
Tic, tac ,tic, tac,.. l'entrée en vigueur de la taxe carbone aux frontière approche à grand pas. Le premier octobre prochain, l'Europe s'apprête à appliquer le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). À partir de dimanche, les entreprises européennes importatrices vont devoir rendre compte des émissions de gaz à effets de serre des produits importés à des pays tiers. « Une phase de reporting à blanc », comme l'expliquait Bercy ce vendredi 29 septembre.
Cette période, qui doit s'étendre jusqu'à fin 2025, « doit nous permettre de fiabiliser la méthode et d'avoir une meilleure approche du prix du carbone d'importation », a ainsi détaillé le ministère de l'Economie lors d'une réunion avec des journalistes. Inscrit dans la politique de « Green Deal » de l'Europe, cet outil vise notamment à protéger la politique de diminution des émissions de gaz à effet de serre des possibles « fuites de carbone ».
Concrètement, il obligera les entreprises qui importent dans l'Union européenne « des marchandises à forte intensité carbone » de certains secteurs à payer une taxe sur le CO2 émis lors de leur fabrication à l'étranger. L'objectif est ainsi d'imposer la règle du « pollueur payeur » aux entreprises implantées en dehors de l'Union européenne. « Le principe du CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism) est d'instaurer le même prix du carbone pour les produits domestiques et importés », résument les économistes Etienne Espagne (Banque mondiale) et Michel Aglietta dans l'ouvrage sur « L'économie mondiale 2024 »(CEPII). Au total, près de 10.000 entreprises en Europe pourraient être concernées.
Trois milliards d'euros d'ici 2030 pour toute l'Europe, une goutte d'eau
L'accélération du réchauffement climatique va obliger les Etats à financer une montagne d'investissements. En manque de ressources, les pays vont donc devoir compter sur la mise en oeuvre de nouveaux prélèvements. Concernant le mécanisme d'ajustement aux frontières, il pourrait rapporter « trois milliards d'euros à l'horizon 2030 » avec une montée progressive. « Les recettes vont dépendre du prix du carbone. C'est une estimation basée sur un prix du carbone à 80 euros la tonne », souligne une source à Bercy interrogée par La Tribune.
Concentré sur les secteurs les plus à risque (acier, aluminium, engrais, ciment, hydrogène, électricité), le MACF pourrait s'étendre à d'autres domaines et ainsi rapporter plus de recettes fiscales. Mais il pourrait s'agir d'une goutte d'eau au regard des investissements gigantesques à prévoir pour la transition. Rien qu'en France, les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz estiment les besoins d'investissements annuels à 66 milliards d'euros pour faire baisser les émissions de C02 de 55% entre 1990 et 2030. Au niveau des recettes, « une partie des recettes va aller aux Etats membres et une autre vers l'Europe », explique Bercy. « Mais la clé de répartition n'est pas encore établie ».
Inflation : « pas de signal d'alerte »
Parmi les risques redoutés par cette nouvelle taxe aux frontières figurent les pressions inflationnistes. Depuis l'éclatement de la guerre en Ukraine, l'indice des prix à la consommation a enregistré des pics spectaculaires. L'inflation a certes marqué le pas depuis maintenant plusieurs mois sous l'effet de la politique monétaire restrictive de la Banque centrale européenne (BCE), mais elle demeure au-dessus des 2%, objectif que s'est fixé l'institution monétaire.
Pour autant, malgré certaines craintes, l'entrée en vigueur de cette fiscalité devrait avoir un effet inflationniste « assez limité », estime une source à Bercy selon laquelle, « c'est une pente douce. Il n'y a pas de signal d'alerte ».
Au ministère des Finances, on espère surtout que d'ici 2026, année de la véritable mise en route du prélèvement, l'inflation sera redescendue. En face les milieux patronaux craignent une hausse de leurs coûts de production. Et, en important des matériaux plus chers, ils redoutent de devoir répercuter ces hausses sur leurs prix de vente.
La Chine et l'Inde dans le viseur de l'Europe
Derrière ce mécanisme d'ajustement aux frontières, l'Europe espère réduire la dépendance de ces entreprises à la Chine et l'Inde. « Ces deux pays seraient les plus concernés par le MACF », souligne-t-on à Bercy. Depuis la libéralisation à outrance des échanges et l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les deux géants asiatiques occupent une place prépondérante dans le commerce international.
Mais les récentes crises (pandémie, guerre en Ukraine, énergie) et le réchauffement climatique ont chamboulé le modèle de la mondialisation du début des années 2000. Désormais, les grandes puissances de la planète cherchent à relocaliser une partie de leur production et à réindustrialiser leur territoire. Reste à savoir si dans cette bataille géopolitique mondiale, l'Europe va réussir à devenir la première économie décarbonée au monde.