Partage de la valeur : l'avertissement sévère du Conseil d'analyse économique au gouvernement

Les économistes du Conseil d'analyse économique (CAE) ont dressé un bilan mitigé des mécanismes d'intéressement et de primes dans une note dévoilée ce mardi 18 juillet. La récente loi sur le partage de la valeur votée à l'Assemblée doit obliger les entreprises de plus de 11 salariés à mettre en place des mécanismes de participation, d’intéressement ou de prime.
Grégoire Normand
Outre les effets de substitution, les économistes ont également expliqué que ces outils avaient des conséquences « limitées » sur la rémunération des salariés.
Outre les effets de substitution, les économistes ont également expliqué que ces outils avaient des conséquences « limitées » sur la rémunération des salariés. (Crédits : Reuters)

Après le vote à l'Assemblée nationale du projet de loi sur la valeur ajoutée le 29 juin dernier, l'exécutif s'est félicité de l'adoption de ce texte par 112 voix contre 27, avec le soutien du camp présidentiel, de LR, du RN, du PS et du groupe indépendant Liot. Il doit désormais être examiné par le Sénat, à une date encore indéterminée. Les députés LFI et communistes ont voté contre. Les Verts se sont abstenus par « respect » pour « la démocratie sociale », malgré un accord « a minima », selon Eva Sas (EELV). Le texte vise à retranscrire dans la loi l'accord national interprofessionnel (ANI) signé par quatre syndicats sur cinq (la CGT ne l'a pas approuvé).

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L'accord vise à étendre des dispositifs tels que l'intéressement, la participation ou les primes de partage de la valeur (anciennement « prime Macron ») à toutes les entreprises de plus de 11 employés. Il s'agit aussi de développer l'actionnariat salarié. Mais le gouvernement pourrait grincer des dents. Dans une note dévoilée ce mardi 18 juillet, le Conseil d'analyse économique (CAE) a passé au scalpel les différents outils de partage de richesse dans les entreprises.

Résultat, « les mécanismes de partage des profits en France ne servent pas à grand chose dans la répartition de la valeur ajoutée », a taclé le président et économiste du CAE, Camille Landais, lors d'un point presse. Alors que l'inflation des prix alimentaires continue de flamber, cette note devrait raviver les débats sur les conflits de répartition de la richesse à l'intérieur des entreprises. Plus globalement, « la question du partage de la valeur revient dans les débats des pays développés. La part du travail dans le revenu national a baissé tendanciellement depuis 30 ans. Il y a une hausse concomitante du capital», a précisé l'économiste spécialiste des inégalités et de la fiscalité.

De forts effets de substitution

Le premier enseignement important de cette note est que la plupart des dispositifs ont un effet de substitution. « Les dispositifs volontaires de partage de la valeur n'affectent pas les performances des entreprises mais se substituent fortement aux salaires », a poursuivi l'économiste enseignant à la London School of Economics (LSE).  Durant leur présentation, les chercheurs ont notamment pointé les risques de substitution des primes. « La mise en place de ces primes aboutissent à des effets de substitution entre 15% et 40% ( NDLR, par rapport à des hausses de salaires) », a observé Camille Landais, reprenant des chiffres de l'Insee.

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Ces primes sont défendues depuis plusieurs années par la Macronie. En pleine crise des « gilets jaunes » à l'hiver 2018, le gouvernement d'Edouard Philippe avait déjà favorisé les primes pour tenter d'éteindre la colère sociale. Et à l'été 2022, le gouvernement d'Elisabeth Borne a transformé la prime Macron en prime de partage de la valeur.

Pour rappel, ces primes sont exonérées de cotisations et de prélèvements fiscaux. Pour les finances publiques, l'ensemble des dispositifs inscrits dans la loi sur le partage de la valeur ajoutée représenterait un manque à gagner estimé entre 75 et 200 millions d'euros selon l'étude d'impact. L'élargissement de ces outils pourrait ainsi contribuer à creuser les déficits alors que le gouvernement a répété ces dernières semaines qu'il comptait bien redresser les comptes publics.

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Un montant faible rapporté à la valeur ajoutée totale

L'autre résultat frappant de cette note est le poids très limité de tous ces outils dans la valeur ajoutée des entreprises. Sur les quinze dernières années, cette part est restée assez stable autour de 1% malgré les crises économiques successives (2008, 2012 et 2020). « En 2021, 6,9 milliards d'euros ont été versés au titre de la participation, 8,2 milliards au titre de l'intéressement et 2,4 milliards en dispositif d'abondement. Les primes exceptionnelles du pouvoir d'achat ont, elles, représenté 2 milliards d'euros de versements bruts », résument les experts.

En valeur absolue, ces montants semblent conséquents et le gouvernement n'a d'ailleurs pas manqué de communiquer dessus mais ils ont un impact « limité » sur le revenu total des travailleurs. En outre, ces leviers ont avant tout bénéficié aux grandes entreprises. Ce qui pourrait changer avec le nouveau texte de loi.

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Les pistes du CAE pour limiter la substitution

Afin de limiter ces effets de substitution, le Conseil d'analyse économique a formulé plusieurs pistes. « En laissant le libre-choix aux entreprises sur les dispositifs, il y a un fort effet de substitution. Les mécanismes de participation obligatoire favorisent la non substitution », a souligné Camille Landais. Au début des années 90, le gouvernement du Premier ministre Michel Rocard avait réformé la participation obligatoire des entreprises en abaissant le seuil de 100 salariés à 50.

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Après la réforme, la part du revenu des salariés dans la valeur ajoutée totale a augmenté. Mais la participation n'a pas remplacé de possibles hausses de salaires. Les économistes plaident notamment « pour une formule de calcul transparente adossée à la profitabilité de l'entreprise ». Le centre de recherches rattaché à Matignon souligne qu'il existe également bien d'autres politiques publiques pour améliorer la répartition des richesses (politiques d'éducation, de recherche, régulations sur le marché du travail, concurrence). Mais elles doivent être « coordonnées ». Reste à savoir si le gouvernement suivra les préconisations du Conseil d'analyse économique.

Grégoire Normand
Commentaires 2
à écrit le 18/07/2023 à 17:07
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quand l'entreprise va bien OK mais ,comme il n'y a plus de trésorerie, cela rend l'entreprise vulnérable lors d'une crise genre covid ,ukraine, etc

le 19/07/2023 à 14:33
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Sauf erreur, si résultat = 0, participation = 0, non ?

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