Brics : tout comprendre sur l'Argentine, une économie émergente étranglée par l'inflation

Depuis des décennies, l'Argentine est prise dans la spirale infernale de l'inflation (+115% sur un an) et de l'endettement, sur fond de corruption de sa classe politique massivement rejetée par les Argentins. Le spectre d'une crise sociale, à l'aube de l'élection présidentielle du 22 octobre prochain, se fait plus pressant. Déjà, des pillages de commerces ont eu lieu. Après des années entre crises et croissance fulgurante, dans quel état se trouve aujourd'hui le pays qui voit naître des figures anti-Etat à l'image du candidat surprise, le libertarien Javier Milei ?
Javier Milei, économiste et candidat libertarien pour la présidence de l'Argentine d'octobre 2023.
Javier Milei, économiste et candidat libertarien pour la présidence de l'Argentine d'octobre 2023. (Crédits : Esteban Osorio / Alamy)

Des bandes de jeunes, la plupart mineurs, se livrant à des saccages de commerces de manière « désorganisée ». Des « actes délictueux, pour générer confusion et conflit », a affirmé le gouvernement. Ces scènes de pillage ont eu lieu ces derniers jours dans plusieurs villes, en Argentine, troisième économie d'Amérique latine, en proie à une inflation régulière. Dans ce pays de 45 millions d'habitants, nombre d'Argentins gardent un souvenir traumatique de scènes de pillage de la « Grande crise » de 2001, date de son défaut de paiement sur sa dette, débouchant sur une explosion sociale accompagnée d'affrontements avec les forces de l'ordre qui avaient fait 39 morts.

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Dernièrement encore, les électeurs argentins sont en quête d'un profond renouveau, à l'image du candidat « anti-système » et libertarien, Javier Milei. Ce dernier a fait une percée inattendue en remportant les primaires pour la présidence du pays sur le thème de la fin de la mainmise de l'Etat sur l'économie. Une victoire qui a placé les partis traditionnels en état de choc, avant le scrutin national du 22 octobre prochain. « Milei a su capter et interpréter le scepticisme ambiant, et se bâtir un électorat à partir de rien », résume Gabriel Puricelli, politologue du Laboratoire des politiques publiques cité par l'AFP.

La République présidentielle d'Argentine, qui a connu plusieurs dictatures, est secouée depuis le début du XXe siècle par les crises et par une inflation galopante. À la fin des années 1980, le pays est traumatisé par l'hyperinflation : les prix augmentent de +3.100% en 1989 et de +2.300% en 1990. Depuis les années 1970, en proie à une corruption systémique, la croissance économique est volatile, alternant entre périodes de forte croissance et crises.

Quelle est la situation économique aujourd'hui ?

L'Argentine croule sous les dettes auprès des créanciers. Elle fait même partie des pays émergents les plus endettés (114,8 milliards de dollars en 2021). Une situation, qui, si elle s'aggrave, provoquera des scénarios similaires à ceux observés dans des pays comme le Liban, où la corruption et l'endettement systémique font flamber les prix au quotidien pour les citoyens. A ce stade, l'Argentine est en difficulté pour rembourser au FMI un prêt de 44 milliards de dollars contracté en 2018 par le gouvernement précédent.

Résultat, sans marge de manœuvre budgétaire, régulièrement tentée par la politique de la planche à billets, le pays est en proie à dix ans de stagnation inflationniste. L'inflation se situe autour de +115% sur un an début 2023. Elle est même de deux chiffres depuis plus de douze ans, et à plus de 50% depuis le début de l'année. L'inflation est parmi la plus élevée au monde et le taux de pauvreté touche 40% de la population.

La devise (le peso argentin) est, de ce fait, régulièrement fortement dévaluée. Lundi encore, au lendemain de la victoire de Javier Milei aux primaires, le peso a encore été dévalué d'environ 20%. Banco Nacion, plus grande banque publique du pays, affichait lundi un cours officiel du peso à 365,50 pesos pour un dollar, après avoir ouvert à 350. En un mois, depuis mi-juillet, le peso a ainsi perdu 38% de sa valeur. Sur le marché parallèle des changes, il s'échangeait même à un peu plus de 680 pour un dollar. « Plus personne n'épargne en pesos mais il y a dans le même temps une répression du gouvernement sur l'achat de dollars », raconte un étudiant argentin en philosophie vivant à Paris. L'Etat argentin a en effet mis en place un important contrôle des changes.

Dans la foulée, pour stopper l'hémorragie, la Banque centrale a annoncé une hausse des taux d'intérêt pour les dépôts à terme de 97% à 118%, sa troisième forte hausse en cinq mois, « en ligne avec le réajustement du taux de change officiel », et afin d'amortir « les anticipations de change, et minimiser la répercussion sur les prix ».

« La dévaluation du peso risque d'accentuer encore les pressions inflationnistes, peut-être jusqu'à 130-140% » estime pourtant le cabinet de conseil Capital Economics cité par l'AFP.

En juin 2023, l'agence de notation S&P Global a annoncé avoir abaissé la note de la dette argentine en pesos de « CCC-/C à SD : défaut sélectif ».

Mercredi 23 août, le FMI et la Banque mondiale ont annoncé poursuivre leur soutien : 7,5 milliards de dollars de la part du FMI, 650 millions par la Banque mondiale (BM) et 650 autres millions de la banque interaméricaine de développement (BID). En 24 heures les institutions financières internationales ont ainsi largement renouvelé leur soutien à une Argentine qui s'enfonce dans la crise.

La décision du conseil d'administration du Fonds monétaire international (FMI) mercredi était attendue, mais en approuvant le versement d'une nouvelle tranche de 7,5 milliards de dollars à l'Argentine, le Fonds a offert une nouvelle bouffée d'oxygène au pays sud-américain.

Le montant correspond aux cinquième et sixième examens du programme d'aide à destination du pays andin, qui avaient été validés fin juillet par un accord entre le gouvernement argentin et l'institution internationale. Ce nouveau déboursement porte désormais à 36,3 milliards de dollars le montant total des fonds d'ores et déjà alloués par le FMI à l'Argentine depuis le début du programme d'aide, en mars 2022.

Quel est le climat politique en Argentine ?

Pour les Argentins, la classe politique, envers laquelle la défiance a atteint son paroxysme, est la cause première de ces crises. « En Argentine, on parle de fracture, où coexistent deux moitiés qui ne peuvent même plus dialoguer entre elles. L'une accuse l'autre d'être corrompue et de mener le pays au chaos économique (éducatif aussi), sans avoir pu, selon la perception de la population, faire reculer l'inflation, la dévaluation, l'endettement, et faire avancer le pays », raconte cet étudiant argentin.

L'Argentine est une république présidentielle multipartite, mais le bipartisme connu dans d'autres Etats, entre droite et gauche, ne s'y est jamais réellement implanté, poursuit-il. Le courant péroniste y est majoritaire. Fin 2022, Cristina Kirchner, héritière du péronisme et de Nestor son époux et ancien président, a été condamnée pour fraude et corruption, ce qu'elle a nié durant ses mandats (2007 et 2011).

Quelles sont les ressources du pays ?

L'Argentine possède d'importantes ressources sur les matières premières essentielles, notamment le lithium. Or, l'enjeu est mondial. La demande en Europe en lithium du fait du marché des batteries électriques notamment « sera multipliée par 12 d'ici 2030 », notait la Commission européenne. Et l'Argentine fait partie des principaux producteurs mondiaux. Elle forme avec la Bolivie et le Chili le « triangle du lithium », avec près de 65% des réserves mondiales.

Aussi, l'économie argentine repose sur ses exportations agricoles tout en étant grandement dépendante des importations étrangères. Chroniquement en mal de devises, le pays a vu sa situation aggravée cette année par une grave sécheresse, la pire depuis près d'un siècle selon les autorités, qui a tari les ressources d'exportation de ce grand pays agro-exportateur.

Enfin, le pays est aussi producteur de gaz, mais sa balance commerciale énergétique affichait, en 2022, un solde négatif de 6,6 milliards de dollars en raison des importations de diesel et de gaz naturel liquéfié (GNL).

Quelles sont les conséquences immédiates ?

Les conséquences sont d'abord micro-économiques. Inquiétés par l'inflation et les prix de leurs fournisseurs, après déjà une hausse la semaine passée, des commerçants de Buenos Aires ont préféré fermer boutique en août.

Autre exemple des impacts sur la société, la capitale Buenos Aires fait face à une grave crise du logement. Avec un peso en chute continue, et aucune certitude sur sa valeur après-demain, plus un propriétaire ne veut entendre parler de loyer en pesos. « On n'a rien à louer en pesos, et quand on rentre un bien, il part en quelques heures, les gens sont désespérés, ils ne demandent même pas à le voir, veulent réserver sur de simples photos », décrit à l'AFP Fernanda Ledesma, agente immobilière chevronnée.

Initialement censée protéger les locataires, une loi locative aggrave la situation depuis mi-2020 (quand l'inflation n'était « que » de 36%) encadre les loyers à une seule hausse par an. « Une bombe à retardement, car les baux arrivés à échéance mi-2023 feront un bond de 100% », prédit Alejandro Bennazar, de la Chambre immobilière argentine.

Aussi, nombre de propriétaires préfèrent garder un logement vide plutôt que de louer à un loyer gelé pour un an, et attendent un changement de législation. Ce qui tarit encore plus l'offre. Ou alors ils louent hors de tout cadre légal, à un ami, un parent, une connaissance. Avec des conditions à leur bon plaisir.

Sur un plan macro-économique, à cause de leurs dettes contractées auprès des pays riches, des pays en développement - dont l'Argentine - se retrouvent contraints de produire toujours plus de pétrole et gaz pour rembourser leurs emprunts, a affirmé mi-août une étude d'une coalition d'ONG. « L'Argentine s'est engagée à faire de la fracturation hydraulique dans le champs d'hydrocarbures de Vaca Muerta en Patagonie du nord » afin de rembourser sa dette et sortir de la crise économique, avec le soutien du FMI, argumente l'ONG Debt Justice.

En outre, le gouvernement argentin a inauguré début juillet le premier tronçon du gazoduc Nestor Kirchner (GNK) construit depuis le mégagisement d'hydrocarbures non conventionnel de Vaca Muerta (sud-ouest). C'est le chantier d'infrastructure énergétique le plus important dans le pays depuis 40 ans.

Qui sont les pays alliés à l'Argentine ?

C'est officiel, l'Argentine va entrer dans le club des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Lors du 15e sommet de ce 22 août, l'Argentine a milité pour l'élargissement de ce bloc de pays émergents qui a été avalisé par les cinq membres fondateurs mercredi 23 août. Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, avait plaidé sur les réseaux sociaux en faveur d'une adhésion notamment de l'Argentine. « C'est très important que l'Argentine fasse partie des Brics », a souligné le chef d'Etat.

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Aussi, pour la première fois, l'Argentine a payé le 30 juin une échéance de 2,7 milliards de dollars dans le cadre de son accord avec le FMI, en utilisant des yuans chinois et un prêt-relais de la Banque interaméricaine de développement (BID), ce qui lui permettra de préserver ses faibles réserves de dollars, a annoncé le ministre de l'Economie Sergio Massa. En effet, les réserves internationales de l'Argentine incluent, outre des dollars, de l'or et d'autres devises comme des yuans. C'est la deuxième fois que le pays paie le FMI en utilisant la monnaie chinoise.

Le pays avait notamment annoncé en avril qu'il allait désormais régler ses importations chinoises en yuan plutôt qu'en dollars américains, à l'instar du Brésil, face à la pénurie de billet vert.

Commentaires 9
à écrit le 24/08/2023 à 19:43
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Après des années d'errements, lorsque tu finis par faire un pacte avec le diable (FMI & Banque mondiale) pour restructurer tes "dettes odieuses", et que les "Vulture Funds" américains s'en emparent, alors t'es fichu.

à écrit le 24/08/2023 à 18:30
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Pas de régulation des naissances en Argentine, résultat, le pays va à veau l'eau. Tant qu'on n'appliquera pas une politique malthusienne à la population, la situation empirera

à écrit le 24/08/2023 à 18:22
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"Des bandes de jeunes, la plupart mineurs, se livrant à des saccages de commerces de manière « désorganisée ». Des « actes délictueux, pour générer confusion et conflit », a affirmé le gouvernement." Heureusement qu'ici ,on ne connait pas ça ...qu...

à écrit le 24/08/2023 à 12:25
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Pays socialiste qui n'a jamais appris de ses erreurs. Malheureusement la France marche sur les pas de l'Argentine, le chaos peut arriver très vite lorsque la dette est hors de contrôle. L'article ne précise pas que les recettes des entreprises expor...

le 24/08/2023 à 16:20
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il faut payer la dette des états unis cela se nomme aussi speculation bientot le tour de la france n'ayant plus rien a vendre et ne produisant plus rien meme le secteur agricole devient la proie de nos elites qui prefere acheter que de produire ...

à écrit le 24/08/2023 à 9:57
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Plutôt que de prendre les problèmes à la racine (corruption), l'Argentine préfère rejoindre les Brics avec la Chine,, bientôt l'Iran, l'Arabie Seoudite et toute une floppée de pays où il fait bon vivre en liberté dans des démocraties de bon aloi.

à écrit le 24/08/2023 à 8:01
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Ça c'est un bon pays socialiste donc tolérant, qui n'a rien d'ultra neo monetariste milton friedman!!! On y fabrique du social avec de la dette et de l'inflation hypertolerante, le tout sans aucune conséquence, comme on dit à gauche ! Hé ben au moi...

le 24/08/2023 à 12:37
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30 ans, comme vous y allez. Dans moins de dix ans, vous serez sous tutelle.

le 24/08/2023 à 20:36
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@matins calmes 👍

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