
« Le second quinquennat sera écologique ou ne sera pas ». En pleine campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promis en 2022 de passer à la vitesse supérieure sur la transition écologique. Un an après, le gouvernement est attendu au tournant sur sa feuille de route des quatre prochaines années. Pressé par l'accélération du réchauffement climatique, le chef de l'Etat doit fixer le cap de la planification écologique ce lundi après-midi à l'issue d'un conseil en présence de la Première ministre Elisabeth Borne et d'autres poids lourds de l'exécutif.
Initialement prévue au début de l'été, cette présentation a été percutée par les émeutes de fin juin qui ont embrasé les quartiers sensibles. L'objectif pour la France est de baisser les émissions de CO2 de 55% (le plan « Fit for 55 ») d'ici à 2030 par rapport à 1990. « C'est une ambition extrêmement élevée et il faudra une mobilisation de tous les instants pour tenir ces objectifs dans la durée. C'est d'ailleurs bien l'objectif de ce plan, de détailler, année après année, comment nous allons faire sur la voiture, sur l'agriculture pour atteindre nos objectifs », a expliqué l'entourage du président en amont de la réunion de lundi. Autant dire que le défi est immense pour le chef de l'Etat confronté à une pluie de critiques. « Nous avons fait la moitié du chemin », a déclaré le chef de l'Etat dimanche sur TF1 et France Télévision, en indiquant que les émissions de gaz à effet de serre avaient baissé plus vite au cours des cinq dernières années qu'au cours des cinq années précédentes.
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La souveraineté au coeur de la planification
La souveraineté devrait être au coeur des annonces du président de la République. Entre la pandémie mondiale, la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l'énergie, les crises successives ont jeté une lumière crue sur l'extrême dépendance de la France et de l'Europe à l'égard des pays étrangers, et notamment de l'Asie et de la Russie.
Face à ces multiples dépendances, le chef de l'Etat devrait mettre l'accent sur les efforts en matière d'approvisionnements en matériaux critiques ou la construction d'usines de batteries électriques. Mais il devrait aussi insister sur la décarbonation de l'industrie. « Je crois à une écologie à la française, une écologie de progrès », a déclaré Emmanuel Macron. « L'objectif de la planification, ce n'est pas d'opposer les enjeux économiques et les enjeux d'écologie mais bien de réaffirmer que finalement, la souveraineté, c'est l'écologie et l'économie dans une même logique et dans une même dynamique », soulignent ses conseillers. La réduction de cette dépendance à l'étranger devrait permettre de « sortir plus rapidement des énergies fossiles », ajoute l'Elysée.
Conversion à la biomasse des deux dernières centrales à charbon
Emmanuel Macron a annoncé dimanche que la France sortira du charbon d'ici à 2027, en convertissant à la biomasse ses deux dernières centrales, celles de Cordemais (ouest) et Saint-Avold (est). Cette dernière avait fermé début 2022, mais avait de nouveau été sollicitée l'hiver dernier pour sécuriser l'approvisionnement du pays dans un contexte de tension énergétique. Pour Cordemais, un projet de conversion est déjà acté. Le chef de l'Etat a également indiqué que les chaudières à gaz ne seront pas interdites. « On n'interdira pas » l'installation de chaudières à gaz neuves, « parce qu'on ne peut pas laisser nos compatriotes, en particulier dans les zones les plus rurales, sans solution », a-t-il expliqué en plaidant pour « accompagner les ménages pour s'équiper de pompes à chaleur ». Le chef de l'Etat a dans le même temps annoncé un triplement de la production de pompes à chaleur.
« On réindustrialise par l'écologie », a-t-il encore assuré, citant également le cas des véhicules électriques, que la France pourra produire sur son sol (« au moins un million » d'ici la fin du quinquennat, a-t-il assuré).
L'épineuse question du financement
Ce lundi, le chef de l'Etat devrait également aborder l'épineuse question du financement de la transition écologique. À quelques jours de la présentation du budget 2024, les ministres de Bercy finalisent leur texte sur la transition. Les conseillers de l'Elysée ont rappelé les 7 milliards d'euros supplémentaires dédiés à la transition l'an prochain (soit 40 milliards d'euros) et les 3 milliards d'euros de financement pluriannuels au-delà de 2024. « On se réjouit de cette hausse des crédits pour le climat. C'est une hausse assez élevée », a déclaré l'économiste de l'institut de l'économie pour le climat (I4CE) Erwann Kerrand, lors d'un récent point presse. Mais sur cette enveloppe globale, le député (LFI) et patron de la commission des finances à l'Assemblée nationale, Eric Coquerel, s'est interrogé sur la part réelle des nouveaux crédits. « Cette enveloppe va dans le bon sens, estime Emeline Notari, en charge de la fiscalité au Réseau action climat (RAC) interrogé par La Tribune. Mais on ne voit pas ce qu'il y a vraiment de nouveau », a-t-elle ajouté.
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S'agissant des recettes, l'exécutif compte sur les économies à réaliser notamment grâce à la fin progressive du bouclier tarifaire pour financer une partie des investissements pour l'année prochaine. « Pour 2024, la piste des économies est réaliste avec l'extinction des boucliers tarifaires pour faire face à la hausse des tarifs de l'énergie. Mais la piste des économies sera plus difficile pour les années suivantes », a poursuivi Erwan Kerrand. L'exécutif a certes évoqué plusieurs pistes de taxation sur les infrastructures de transport, le gaz ou la baisse des niches fiscales. « Ces pistes seront-elles suffisantes pour les années d'après ? », s'interroge l'expert. Au moment où la Banque centrale européenne (BCE) a encore prévu de durcir sa politique monétaire, l'exécutif dispose de peu de marges de manœuvre pour financer les milliards de la transition.
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Macron face au risque d'embrasement
Rendue nécessaire par la multiplication des catastrophes climatiques, la transition soulève la question explosive du risque d'embrasement. Déjà en 2018, la hausse de la taxe carbone avait mis le feu aux poudres autour des ronds-points partout en France. Des millions de Français vêtus de gilets jaunes avaient manifesté contre la hausse du prix des carburants. A l'époque, Emmanuel Macron avait déminé le terrain en faisant une rallonge budgétaire globale d'environ 20 milliards d'euros.
Dans le contexte de la planification, de nombreux Français seront confrontés à une hausse des dépenses pour rénover leurs logements ou changer de véhicules. Et même si le gouvernement a mis sur la table plusieurs options (leasing à 100 euros pour les voitures électriques, aides à la rénovation, prime de 100 euros pour les automobilistes par an et par voiture) pour limiter les répercussions de ces dépenses sur les plus modestes, la montagne d'investissements à réaliser pourrait être très difficile à surmonter pour des millions de Français.
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L'adaptation, angle mort des débats de la transition
La stratégie d'Emmanuel Macron devrait porter sur les efforts à mener pour chaque secteur économique et aussi la biodiversité. En revanche, l'adaptation au réchauffement pourrait être un angle mort de la planification écologique. Déjà sur l'enveloppe des 7 milliards d'euros, « il n'y pas de chiffrage des besoins sur l'adaptation dans le cadre de la planification écologique », a regretté Erwan Kerrand. L'économiste espère « une hausse des crédits pour la sécurité civile avec les besoins accrus sur les feux de forêt par exemple ou les politiques de gestion du littoral », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024.
L'autre sujet majeur qui risque de passer à la trappe est celui de la sobriété. En 2022, la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine et les déboires de l'industrie nucléaire avaient mis ce sujet sur le devant de la scène. A l'époque, les pouvoirs publics avaient multiplié les appels à réduire la consommation. Reste à savoir si Emmanuel Macron va réitérer cet appel.