Transition énergétique : le secteur pétrolier investit-il suffisamment ou non ?

La demande pétrolière continuant à augmenter en raison des besoins croissants des pays émergents, du secteur de la pétrochimie et de celui de l'aérien, il est nécessaire d'investir dans le développement de nouveaux champs pour maintenir l'offre. Dénoncé par les uns comme trop important et par les autres comme insuffisant, en réalité, le niveau d'investissement qui sera supérieur à 500 milliards de dollars en moyenne chaque année devrait permettre de pouvoir assurer la transition énergétique et de passer le pic de la demande mondiale avant 2030, sauf choc exogène. Celui-ci n'est pas à exclure, comme l'a montré la guerre de la Russie menée en Ukraine.
Robert Jules
Champ pétrolier dans le Dakota du Nord (Etats-Unis).
Champ pétrolier dans le Dakota du Nord (Etats-Unis). (Crédits : Reuters)

« Les prix mondiaux du gaz ont été multipliés par sept l'année dernière, 3% des approvisionnements mondiaux en gaz ayant été touchés par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, obligeant les pays à augmenter leurs dépenses énergétiques et à se tourner vers le charbon », a remarqué Bernard Looney, PDG de BP, à New Delhi, lors de la conférence B20 samedi dernier, prélude au sommet du G20 qui se tiendra en septembre dans la capitale indienne. En Europe, on a même pu voir plusieurs pays dont l'Allemagne recourir au charbon pour assurer leurs besoins en électricité. Un comble pour le continent qui se veut le plus vertueux de la transition énergétique !

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Cela montre que le basculement vers une économie mondiale décarbonée a paradoxalement besoin des hydrocarbures pour réaliser cette transition. Car même si les énergies renouvelables progressent très rapidement, passant dans le mix énergétique mondial d'une part de moins de 1% en 2000 à 7% en 2022, elles restent largement insuffisantes pour répondre aux besoins en énergie, qui restent dominés par les hydrocarbures à quelques 83% (pétrole 32%, charbon 27% et gaz naturel 24%), selon le dernier Statistical review of world energy.

Une demande mondiale de 105,7 mb/j en 2028

« Les deux sont nécessaires. Nous avons besoin d'investir dans le système énergétique actuel de façon responsable et, en même temps, nous devons investir pour accélérer la transition énergétique », affirmait le patron de BP. Il s'agit non seulement de remplacer le volume d'énergies fossiles consommées, les gisements tendant à décliner, mais aussi de répondre à une demande qui continue à progresser, à l'image du pétrole. Selon le scénario de l'Agence nationale de l'énergie (AIE) proposé dans son rapport annuel, la planète devrait brûler cette année 102 millions de barils par jour (mb/j), un niveau record. Il devrait toutefois être dépassé pour atteindre 105,7 mb/j en 2028, soit 5,9 mb/j de plus qu'en 2022.

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De fait, même si le pic de la demande pétrolière se profile à l'horizon du début des années 2030, les pays émergents, le secteur de la pétrochimie (qui fournit des produits pour fabriquer des plastiques, des fibres textiles, des détergents, des cosmétiques, des médicaments...) et celui de l'aérien, qui consomme du kérosène, vont voir leurs besoins augmenter. Si l'on s'en tient au seul usage du pétrole pour les transports, l'AIE prévoit d'ailleurs que son pic de la demande mondiale interviendra plus tôt en 2028, à 81,6 mb/j.

Reste à savoir quel niveau d'investissements est nécessaire, en particulier dans l'activité amont (recherche, exploration et production). Le débat n'est pas que technique, car l'énergie a aussi un rôle social et politique au-delà de l'économie et des entreprises.

Le pavé dans la mare de JP Morgan

En avril 2022, la banque d'investissement américaine JP Morgan avait jeté un pavé dans la mare. Elle avait alors évalué à 1.300 milliards de dollars supplémentaires le montant colossal à investir dans le secteur de l'énergie, toutes sources confondues, d'ici à 2030. Selon elle, il faudrait 400 milliards de dollars de plus aux investissements déjà prévus dans le secteur pétrolier et gazier d'ici à 2030 pour répondre aux besoins mondiaux.

De son côté, dans un rapport publié ce mois-ci, Greenpeace, analysant les 12 entreprises européennes de pétrole et de gaz les plus importantes, dénonçait le déséquilibre entre la part d'investissement consacrée au secteur pétrolier et gazier, qui s'élevait à 92,7%, et celle dédiée aux énergies renouvelables (7,3%). L'ONG y voit la preuve que les géants énergétiques européens refusent d'accélérer la transition énergétique. Elle refuse l'argument des compagnies qui défendent, selon elle, qu'il faut des profits élevés pour financer la transition énergétique. « Ce serait comme vouloir manger davantage pour avoir l'énergie de suivre un régime », ironise Greenpeace.

S'il est vrai qu'en 2022, les entreprises du secteur ont affiché des bénéfices record, c'est avant tout dû à l'envolée des prix du pétrole et du gaz provoquée notamment par la guerre en Ukraine. Or, ces prix varient, et peuvent également chuter certaines années, ce qui fait du secteur pétrolier une activité cyclique.

En outre, le sous-investissement conduirait à diminuer mécaniquement l'offre et à... une hausse des prix du baril. Les ressources pétrolières existantes qui fournissent 102 mb/j aujourd'hui n'en produiront que 43 millions de b/j au début des années 2030, soit un déficit de 65 millions de b/j au regard de la demande prévue à ce moment-là, selon un scénario établi par le cabinet Wood Mackenzie. Leurs experts ont calculé qu'avec un cours moyen de 82 dollars le baril (à peu près son prix actuel), une baisse de 1,5% du niveau d'investissement se traduirait par une hausse moyenne de 20 dollars le baril dans les prochaines années. D'où la nécessité de bien calibrer de tels investissements.

Le pouvoir d'achat des consommateurs réduit

L'envolée des prix de l'énergie est redouté par les pouvoirs en place. Et pour cause, elle réduit le pouvoir d'achat des consommateurs « à travers des coûts plus élevés de l'énergie, du chauffage, du transport, de la nourriture, des biens et des services », touchant en particulier les ménages les plus modestes et les économies émergentes, « qui dépensent une part plus importante de leurs revenus en produits et services de première nécessité », rappellent les experts de Mackenzie.

En réalité, le niveau d'investissement est plutôt correct, selon l'AIE. Il augmente de 11% en 2023 par rapport à 2022, pour atteindre 528 milliards de dollars. S'il poursuit à ce rythme - il faut compenser l'impact de l'inflation -, il sera suffisant pour répondre à la demande d'ici 2028, assure l'AIE. Depuis la chute de la demande en 2020, entraînée par la pandémie, les investissements dans l'activité amont ont atteint en moyenne annuelle un peu moins de 500 milliards de dollars. C'est un tiers de plus qu'en 2020, mais à peine plus de la moitié du pic de 2014, qui s'était affiché à 914 milliards de dollars.

« Cet apparent manque a nourri la croyance répandue que l'industrie est sous-investie et que le manque d'offre est inévitable, tôt ou tard », relèvent les experts de Wood Mackenzie.

Ces derniers ne souscrivent pas toutefois à ce scénario noir. Ils avancent en effet trois raisons : le développement de gisements pétroliers importants à coût bas (comparé au pétrole de schiste aux Etats-Unis), un meilleur emploi du capital et l'efficience de l'investissement dans le secteur. Les experts évaluent à 520 milliards de dollars le niveau moyen annuel des investissements au cours des trois prochaines années. Et comme l'AIE, ils estiment qu'en consacrant au moins 500 milliards de dollars par an, le secteur pourra fournir suffisamment de pétrole et de gaz pour répondre à la demande au cours des dix prochaines années, avant d'atteindre un pic de la demande de pétrole, à 108 millions de b/j, au début des années 2030 (le pic de la demande de gaz est prévu, lui, à la fin des années 2030).

Des nouvelles capacités

Les nouvelles capacités devraient d'ailleurs provenir d'acteurs non membres de l'Opep+. Les Etats-Unis, le Brésil et le Guyana devraient fournir 5,1 mb/j en plus d'ici 2028. Le restant étant dû à l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, et l'Irak. Les 23 membres de l'Opep+ ne devraient finalement augmenter leur offre nette que de 800.000 b/j, certains pays voyant leur production décliner.

Néanmoins, comme la guerre russe en Ukraine l'a montré, les investissements pétroliers et gaziers peuvent être plus perturbés par des chocs externes que par les stratégies d'investissement des compagnies, et retarder la transition énergétique. Retarder et non stopper, car le marché pétrolier a montré par le passé qu'il savait s'adapter, les signaux de prix finissant toujours par rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande.

Robert Jules
Commentaires 6
à écrit le 30/08/2023 à 8:59
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Les usines à goudron qui poussent comme des champignons dans notre pays sont une réponse.

à écrit le 30/08/2023 à 8:16
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Réponse @Raymond Les très riches émettent plus de ges que les pauvres mais étant infiniment moins nombreux ces riches honnis par les jaloux émettent globalement moins que les pauvres. Donc si on veut maîtriser l'évolution climatique il faudra maîtr...

à écrit le 29/08/2023 à 21:01
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Comme dit un ami >> " Tu sais avec leurs histoires de réchauffement climatique, moi je ne me prend pas la tête, je dit tout simplement que tout ceci est la volonté de Dieu et qu'il ne sert à rien de lutter contre les choix du créateur ... Cela calme...

à écrit le 29/08/2023 à 19:30
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Il faut cesser de nous casser les oreilles avec la transition énergétique, comme écrit en filigrane dans cet article les pays émergents sont avides d'énergie rapidement disponible, le gaz et le pétrole sont la meilleure réponse. Et oui on va avoir c...

le 29/08/2023 à 23:01
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Le réchauffement climatique est essentiellement un problème pour les pauvres qui doivent assainir les conséquences du train de vie des ultra-riches, sachant qu'il y a peu, les 1 % les plus riches ont émis en moyenne 110 tonnes de CO2 par an et par ha...

à écrit le 29/08/2023 à 18:42
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500 milliards par an dans le pétrole et le gaz. Soit pour les 10 prochaines années 5 000 milliards. Une paille pour des produits qu'on ne devrait plus utiliser because le réchauffement climatique! Combien seront investis dans les energies renouvela...

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