
Avec son nouveau discours sur l'Afrique ce lundi, Emmanuel Macron ne veut surtout pas donner l'impression de se désintéresser de ce continent où les défis sont immenses pour l'ancienne puissance coloniale. De Ouagadougou en novembre 2017 au sommet Afrique-France de Montpellier en 2021, le Président de la République ne cesse de promettre un aggiornamento de « la politique africaine de la France » - expression que réfutait d'ailleurs le chef de l'Etat en 2017.
Dans l'allocution présidentielle de lundi doivent être abordées les questions des échanges culturels, économiques et du maintien des bases militaires françaises et de leurs effectifs en Afrique à Dakar, Abidjan, Libreville et Djibouti.
« Nous sommes bousculés » en Afrique
Lors du dernier voyage présidentiel en juillet en Afrique centrale au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau, le président de la République avait reconnu que dans le domaine sécuritaire et économique le rôle, autrefois central, de la France en Afrique francophone, était contesté. Les entreprises françaises ne représentent par exemple plus que 10% de l'économie camerounaise contre 40% dans les années 1990.
« Nous sommes bousculés, et parfois peut-être nous étions-nous endormis. En nous disant, c'est notre pré carré, c'est "chez nous". Beaucoup d'entreprises raisonnaient comme ça. La concurrence est arrivée et a bousculé les positions acquises », a-t-il admis en dénonçant toutefois le fait que les puissances rivales utilisaient des « instruments qui ne sont pas les nôtres ». Mais « la France restera résolument engagée pour la sécurité du continent », avait toutefois réaffirmé le chef de l'Etat en juillet.
Une allusion claire - entre autres - à la présence croissante de la Russie en Afrique subsaharienne dans d'anciennes possessions coloniales françaises, théâtres d'opérations de l'armée française sur la décennie écoulée.
En Centrafrique, la France est intervenue de 2013 à 2016 dans le cadre de l'opération Sangaris face à une situation de guerre civile entre milices échappant totalement au contrôle de Bangui. Malgré cela, depuis 2020, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra s'appuie sur le groupe de mercenaires russes Wagner, à la main du Kremlin, pour renforcer son armée défaillante et assurer sa propre sécurité.
Départ des troupes françaises, arrivée des mercenaires de Wagner
Un scénario similaire se déroule désormais au Mali. Aux interventions militaires françaises de 2014 à 2022 succède une présence nouvelle des paramilitaires de Wagner sollicités par la junte au pouvoir. Le pays demeure en proie à de graves problèmes de sécurité, à cause d'une présence djihadiste, de la fragilité de son Etat et de son armée. En retour, Wagner se paie grâce à de juteux contrats d'exploitation des ressources minières des pays « protégés ».
Au Burkina Faso, Paris a dû rappeler son ambassadeur et ses forces spéciales stationnées sur place en janvier à la demande des autorités burkinabè, qui ont par ailleurs dénoncé les accords de défense avec la France. Le tout sur fond de rumeurs autour de l'arrivée prochaine de mercenaires russes dans le pays.
Au-delà des anciennes possessions françaises, où les Russes jouent sur la corde anticoloniale et anti-française, la présence de forces Wagner est avérée depuis 2016, au moins de façon ponctuelle, au Nigéria, en Guinée-Bissau, au Tchad, au Congo, au Botswana ou encore au Mozambique, selon le cercle de réflexion américain CSIS repris par l'AFP. Les sanctions de l'UE contre la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine frappent d'ailleurs neuf personnalités de Wagner actives en Afrique.
24 des 54 pays africains sont dépendants du blé russe et ukrainien
Si Moscou s'impose désormais sur le plan sécuritaire comme un acteur incontournable, qui agit masqué via ses mercenaires, la crise ukrainienne consacre son rôle clé dans la situation alimentaire du continent. D'après l'ONU, 24 des 54 pays africains importent plus du tiers de leur blé de Russie et d'Ukraine, et 15 d'entre eux font venir plus de la moitié de leur blé des deux pays en guerre.
En juillet, au même moment que la visite d'Emmanuel Macron de l'autre côté du continent, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait choisi de rendre visite à ces nations très dépendantes de l'approvisionnement russo-ukrainien en blé bloqué pendant les premiers mois de guerre, notamment l'Egypte, l'Ouganda et le Congo. Cette série de voyages diplomatiques visait à apaiser les dirigeants africains qui craignaient des émeutes de la faim avant l'accord russo-turco-ukrainien sur la reprise de ces exportations céréalières depuis la mer Noire.
La « Chinafrique » monte en puissance
En mars dernier, le président du Sénégal et de l'Union africaine, Macky Sall, avait interpellé Vladimir Poutine en visite à Sotchi déplorant le fait que les Etats africains soient « des victimes de cette crise au plan économique ». La flambée des cours des matières premières a, en effet, compliqué une situation alimentaire déjà très tendue sur une partie du continent.
Au-delà de la Russie, les ressources naturelles africaines éveillent aussi l'appétit de la Chine, qui investit massivement dans les infrastructures africaines. Pékin est devenu le premier partenaire commercial de l'Afrique subsaharienne et prête massivement aux gouvernements africains via ses banques et ses fonds publics. A tel point que l'expression « Chinafrique » est apparue, comme on parlait hier de « Françafrique ».
(Avec AFP)
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