
Le gouvernement a enfin levé le voile sur « la mère des réformes ». Après des mois de tergiversations et un report de la présentation de décembre, la Première ministre Elisabeth Borne a dessiné les contours de l'épineuse réforme des retraites ce mardi 10 janvier dans les bâtiments du Ségur à Paris dans le VIIème arrondissement. En compagnie du ministre de l'Economie Bruno Le Maire, celui du Travail Olivier Dussopt et celui de la Fonction publique Stanislas Guérini, la cheffe du gouvernement a tenté d'éteindre la gronde sociale qui va monter d'un cran dans les prochains jours. Elle a répété à six reprises le terme « justice » et à sept reprises le mot « progrès » lors de son allocution préparée par ses conseillers.
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Le souvenir des longues grèves de décembre 2019 et janvier 2020 pour s'opposer au projet de système à points est resté marqué dans les esprits.« Nous voulons préserver notre système de retraite par répartition. C'est-à-dire un système où ceux qui travaillent financent les pensions des retraités. C'est pour le préserver que des majorités, de droite comme de gauche, ont mené des réformes ces dernières années. Et c'est pour le préserver, que nous devons le faire évoluer », a déclaré la Première ministre.
« Ramener le système à l'équilibre »
Derrière ces éléments de langage, le gouvernement n'a pas caché sa volonté « de ramener le système à l'équilibre ». « La France possède l'un des systèmes parmi les plus généreux au monde [...] Mais compte tenu du vieillissement de la population, l'équilibre de ce régime est menacé, » a martelé le ministre de l'Economie devant un parterre de journalistes. Bruno Le Maire poursuit ainsi son récit sur la baisse des dépenses publiques entonné récemment lors de ses vœux aux acteurs du monde économique et à la presse.
Après le « quoi qu'il en coûte » mis en oeuvre durant la pandémie, le ministre de l'Economie a promis récemment de tenir des « revues » annuelles de la dépense publique et des assises des finances publiques, une nouvelle méthode pour tenter de faire baisser la dette tricolore atteignant des sommets depuis la crise sanitaire (114% du produit intérieur brut). Pour rappel, le déficit du système de retraites en France est estimé à 13,5 milliards d'euros en 2030 par le gouvernement.
Dans son dernier rapport paru à l'automne le Conseil d'orientation des retraites (COR) explique que, « après avoir enregistré des excédents en 2021 et 2022, le système de retraite serait déficitaire en moyenne au cours des 25 prochaines années [...] En revanche, les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l'idée d'une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite, » nuance-t-il. Quel que soit le scénario retenu par le COR, la part des dépenses dans le PIB ne dépassera pas 14,7% alors que le nombre de retraités devrait augmenter dans les décennies à venir.
Des recettes supplémentaires de l'ordre de 17,7 milliards d'euros dans les caisses de retraites
Le recul de l'âge de départ légal de 62 ans à 64 ans et l'allongement de la durée de cotisations entraînera des recettes supplémentaires de l'ordre de 17,7 milliards d'ici à 2030 avec la montée en charge progressive des mesures, selon le ministre de l'Economie. Les recettes engendrées par la réforme dépasseront donc les 13,5 milliards d'euros de déficit attendu. Selon les prévisions de Bercy, l'Etat disposera d'une cagnotte d'environ 4,2 milliards d'euros. Cette enveloppe permettra de « financer les retraites des plus fragiles en raison de leurs inaptitudes ou de leurs invalidités qui pourront continuer à partir à 62 ans », a assuré Bruno Le Maire. Le coût estimé de cette mesure est de l'ordre de 3,1 milliards d'euros.
Par ailleurs, « le coût des mesures sur la pénibilité, les carrières longues et la revalorisation des petites pensions pour les nouveaux retraités est estimé à 1,7 milliard d'euros. » L'ensemble de ces mesures complémentaires devrait coûter 4,8 milliards d'euros par an. « Les 600 millions qui manquent sont comblés par un transfert des cotisations de la branche accidents du travail, excédentaire. Cela ne coûtera rien aux entreprises, rien aux salariés, » a ajouté Bruno Le Maire.
La retraite minimum à 1.200 euros par an va coûter 1 milliard d'euros
Afin de compenser le décalage de l'âge de départ à la retraite, l'exécutif s'est engagé à augmenter le montant du minimum des pensions à 85% du SMIC, soit environ 1.200 euros net par mois pour une carrière pleine. Sur le plan budgétaire, le coût de cette mesure est estimé à 1 milliard d'euros par an, selon les chiffres du gouvernement communiqués à la fin du point presse. Cette mesure « sera à financer dans le cadre de la solidarité interbranche, » a expliqué Elisabeth Borne sans apporter plus de précisions.
« Le minimum de pension augmentera de 100 euros par mois pour les personnes partant en retraite à compter du premier septembre 2023 (+25 euros au titre du minimum de pension de base et +75 euros au titre de la majoration du minimum de pension, qui valorise les périodes effectivement en emploi et donc le travail), » explique le gouvernement. Cette mesure devrait concerner les salariés, les artisans et les agriculteurs.
Un point de PIB supplémentaire à l'horizon 2027
Sur le plan macroéconomique, cet arsenal de mesures devrait rapporter « un point de produit intérieur brut supplémentaire » à l'horizon 2027 d'après les propos du locataire de Bercy, soit environ 15 milliards d'euros. « A partir du moment où plus de personnes travaillent, cela fera plus d'activité pour la France et donc plus de cotisations, d'impôts sur le revenu et sur les sociétés supplémentaires, » a-t-il déclaré.
Le gouvernement n'apporte pas de précisions spécifiques en termes de croissance ou d'emplois. Mais le coup de frein de l'activité attendu en 2023 et la hausse prévue du chômage pourraient rapidement rendre caducs les calculs du Trésor.
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100.000 actifs supplémentaires en 2025 et 300.000 en 2030
Sur le front de l'emploi, l'exécutif s'attend à une hausse de l'emploi des seniors âgés de 55 ans à 64 ans de l'ordre de 100.000 d'ici à 2025 et 300.000 d'ici à 2030, selon le modèle utilisé par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Par ailleurs, le taux d'emploi des seniors de plus de 60 ans pourrait bondir de 6 points d'ici à 2030, passant de 35,5% à 41,5%. Mais, là encore, la dégradation de la conjoncture cette année pourrait rendre difficile la tenue de ces objectifs.
En outre, les seniors restent encore largement écartés du marché du travail. Bien que l'exécutif ait fait la promotion de son index des seniors dans les entreprises, il n'est pas certain que cette mesure change radicalement les pratiques de ressources humaines dans le monde du travail.
L'impasse du gouvernement sur les surcoûts de la réforme
Lors de sa présentation mardi en fin de journée, le gouvernement a clairement fait l'impasse sur les surcoûts engendrés par la réforme. Le recul de l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans va mécaniquement entraîner des dépenses supplémentaires.
En effet, une grande partie des Français ne passent pas directement de l'emploi à la retraite sans bénéficier de dispositifs de solidarité (minima sociaux, pensions d'invalidité), d'assurance-chômage ou des mécanisme d'emploi-retraites. Ainsi, une étude de la direction statistique du ministère de la Santé estime qu'entre un tiers et la moitié des nouveaux retraités ne sont plus en emploi lorsqu'ils liquident leurs droits à la retraite. Ces surcoûts peuvent monter à plusieurs milliards d'euros.
L'outil contesté du budget rectificatif de la sécurité sociale
Sans surprise, le véhicule budgétaire choisi par l'exécutif est un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFSSR). Cet outil très peu utilisé par les derniers gouvernements permet d'accélérer les procédures au Parlement. L'examen à marche forcée qui se profile sur les retraites fait bondir nombre de voix à gauche et dans les rangs des syndicats. La cheffe de file de la France insoumise à l'Assemblée nationale, Mathilde Panot a déjà annoncé le dépôt de plus de 1.000 amendements par député de son groupe.
Enfin, le gouvernement s'est laissé la possibilité de dégainer l'article du 49-3 déjà utilisé à une dizaine de reprises en six mois au Parlement. Face aux critiques, la Première ministre Elisabeth Borne a rappelé que « sur les 10 projets de loi présentés au parlement [depuis la nouvelle mandature], 8 ont été adoptés avec des compromis. A chaque fois, le gouvernement travaille sur des compromis avec les oppositions. » Les prochains mois s'annoncent brûlants.