Biotechnologies : comment le gouvernement britannique veut renforcer son écosystème

Rishi Sunak entend notamment réduire les lourdeurs administratives et inciter les fonds de pension à investir dans les jeunes pousses des biotechnologies. Objectif affiché, pallier le manque d’options pour les startups les plus matures, souvent contraintes de s'expatrier aux États-Unis.
(Crédits : TOBY MELVILLE)

Après moult suspens et tergiversations, la chose est finalement actée : le Royaume-Uni va rejoindre le fonds de recherche scientifique européen Horizon, que le pays avait pourtant quitté depuis le Brexit. Une décision accueillie avec joie par l'industrie des biotechnologies britannique, qui voit dans Horizon un moyen de capitaliser sur l'excellence universitaire du royaume dans ce domaine et ainsi de concrétiser les projets de recherche menés par les scientifiques britanniques.

« C'est une excellente nouvelle ! Le fait de réintégrer Horizon Europe va conférer un coup de pouce bienvenu à l'industrie britannique des sciences du vivant et, plus important encore, soutenir la recherche et les chercheurs qui œuvrent à résoudre les défis qui se posent aujourd'hui à l'échelle mondiale », a ainsi réagi Alistair Henry, directeur de la recherche pour le Royaume-Uni chez UCB, une multinationale du secteur biopharmaceutique.

Cap sur les biotechs

L'accord est également un succès pour le Premier ministre britannique. Depuis sa prise de pouvoir, Rishi Sunak s'efforce de promouvoir l'excellence de son pays dans le secteur des technologies de pointe, en particulier l'intelligence artificielle, l'informatique quantique, mais aussi les biotechnologies.

« Le Royaume-Uni est le premier écosystème européen des biotechs, et le troisième au monde après les États-Unis et la Chine, que ce soit en matière d'investissements en capital-risque, en nombre de startups ou encore en quantité de brevets déposés », affirme Steve Bates, directeur général de The BioIndustry Association, un groupe industriel britannique.

L'avance du Royaume-Uni dans ce domaine a notamment été démontrée durant la pandémie, avec la première étude au monde ayant prouvé l'efficacité d'un vaccin à l'université d'Oxford. Pour rappel, celle-ci a ensuite mené à la commercialisation du vaccin par AstraZeneca. Le secteur des biotechnologies britannique emploie quelque 300.000 personnes et compte à lui seul un tiers de toutes les jeunes pousses européennes.

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Réorienter les investissements

Plusieurs mesures ont récemment été adoptées pour entretenir et faire prospérer ce secteur d'excellence nationale. Jeremy Hunt, le Chancelier de l'Échiquier, a lancé le programme « Compact ». Il doit permettre de réorienter une partie des sommes investies par les fonds de pension britanniques dans les jeunes pousses innovantes issues de quelques secteurs clefs, dont les sciences du vivant. Le gouvernement de Rishi Sunak a également prévu d'augmenter les dépenses de R&D d'un tiers, pour atteindre 20 milliards de livres par an, sur les exercices 2024 et 2025.

En mai, un rapport commandé par le gouvernement a en outre donné plusieurs recommandations pour accélérer la conduite des traitements cliniques. Une dimension clef pour faciliter le travail des professionnels et leur permettre de lancer plus facilement des produits sur le marché. En conséquence, le gouvernement s'est notamment engagé à réduire les contraintes administratives nécessaires pour démarrer une phase de tests cliniques à des fins commerciales, ainsi qu'à débloquer un total de 121 millions de livres sur trois ans.

Davantage de mesures pourraient venir avec la présentation du prochain budget en novembre, selon Steve Bates.

« Le gouvernement étudie notamment la mise en place d'un programme de soutien piloté par la British Business Bank, qui pourrait marcher en coordination avec Compact. Des crédits d'impôt pour les sociétés innovantes sont également à l'étude, ainsi que des investissements renouvelés dans la recherche scientifique. »

Les atouts du Royaume-Uni

La politique de l'actuel gouvernement s'inscrit dans la continuité plutôt qu'en rupture avec celle menée par ses prédécesseurs, estime Steve Bates.

« Les gouvernements successifs ont depuis une quinzaine d'années tous mis l'accent sur le développement de l'industrie des biotechnologies et des sciences du vivant britannique, en soutenant l'excellence académique, accordant des avantages fiscaux aux entreprises, assurant une solide protection de la propriété intellectuelle et s'efforçant d'attirer des capitaux du monde entier pour soutenir les jeunes pousses locales. »

Les universités britanniques constituent l'un des meilleurs atouts du pays dans ce domaine. Cambridge, qui compte un excellent laboratoire de biologie moléculaire, Oxford, l'University College London ou encore Edimbourg forment autant de foyers d'excellence, dont les publications figurent parmi les plus citées au monde. Des universités de plus petite taille, comme Aberdeen, constituent également des pôles de compétitivité : dix jeunes pousses des biotechs, dont TauRx, qui développe un traitement contre Alzheimer et a levé 800 millions de dollars depuis sa fondation, en sont récemment sorties.

La capitale compte aussi sur son lot de structures susceptibles d'offrir un tremplin aux jeunes pousses des biotechs. À deux pas de la gare King's Cross, bien connue des passagers de l'Eurostar, le Francis Crick Institute, fruit d'un partenariat entre plusieurs universités et instituts de santé, constitue le plus gros centre de recherche biomédical d'Europe. Depuis une dizaine d'années, il rassemble médecins, universitaires et entrepreneurs pour faire avancer les sciences du vivant. Il a permis l'émergence de nombreuses jeunes pousses, dont Paradromics, qui développe des interfaces de communication entre cerveau et ordinateur et a reçu des fonds de la Darpa américaine, ou encore GammaDelta Therapeutics, jeune pousse spécialisée dans l'immunothérapie qui a su attirer pour cent millions de dollars d'investissements.

Le Francis Crick Institute est en outre situé à deux pas des locaux de DeepMind, jeune pousse de l'intelligence artificielle britannique rachetée par Google : le genre de synergies qui contribuent également à faire de l'économie britannique un pôle d'excellence autour des biotechs.

D'autant que les jeunes pousses du secteur peuvent également compter sur les nombreux incubateurs et accélérateurs que compte la capitale britannique, dont Level39. Cet espace de travail collaboratif et communauté d'entrepreneurs est installé au milieu des gratte-ciel qui peuplent la presqu'île de Canary Wharf, ancien quartier des docks entièrement rénové. Il est devenu l'une des places fortes de l'industrie financière et technologique locale. Depuis le 39e étage du bâtiment, les quelque 180 jeunes pousses hébergées sur place ont une vue panoramique sur la ville... Et sur le chantier de construction du plus grand laboratoire commercial d'Europe, situé à deux pas et dont l'ouverture est prévue pour 2026. Plus de trois hectares de laboratoires et de bureaux seront ainsi mis à disposition des acteurs des biotechnologies et des sciences du vivant.

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Des investissements trop faibles en phase avancée

Comme les autres écosystèmes européens, le Royaume-Uni souffre toutefois d'un manque de financement pour les jeunes pousses les plus matures. L'an passé, seules 22 sociétés innovantes des biotechs britanniques ont levé plus de 30 millions de livres. A titre de comparaison, elles étaient 400 aux Etats-Unis. Ce manque d'investisseurs prêts à mettre la main à la poche sur les phases tardives conduit nombre d'entre elles à s'expatrier aux États-Unis et à entrer en bourse au Nasdaq, à l'instar de Zura, jeune pousse des biotechs britanniques qui a rejoint l'indice américain en mars dernier.

Ces sociétés matures qui s'expatrient à l'étranger constituent autant de flux financiers et de talents qui ne seront pas réinvestis dans l'écosystème britannique pour permettre aux jeunes pousses locales de croître à leur tour.

Selon Steve Bates, « nous devons faire en sorte que la communauté des investisseurs soit davantage familière avec le fonctionnement du marché des biotechs. Le programme Compact constitue un premier pas dans ce sens : il ne s'agit pas seulement d'avoir des fonds, mais aussi de savoir à qui et comment les distribuer. Il me semble également nécessaire de travailler là-dessus avec nos partenaires européens, car chaque pays individuellement ne peut pas rassembler les fonds nécessaires pour rivaliser avec les écosystèmes chinois et américains. »

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