Protection des mineurs sur internet : ce projet de loi qui divise les Etats-Unis

Le Kids Online Safety Act entend s’attaquer aux dommages que causent les réseaux sociaux chez les jeunes Américains, en exigeant des plateformes qu’elles mettent en œuvre davantage de mesures pour protéger les jeunes utilisateurs. Mais les défenseurs de la liberté d’expression et des droits humains affirment qu’elle risque de se transformer en un outil de censure de masse.
La grande idée du KOSA est de contraindre les plateformes en ligne comme Facebook, Twitter et YouTube à prendre des mesures supplémentaires pour protéger les mineurs.
La grande idée du KOSA est de contraindre les plateformes en ligne comme Facebook, Twitter et YouTube à prendre des mesures supplémentaires pour protéger les mineurs. (Crédits : DADO RUVIC)

Mieux protéger les mineurs sur la toile est un objectif qui met tout le monde d'accord, et c'est sans doute ce qui vaut au Kids Online Safety Act (KOSA) de recueillir des soutiens chez les républicains comme chez les démocrates, dans un paysage politique américain conflictuel et survolté.

Mais la manière dont la loi entend s'y prendre pour préserver les jeunes internautes suscite aussi l'opposition de nombreuses associations, qui y voient un danger pour la liberté d'expression.

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Obliger les Gafam à protéger les jeunes internautes

Dans le courant de l'été, une commission permanente du Sénat a approuvé le projet de loi à l'unanimité, ouvrant la voie vers un vote à la chambre haute du Congrès, où ce projet dispose de nombreux soutiens des deux côtés de l'échiquier politique, et aurait donc de bonnes chances de passer malgré la courte majorité dont bénéficient les démocrates au Sénat.

La grande idée du KOSA est de contraindre les plateformes en ligne comme Facebook, Twitter et YouTube à prendre des mesures supplémentaires pour protéger les mineurs. En particulier, elle vise à créer un devoir de diligence (« duty of care » dans la langue de Shakespeare)  afin de rendre les plateformes responsables devant la justice dans le cas où un mineur subirait des dommages psychologiques après y avoir été confronté à un contenu violent, haineux, sexuel ou autre. La loi donne également la possibilité aux procureurs généraux des différents États de l'Union de poursuivre les plateformes en justice en cas de dommages subis par des mineurs de leur État.

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« Notre proposition de loi fournit les outils adaptés pour empêcher les géants technologiques de diriger des contenus toxiques vers les enfants et de leur demander des comptes lorsqu'ils placent le profit devant la sécurité », a ainsi déclaré Richard Blumenthal, sénateur démocrate du Connecticut et l'un des champions de la proposition. « Un crise sanitaire d'envergure nationale affecte les adolescents, avec des niveaux records de désespoir et de dépression. Elle a été nourrie par des algorithmes qui fonctionnent comme des boîtes noires et nourrissent les troubles de l'alimentation, le cyberharcèlement, les pensées suicidaires et bien d'autres choses », justifie-t-il.

De récentes études montrent en effet une hausse inquiétante des troubles dépressifs chez les adolescents américains, les autorités sanitaires y voyant une conséquence des réseaux sociaux.

Un danger pour la liberté d'expression ?

En dépit de ses nobles intentions, la loi ne fait pas pour autant l'unanimité. Plusieurs voix s'élèvent pour dénoncer le danger qu'elle fait peser sur la liberté d'expression en ligne, danger dont les populations les plus vulnérables pourraient bien être les premières à pâtir. La notion de « devoir de diligence », adossée au concept très vague de « dommages » subis par les mineurs, risque en effet de conduire les plateformes à censurer à tour de bras pour éviter de se prendre des procès en cascade qu'elles risqueraient de perdre.

« Le KOSA est une loi dangereuse qui donne au gouvernement le pouvoir de contrôler la parole et les contenus », affirme ainsi Evan Greer, directrice de Fight for the Future, une organisation américaine de défense des droits sur internet. Elle affirme par exemple que la loi pourrait être utilisée par les élus républicains les plus conservateurs pour censurer les contenus en lien avec l'homosexualité, le racisme, le droit à l'avortement ou le changement climatique.

« Les hommes politiques de droite pourraient très bien affirmer que ces contenus "sont dangereux pour les enfants" car ils les rendent dépressifs ou anxieux. Cette loi enfreint le Premier amendement, elle est donc anticonstitutionnelle, et ouvre la porte à toutes formes de censures susceptibles de frapper les communautés marginalisées », affirme-t-elle.

Cette dimension pourrait bien sonner le glas du KOSA, du moins dans sa forme actuelle, et ce malgré le soutien bipartisan dont il bénéficie. Le Premier Amendement de la constitution américaine empêche en effet le gouvernement de censurer la parole.

« Le KOSA exige des plateformes qu'elles agissent dans l'intérêt des mineurs, en dépit du fait que ceux-ci sont des individus autonomes, qui sont affectés différemment par les contenus auxquels ils sont confrontés. Ainsi, pour éviter toute poursuite, les plateformes seront forcées de couper l'accès aux mineurs à tous les contenus, à l'exception des plus anodins, ceux qui n'ont vraiment aucune chance de choquer même les individus les plus sensibles.

Pour cette raison, la jurisprudence est très claire : un devoir de diligence pour protéger le public contre les dommages causés par tel ou tel discours viole le Premier Amendement », développe Berin Szoka, président de TechFreedom, un laboratoire d'idées non partisans sur les nouvelles technologies.

En raison de son caractère anticonstitutionnel, il est selon lui peu probable que la loi soit votée.

Demande de pièces d'identité et reconnaissance faciale

Si elle venait à l'être malgré tout, il est en outre probable que la Cour Suprême la retoque. Par le passé, celle-ci a déjà rejeté une loi qui visait à protéger les mineurs sur internet, le Child Online Protection Act de 1998, qui aurait par exemple obligé les sites web à vérifier l'âge de leurs utilisateurs, notamment pour lutter contre l'accès des mineurs à la pornographie.

Une idée avec laquelle flirt également le KOSA. « La loi est rédigée d'une telle manière qu'il sera impossible de s'y conformer sans vérifier l'âge des utilisateurs, ce qui le plus souvent signifiera demander une pièce d'identité ou effectuer une reconnaissance faciale. Le KOSA va donc accroître la surveillance en ligne, pour les enfants comme pour les adultes. Imaginez être contraint de faire scanner votre visage chaque fois que vous voudrez lire les informations en ligne : c'est le futur que prépare le KOSA », affirme Evan Greer.

Alors que les cyberattaques sont en hausse constante, l'obligation de donner accès à ses documents officiels à un nombre croissant de sites web multiplierait en outre considérablement le risque pour un individu de voir son identité volée et mise en vente sur le Darknet.

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Selon Evan Greer, une loi fédérale pour défendre la vie privée sur le net, qui contrôlerait la façon dont les entreprises collectent les données de leurs utilisateurs et s'en servent pour recommander des contenus, sur le modèle du RGPD, permettrait de résoudre la plupart des maux auxquels le KOSA entend s'attaquer sans pour autant nuire à la liberté d'expression et à la sécurité des internautes.

Les débats autour de la régulation des contenus en ligne devraient s'intensifier aux États-Unis alors que la campagne présidentielle bat son plein et que plusieurs États travaillent sur leurs propres lois à cet effet. L'Utah, en particulier, un État républicain, est sur le point de se doter d'une loi très restrictive qui interdirait l'accès des jeunes de moins de 18 ans aux réseaux sociaux en l'absence d'un accord parental.

De l'autre côté de l'Atlantique, le Royaume-Uni et l'Union européenne mettent également en place des lois visant à imposer davantage de devoirs aux plateformes en ligne, lois qui suscitent elles aussi leur lot de controverses.

Commentaires 7
à écrit le 29/08/2023 à 6:38
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Il est question de fermer les armureries?

le 30/08/2023 à 20:09
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Pas plus qu'il est question d'interdire la vente de cannabis dans les états démocrates ou encore de fermer la frontière avec le Mexique.

à écrit le 28/08/2023 à 21:38
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Les mineurs sous l'autorité des parents n'ont rien à faire seul autant dans la rue que sur la toile à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Ainsi les réseaux dits sociaux devraient interdire tout simplement l'inscription des mineurs et ...

le 29/08/2023 à 8:13
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J'ignorais que les parents américains percevaient des aides pour éduquer leur progéniture, et j'ignore sincèrement cette réalité-là si elle existe. Pour le reste, on a beaucoup critiqué les boomers des années 40-50, mais je constate en effet que t...

le 30/08/2023 à 20:04
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@Elrad Pour info les familles pauvres aux USA bénéficient de programmes Medicaid à couverture santé plus ou moins large selon le climat politique à Washington aux côtés d'autres financement publics de divers degrés administratifs pour la scolar...

à écrit le 28/08/2023 à 18:19
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La meilleure protection pour les mineurs c'est l'absence "d'iPhone" entre leurs mains !

à écrit le 28/08/2023 à 16:05
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La liberté d'expression est une vaste fumisterie. Le seul.moyen pour avoir des citoyens responsables passe par l'éducation laïque, républicaine, objective, qui donne à tout un chacun les moyens de la réflexion, de la critique constructive. C'est mal ...

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