
« Make our planet great again », Emmanuel Macron était très fier de sa formule en réponse à la décision de l'ancien président Donald Trump de mettre entre parenthèses la signature des Etats-Unis de l'accord de Paris sur le climat. Depuis, l'Amérique de Biden est revenu honorer ses engagements, a même voté le plus grand plan de subvention aux industries vertes avec l'IRA (inflation reduction act)..., la guerre entre la Russie et l'Ukraine a relancé dans le monde la course aux énergies fossiles, pétrole, gaz, et même charbon, tandis que la Chine espère bien envahir le marché automobile européen de ses voitures électriques, industrie dans laquelle elle a pris une longueur d'avance par sa prééminence dans les minerais indispensables à la fabrication de batteries électriques.
C'est dans ce contexte rendu encore plus complexe par la flambée de l'inflation qu'Emmanuel Macron prévoit de faire enfin ce lundi à l'Elysée son « grand soir » sur la planification écologique en France. Reportée à plusieurs reprises, cette intervention du président de la République doit fixer, à l'avant-veille de la présentation du projet de budget pour 2024, le cadre et le calendrier de la transition qui doit conduire les Français à sortir le plus rapidement possible de l'addiction aux énergies fossiles et basculer dans une nouvelle ère industrielle dominée par l'électricité bas voire zéro carbone... Et pour la première fois, il ne s'agit pas de faire des plans sur la comète à la façon du film Don't look up qui a marqué les esprits il y a deux ans par un discours renvoyant les décisions difficiles à 2050... Mais bien de dire ce qui va se passer dès maintenant, entre 2023 et 2030, pour tenir les objectifs climatiques ambitieux de l'Europe, le fameux « fit for 55 » (55% au moins de baisse des émissions avant la fin de l'actuelle décennie par rapport à 1990). Le gouvernement a fait chauffer ses tableurs Excel et sa planification écologique, pilotée depuis Matignon par le SGPE Antoine Pellion, ne manquera pas d'ambitions : transition de la France vers la voiture électrique à coup de bonus écologique, fin progressive des chaudières à gaz, augmentation des capacités de production d'électricité verte ou nucléaire.
Mais le principal défi sera de le faire sans braquer les Français, en agissant de telle sorte de ne pas bloquer tout le processus par une action déraisonnable, politiquement incomprise car socialement injuste et donc mal acceptée. L'exemple de la révolte des Gilets Jaunes au début du premier mandat d'Emmanuel Macron reste marqué au fer rouge dans les esprits et continue de brouiller les messages, comme l'a montré le rocambolesque épisode du flop de l'autorisation de la vente à perte des carburants...
À peine annoncée par Elisabeth Borne, cette drôle d'idée a été aussitôt dézinguée par tous les acteurs de la distribution. Faire baisser les prix de l'essence et du diesel, tout en voulant inciter les ménages et les entreprises à basculer vers les motorisations électriques, comprenne qui pourra. Le signal est d'autant plus incompréhensible qu'en même temps, Bercy dit vouloir faire dans le budget la chasse aux « niches fiscales brunes », comme celles du gazole non routier. Face au mur des réalités, l'Etat a d'ores et déjà renoncé à étendre cette chasse aux transporteurs routiers, alors qu'aucun camion électrique ou à hydrogène ne roule encore.
Ce sont ces injonctions contradictoires permanentes qui empêchent d'être optimistes sur la réussite du plan français de transition écologique. Tant que la fin du mois l'emportera sur la fin du monde, on n'est pas prêt de sauver la planète. L'ONU peut bien crier au loup que l'humanité a ouvert les portes de l'enfer, qui l'écoute quand c'est son propre mode de vie qui est concerné. Pourtant, il y a des signes encourageants : la part de marché des véhicules électriques a dépassé les 20% en Europe en août. Mais aller plus vite et plus loin commence à se heurter au mur des réalités. Le Premier ministre britannique vient d'en tirer les leçons en décidant, contre l'avis des industriels au Royaume-Uni, de reporter de cinq ans à 2035 la date de l'interdiction de la vente de voitures thermiques neuves, le pays du Brexit s'alignant sur le calendrier de l'Union européenne.
Comme un pied de nez au très écolo roi Charles III, qui a appelé à Versailles à un renouveau de « l'Entente cordiale » franco-britannique autour du climat, Rishi Sunak a aussi reporté l'interdiction des chaudières au fioul, à gaz et même à charbon. « Nous n'allons pas sauver la planète en ruinant le peuple britannique » a lancé Suella Bravermann, la ministre de l'Intérieur, pour justifier ce recul en rase campagne. Au plus bas dans les sondages à un an des élections, les conservateurs britanniques semblent faire leur la maxime de Nicolas Sarkozy : affolé par l'impopularité politique des mesures des deux « Grenelle » de l'Environnement, l'ancien chef de l'Etat avait déclaré que « l'écologie, ça commence à bien faire ! » pour calmer la colère des agriculteurs quelques mois avant l'élection présidentielle du printemps 2012. Ce qui ne l'a pas empêché d'être sévèrement battu par François Hollande... Douze ans plus tard, la France a certes fait quelques progrès pour verdir sa politique, mais si la route est droite, la pente est forte, comme aurait dit l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.
Tout le défi pour Emmanuel Macron est de convaincre sans bloquer à nouveau le pays comme avec la taxe carbone. Une vraie gageure alors que les Français n'ont d'yeux que pour le pouvoir d'achat et n'ont pas les moyens de changer de voiture, de rénover leurs logements et a fortiori de changer de chaudière tout cela en même temps, selon la formule consacrée. La messe n'est pas encore dite, mais assistant à celle que prononcera le Pape François au Stade Vélodrome, Emmanuel Macron pourra faire une prière pour réussir sa grand-messe climatique de lundi et que les Français aient foi dans le fait que la planification écologique « va protéger le pouvoir d'achat » comme nous l'assure sa Première ministre. A condition que les prix de l'électricité n'explosent pas au même rythme que celui à la pompe, ce qui n'est pas gagné vu les investissements à financer dans le nucléaire et les énergies renouvelables, on peut toujours mettre un cierge (électrique) à la Bonne-Mère pour que ce miracle se réalise !
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