
Qui va payer la facture colossale de la transition écologique ? D'après l'économiste Jean Pisani-Ferry, auteur avec Selma Mahfouz d'un rapport sur les incidences économiques de l'action pour le climat publié en mai 2023, il faut dénicher 70 milliards d'euros d'argent public et privé chaque année, soit entre 250 et 300 milliards d'euros d'ici à 2030. Car à cet horizon, la France devra avoir diminué de 55% ses émissions de gaz à effet de serre, et ce, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050.
La Caisse des Dépôts prête à débloquer 20 milliards d'euros
Pour atteindre ces objectifs, tout en veillant à maîtriser les dépenses publiques, le gouvernement a commencé à dévoiler sa méthode. Pas plus tard que le 19 septembre, la Première ministre, Elisabeth Borne, a présenté au Conseil national de la refondation (CNR) les détails d'une enveloppe de 10 milliards d'euros pour la planification écologique.
Dès le budget 2024, présenté en Conseil des ministres le 27 septembre prochain, 7 milliards d'euros seront mis sur la table par l'Etat. Les 3 milliards d'euros restants sont sanctuarisés d'ici à 2027. Le grand pôle financier public, la Caisse des Dépôts et Consignations est, lui, prêt à débloquer 20 milliards d'euros par an sur les cinq prochaines années.
Lors d'un petit-déjeuner organisé ce mercredi 20 septembre par l'Association des journalistes économiques et financiers (AJEF), le directeur général de la CDC, Eric Lombard, a en effet annoncé qu'il pourrait mettre sur la table 100 milliards d'euros pour sauver la planète. Soit un tiers de l'effort financier global calculé par Jean Pisani-Ferry.
400 milliards d'euros d'encours net à fin juillet 2023
La « Caisse », qui gère 60% de l'argent déposé par les Français sur leur Livret A et leur Livret de développement durable et solidaire (LDDS), peut se permettre un tel geste. Et pour cause, elle dispose de ressources abondantes. A fin juillet, le grand pôle financier public totalise 400 milliards d'euros d'encours net, dont 37 milliards d'euros collectés depuis le début de l'année 2023.
Son patron Eric Lombard « échange donc là-dessus avec le gouvernement », mais se targue déjà de financer 20% des nouveaux projets d'énergie renouvelable, le verdissement des transports collectifs, la rénovation thermique des bâtiments publics ou encore la décarbonation de l'industrie. Et ce, notamment via son entité Banque des territoires qui a fêté son cinquième anniversaire en mars dernier.
En réalité, c'est le ministre de l'Economie qui aura le dernier mot, car l'utilisation de ces fonds d'épargne est à sa main. A l'issue du premier comité de Financement de la transition écologique le 12 juillet, Bruno Le Maire ne s'est d'ailleurs pas privé de faire savoir qu'il comptait mobiliser massivement l'épargne privée, dont le Livret de développement durable et solidaire.
A cet égard, le directeur général de la CDC ne juge « pas utile de flécher l'épargne » des Français, rappelant ses priorités : la transformation écologique, l'équité sociale et territoriale et la souveraineté. « Pas un euro [du pôle financier public] ne doit être engagé s'il ne permet pas de lutter contre le dérèglement climatique », a martelé Eric Lombard. A bon entendeur...
Alors qu'EDF s'apprête à attribuer le premier marché de génie civil pour la construction des deux nouveaux réacteurs EPR sur le site de la centrale de Penly (Seine-Maritime), la question du financement du nouveau nucléaire se pose encore. Qui va payer la facture : l'énergéticien ou l'Etat ? Le gouvernement se doit d'arbitrer sur une facture estimée à 51,7 milliards d'euros, voire à plus de 56 milliards en cas de difficulté. Sachant que les 56 réacteurs nucléaires français, fruits du plan Messmer et construits entre le début des années 1970 et le début des années 2000, ont été financés par l'énergéticien, sur ses fonds propres, puis par emprunt, ce schéma est impossible à reproduire aujourd'hui, au regard de l'endettement colossal du groupe, supérieur à 60 milliards d'euros. Pour répondre à ce besoin de financement, l'exécutif pourrait ainsi se tourner du côté de la Caisse des Dépôts. « Quand le modèle économique sera défini, quand la structuration sera connue, nous passerons dans une phase plus active de travail, » déclare aujourd'hui à La Tribune son directeur général Eric Lombard, qui confirme des discussions entre la CDC, la direction générale du Trésor et EDF. Le patron du pôle financier public est prêt à apporter un financement couvrant un tiers des 60 milliards d'euros prévus, soit 20 milliards d'euros sur dix ans, et logiquement 2 milliards chaque année. Soit un sixième des 12 milliards d'euros investis en 2023 pour le logement social. « Notre priorité, c'est le logement social. Les montants demandés par le nouveau nucléaire sont modestes. Pour nous, il n'y a pas de débat entre le financement de ce dernier, le logement social et le financement des collectivités territoriales », insiste Eric Lombard. Du fait de la remontée des taux d'intérêt, les élus locaux se tournent de plus en plus vers la « Caisse », mais il n'y a « pas de risque d'éviction », persiste et signe son patron. La balle est donc dans le camp du gouvernement.Le financement du nouveau nucléaire n'a pas « encore atterri »
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