L'adoption du texte s'est transformé en chemin de croix pour la Macronie. Après quatre journées de débats électriques à l'Assemblée nationale, les députés ont finalement adopté le budget rectificatif pour 2022 dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 juillet par 293 voix pour, 146 contre et 16 abstentions. Le texte dois maintenant passer devant le Sénat.
Le rapporteur du budget Jean-René Cazeneuve (Renaissance) s'est félicité de l'adoption de ce texte. "Après plus de 36 heures de débat, nous venons d'adopter le PLFR 2022. Un texte crucial pour soutenir le pouvoir d'achat des Français : 20 milliards d'euros qui serviront à les aider au quotidien face à l'inflation", a-t-il déclaré sur Twitter dans la nuit. De son côté, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a indiqué que "la nuit a été courte mais elle se solde par une vraie avancée pour les Français : le projet de loi de finances rectificative a été adopté à une large majorité à l'Assemblée nationale. Ce texte va protéger les Français contre l'inflation."
L'indice des prix à la consommation propulsé par la flambée des coûts de l'énergie, des matières premières et de l'alimentaire pourrait s'établir à 5,5% sur l'ensemble de l'année, selon l'Insee, après 1,6% en 2021. En parallèle, l'économie française devrait marquer le pas en 2022 et 2023. Dans ses dernières projections, le Fonds monétaire international (FMI) a révisé ses chiffres de croissance pour la France à la baisse à 2,3% en 2022 et 1% en 2023. Cette conjoncture médiocre continue de peser sur le moral des ménages qui a atteint un plus bas depuis 2014. Alors que le ministre de l'Economie ne cessait de répéter pendant la campagne présidentielle que l'économie tricolore se portait bien, les indicateurs passent au rouge les uns après les autres.
Dans ce contexte morose, la pression monte sur l'exécutif, privé de majorité absolue à l'Assemblée nationale. Cette première séquence budgétaire en forme de stress-test pour la Macronie a donné lieu à des passes d'armes particulièrement virulentes dans un hémicycle habitué aux votes à la majorité absolue durant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron. "C'est un bilan en demi-teinte", juge le chercheur au CNRS et spécialiste de la vie politique hexagonale Bruno Cautrès interrogé par La Tribune. Sur un dossier à haute valeur symbolique, le gouvernement a tout de même réussi à faire voter ces deux textes sur le pouvoir d'achat. En revanche, les oppositions ont réussi à montrer qu'elles avaient une vraie capacité de nuisance", ajoute le politologue.
En outre, ce sujet sur le pouvoir d'achat "est plutôt consensuel. Les réformes comme les retraites vont être beaucoup plus difficiles surtout dans un contexte économique difficile avec la dette et la hausse du coût de la dette", souligne-t-il. À quelques semaines de la présentation du budget 2023, les échanges promettent d'être vifs lors de la rentrée parlementaire en septembre. Retour sur les victoires, les ratés et les compromis du budget rectificatif 2022.
Remise de 30 centimes d'euros sur le litre de carburant, une victoire en demi-teinte pour l'exécutif
Les tensions sur les prix à la pompe sont loin de redescendre. Après avoir mis le feu aux poudres en novembre 2018 autour des ronds-points, la taxe carbone sur les carburants est restée gravée dans les mémoires à l'Elysée. Afin d'éviter un nouvel épisode de fronde sociale à l'automne, le gouvernement a lâché du lest sur la remise des prix sur le litre de carburant. Sous la pression des élus Les Républicains, l'exécutif a finalement cédé pour une remise de 30 centimes d'euros par litre de carburant contre 18 centimes initialement proposés.
Avec la remise de 20 centimes à la pompe annoncée vendredi dernier par TotalEnergies, "vous auriez dans certaines stations services en France un carburant à 1,5 euro", un seuil défendu par LR, a expliqué le ministre de l'Economie. Le géant pétrolier a promis une remise à la pompe de 20 centimes par litre entre septembre et novembre (puis 10 centimes jusqu'à la fin de l'année), devant la menace brandie par les députés d'une taxe sur les "superprofits", finalement rejetée de justesse.
Toutefois, cette remise de carburant destinée à protéger les Français contre la flambée des prix de carburant pourrait manquer son objectif. En effet, le conseil d'analyse économique, un organisme rattaché à Matignon, a expliqué dans une récente note que la remise de 18 centimes d'euros avait "un caractère régressif". D'après les économistes, cette mesure a bénéficié deux fois plus au dernier décile, c'est-à-dire les 10% les plus riches, qu'au premier décile (9,50 euros) alors que ce sont les employés et les ouvriers qui sont plus contraints et dépendants de l'essence. En outre, beaucoup d'économistes spécialistes de l'énergie ont rappelé que ce dispositif était contraire aux engagements de la France en matière de réduction des émissions de CO2 et qu'il fallait mieux cibler cette ristourne sur les ménages les plus dépendants de la voiture.
Défiscalisation des heures supplémentaires et rachats de RTT, encore une victoire pour la droite
En fin de semaine dernière, les députés ont voté en faveur d'un relèvement du plafond de défiscalisation des heures supplémentaires pour 2022. Actuellement, ce plafond pour effectuer les heures supplémentaires est fixé à 5.000 euros avec un maximum de 220 heures réalisées sur une année, hors accord de branche, d'entreprise ou convention collective spécifiques. Après plusieurs échanges tendus avec la gauche, un amendement fixant un plafond à 7.500 euros déposé par la députée LR Véronique Louwagie a été adopté.
L'autre victoire pour la droite concerne le rachat de RTT par les entreprises. Les députés ont approuvé la mesure par 154 voix contre 55 lors la discussion sur le projet de loi de finances rectificative. Cette mesure dont l'application doit se limiter entre le premier janvier 2022 et le 31 décembre 2023 est directement inspirée du programme de l'ex-candidate des LR à la présidentielle Valérie Pécresse. Lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat de la droite Nicolas Sarkozy (UMP) avait mis en avant cette mesure phare de son programme à travers son slogan "Travailler plus pour gagner".
Suppression de la redevance, une victoire pour la Macronie
Conformément aux annonces d'Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, l'Assemblée nationale a voté la suppression de la redevance audiovisuelle de 138 euros par foyer. La fin de cette taxe a provoqué de vives inquiétudes dans les médias audiovisuels publics et un tollé chez de nombreux syndicats.
Déjà, en 2008, la suppression de la publicité après 20 heures avait suscité d'importantes controverses au sujet du financement de France Télévisions, Radio France, Arte et l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Face aux inquiétudes relatives au financement, le gouvernement a promis qu'une fraction de la TVA d'environ 3 milliards d'euros serait allouée pour compenser cette suppression de la redevance.
Camouflet sur le RSA
Le gouvernement a essuyé un premier revers sur le revenu de solidarité active (RSA). Il concerne un amendement de 120 millions d'euros alloués aux départements qui versent le RSA en 2022 afin de compenser intégralement la hausse de 4% destinée à amortir le choc de l'inflation sur les allocataires. Cet amendement a été soutenu par les membres de la Nupes, Les Républicains (LR) et le Rassemblement national (RN) mais aussi par des députés du groupe Horizons, le parti fondé par l'ancien Premier ministre Edouard Philippe.
Finalement, l'Assemblée a adopté lundi une enveloppe de 180 millions d'euros au profit de communes et intercommunalités en difficulté, dans un "compromis" salué dans l'hémicycle et 120 millions d'euros au département. "Bercy doit prendre conscience de la nouvelle donne parlementaire depuis les législatives" sans majorité absolue pour les macronistes, explique à l'Agence France Presse François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (AdF).
Revers sur le fioul
L'autre camouflet pour l'exécutif concerne le fioul domestique. L'Assemblée a voté en faveur d'une mesure de 230 millions d'euros visant à soutenir les ménages se chauffant au fioul. Le gouvernement a tenté tant bien que bien mal de défendre une mesure plus ciblée à destination des ménages les plus modestes à hauteur de 50 millions d'euros. Mais l'amendement du LR Jérôme Nury a été voté par 164 voix contre 153, avec l'alliance des oppositions Nupes, LR et RN, nouvelle illustration des difficultés des macronistes en l'absence de majorité absolue au Palais Bourbon. La rentrée parlementaire s'annonce particulièrement explosive.