"Le virage énergétique se traduira par une nouvelle demande de métaux que nous ne connaissons pas" (Philippe Chalmin)

ENTRETIEN. Philippe Chalmin est professeur à Paris Dauphine où il est responsable du Master « Affaires internationales ». Il dirige le Cercle Cyclope, avec Yves Jégourel, de l'Université de Bordeaux, qui édite chaque année le rapport Cyclope consacré à l'évolution des marchés des matières premières.
Philippe Chalmin
Philippe Chalmin (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE-Depuis le début de l'année, la flambée des prix des matières premières, en particulier des métaux, ne semble pas s'apaiser. S'agit-il d'une surchauffe ponctuelle provoquée par la reprise rapide post-confinement ou y-a-t-il des éléments sous-jacents à l'œuvre ?

PHILIPPE CHALMIN- Globalement, il s'agit plutôt d'une surchauffe liée à la très forte reprise de la demande, avec des appareils de production encore dans l'incapacité d'y répondre. La période actuelle est également marquée par une importante crise logistique, qui ne sera pas réglée avant 2022. Or il y a aussi des minerais et des métaux stratégiques chargés dans des conteneurs qui sont pris dans cette crise logistique. En outre, nous connaissons une crise énergétique qui n'a pas été déclenchée cette fois par le pétrole, mais par le gaz naturel. Et ça, ça va durer.

De nombreuses matières premières agricoles sont aussi touchées par cette montée des prix. Les marchés des minéraux et des métaux également, sans que cela soit général. Certains métaux ont profité de la hausse de la demande, comme l'aluminium, qui à l'image d'un « métal vert » est appelé à jouer un rôle dans la transition énergétique. Il faut intégrer aussi de nouvelles demandes. Pour le fer, le maïs ou le soja, le pic de la crise est derrière nous. Pour le blé, l'étain et le café, c'est le contraire.

Comment voyez-vous évoluer les marchés des minerais et métaux stratégiques ?

L'idée d'une menace sur les métaux stratégiques ou les terres rares est un peu exagérée, c'est même devenu une tarte à la crème. Il n'y a pas de forte demande, sauf peut-être sur le cobalt et le lithium. Mais il s'agit davantage de l'anticipation d'une demande qui n'est pas encore devenue réelle. Les investisseurs sur les marchés financiers ne sont pas fous, ils savent que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Nombre d'entre eux ont diversifié leurs actifs en réinvestissant dans les marchés des matières premières où ça commence à chauffer, l'odeur du sang les attire.

Certains métaux stratégiques semblent tout de même être sous tension ?

Les tensions observées sur le cobalt et le lithium datent d'il y a quatre ans, quand on a pris conscience de l'importance des batteries électriques. Mais le cobalt sent mauvais. La République démocratique du Congo (RDC) n'est pas un havre de paix. Ce minerai y est extrait dans des conditions humaines épouvantables, sous la férule d'entreprises chinoises. Ce qui pourrait finir par donner des cauchemars à ceux qui achètent des voitures électriques et qui veulent continuer à se regarder dans la glace. Pour le nickel, la demande porte davantage sur sa potentialité que sur les besoins du marché. Et rappelons que l'on ne peut pas décrire demain avec les technologies d'aujourd'hui.

L'écart entre l'explosion prévisible de la demande de métaux, destinés à fabriquer des voitures électriques aussi bien que des super-calculateurs, et la réalité ne peut pas être connu ?

En 2040, nous roulerons tous probablement en voiture électrique mais nous ne savons pas encore exactement en quoi elles seront fabriquées. S'il s'avère que les voitures roulent effectivement à ce moment-là à l'électricité alors cela engloutira assurément toutes nos réserves de platine. Aujourd'hui, je conduis une voiture à essence dont le pot d'échappement catalytique contient quelques grammes de palladium. Avant je roulais au diesel, avec une voiture dont le pot d'échappement catalytique contenait quelques grammes de platine. Avec le passage massif de conducteurs du diesel à la voiture à essence, le cours du platine s'est effondré tandis que celui du palladium a flambé. Vous voyez à quoi ça tient...

Mais il s'agit aussi de métaux stratégiques... Vous parliez tout à l'heure de tarte à la crème à ce propos, qu'aviez-vous à l'esprit ?

Autrefois, les métaux stratégiques désignaient les métaux utilisés par l'industrie de la Défense. Ainsi, au début des années 1950, les États-Unis ont constitué un stock d'étain, afin de garantir leur approvisionnement durant cinq ans de ce métal dont ils avaient fort besoin. Et puis ils sont passés à autre chose. Fini l'étain ! Aujourd'hui, l'étain flambe à nouveau parce qu'il redevient stratégique, à cause de la demande des semi-conducteurs. Une bonne partie de cet étain est produite en Chine à partir de métal importé de Birmanie.  La France a eu, elle aussi, son stock de métaux stratégiques. A la fin des années 1970 et au début des années 1980, il était constitué de matières premières que l'on trouvait soit en Afrique australe, une région peu amicale avec la France, soit dans l'Europe de l'Est de l'époque soviétique... Ce n'était donc pas facile. Le lien entre tous ces métaux stratégiques pour la France, qu'il s'agisse de chrome, de palladium ou de cobalt, était leur localisation dans des régions hostiles.

Il y a un consensus sur le fait que les terres rares sont appelées à jouer un rôle clé dans la transition énergétique et que la Chine en est un des plus importants producteurs au monde...

Dans les années 1970, les terres rares n'étaient pas considérées comme des métaux stratégiques. Elles sont constituées de sables dont on extrait des petits métaux : c'est une activité très polluante. Pendant longtemps, la France en a d'ailleurs été un gros fournisseur. Une usine en produisait à La Rochelle. Nous faisions venir ces terres rares d'Australie pour les traiter en France. Or elles étaient très légèrement radioactives.

Autant dire que Michel Crépeau, le maire de La Rochelle à l'époque, qui était un précurseur des Verts actuels, a fait tout ce qu'il a pu pour faire partir cette usine polluante de Rhodia. Et il y est arrivé. Ensuite, c'est la Chine qui a accepté d'héberger sur son territoire ces activités polluantes d'extraction des métaux des terres rares. Et elle le fait pour le compte des États-Unis ! Joe Biden veut inverser cette tendance, mais ça va prendre du temps. Nous sommes peut-être dépendants, mais nous l'avons bien voulu.

Il n'y aurait donc pas de déséquilibre dans le domaine des métaux stratégiques entre la France ou les États-Unis et la Chine ?

Un métal est dit stratégique parce qu'il est absolument indispensable et non substituable. Le problème avec les pays qui détiennent ces ressources, c'est qu'ils peuvent être déstabilisés ou bien être tentés de se servir des matières premières pour faire pression. Ce type de situation peut évoluer dans le temps, d'autant que les producteurs eux-mêmes peuvent devenir financièrement dépendants de leurs matières premières. Aujourd'hui, l'élément le plus stratégique n'est ni un minerai ni un métal, c'est le gaz naturel, devenu tout à fait stratégique avec la politique menée par la Russie.

Ce qu'il faut retenir c'est que cette géographie stratégique des matières premières est finalement très mouvante. Le cobalt entre dans cette catégorie car la RDC est instable et qu'il est facile d'imaginer qu'une nouvelle guerre civile pourrait ravager le pays... Ce qui est moins le cas pour le lithium, qui se trouve principalement en Argentine et au Chili, des pays beaucoup plus stables. Nous pouvons parier que le virage énergétique va dans le sens de l'Histoire mais nous pouvons également être certains qu'il se traduira par une nouvelle demande de métaux que nous ne connaissons pas.

Propos recueillis par Jean-Philippe Déjean

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Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur "la guerre des métaux stratégiques" :

1/ Un enjeu décisif, édito

Métaux : la bataille à ne pas perdre pour l'Occident

Les 10 métaux stratégiques pour la transition énergétique

Entretien avec le professeur Philippe Chalmin

2/ Le raffinage, l'arme redoutable de la Chine pour dominer le marché

3/ Les Etats-Unis en quête d'autonomie relance le secteur

4/ L'Europe voit son avenir industriel dans le recyclage et les mines

5/ La France, l'innovation pour combler le retard et limiter les ruptures

6/ Semi-conducteurs : le risque de pénurie des... métaux

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Commentaires 2
à écrit le 24/11/2021 à 9:30
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‘Aujourd'hui, l'élément le plus stratégique n'est ni un minerai ni un métal, c'est le gaz naturel, devenu tout à fait stratégique avec la politique menée par la Russie’. Cette phrase est pour le moins curieuse ; le gaz est devenu une matière stratég...

à écrit le 23/11/2021 à 19:53
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bien, les ecolo bobos foutent a merde, puis on decouvre les pbs, he ben c'est bien barre

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