciers industriels afin de sanctuariser le foncier productif. Ces foncières mobiliseraient les fonds de la Caisse des dépôts, qui le fait déjà dans la revitalisation des petites et moyennes villes.
Rapprocher les centres de formation et de production
Au chapitre formation, les intercommunalités poussent à la création d'« académies industrielles » et à de « campus industriels » dans les villes moyennes en articulant «Territoires d'industrie » et « Action Cœur de ville », ce programme de redynamisation des communes inférieures à 100.000 habitants, notamment pour « autour de projet de réhabilitation de friches industrielles historiques ».
« Tous les centres de formation sont dans les métropoles, alors que l'industrie se situe à 70% en dehors des grandes villes. Il faut rapprocher les lieux de formation et les centres de production en créant des réseaux sociaux locaux », exhorte cette même source.
Au volet « produire, commander et acheter » en France, les intercommunalités, fidèles à la ligne déjà adoptée pendant l'examen de la loi « Climat & Résilience », appellent, notamment, à « aider » les administrations territoriales à intégrer des critères environnementaux dans la commande publique, ou encore à « mieux faire connaître » les possibilités ouvertes par les achats publics dans le domaine de l'innovation.
Une créativité financière et fiscale
En termes de financement, l'association d'élus recommande de soutenir la création de dispositifs assurantiels, de fonds ou de provisions pour la dépollution et l'aménagement des sols « pour concrétiser le principe de pollueur-payeur » et d'impulser une filière nationale pour baisser le coût des fouilles archéologiques et études environnementales.
Autre piste : la création d'un livret d'épargne « dédié au financement des projets industriels verts » que chacun - collectivité territoriale comme citoyen - pourrait venir abonder. Une idée qui n'est pas sans rappeler celle d'Eric Woerth, alors président (LR) de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, qui suggérait, en plein confinement, de créer un « livret C » comme coronavirus pour orienter l'épargne vers un plan d'investissement.
En réalité, c'est en matière fiscale que les intercommunalités sont les plus créatifs - quitte à rivaliser avec l'administration centrale dont c'est la spécialité -. Les édiles proposent ainsi d'acter un partage « obligatoire » de la taxe d'aménagement entre communes et intercommunalités dans le but de « mieux répartir » les ressources. Tout comme ils défendent une taxation de la vacance des locaux industriels.
Il n'y a plus aucun temps de perdre
Ultime proposition : « conserver un lien entre dynamisme industriel et fiscalité ». Leur exigence : des critères de territorialisation de la fraction de TVA remplaçant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE- supprimée par le chef de l'Etat) prenant en compte la création d'emplois industriels. D'autant que dès leur congrès d'octobre 2022, la Première ministre Elisabeth Borne avait fait savoir que « cette dynamique de TVA ira[it] aux territoires accueillant l'activité économique ».
Autant d'idées sur la table que les intercommunalités vont également pousser auprès des parlementaires missionnés par l'exécutif. Le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire et les élus doivent également se revoir « dans un mois et demi. »
Sauf qu'à l'heure de l'« Inflation Reduction Act », la politique de Joe Biden visant à sponsoriser l'industrie américaine, il n'y a plus aucun temps à perdre pour réindustrialiser le pays...
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