C'est une tradition. Les challengers les plus agressifs sur le fonds en euros de l'assurance-vie annoncent les premiers le taux de rendement servi au titre de l'année écoulée. Milleis Vie a ouvert le bal le 18 décembre en annonçant un rendement 2023 de 2,75% net de frais.
C'est sans doute plus que la moyenne du marché qui devrait atteindre un rendement de 2,5%, selon les estimations du cabinet Facts & Figures, contre une moyenne de 1,91% relevée pour 2022 par l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), le superviseur de l'assurance en France. Début janvier, c'est au tour du courtier en ligne Placements-direct.fr de proposer un rendement « canon » de 4,1 % net pour son contrat monosupport, adossé au « fonds en euros de nouvelle génération de SwissLife », après que le groupe Garance eut annoncé un taux net de 3,5%.
100 milliards de décollecte depuis 2020
Faut-il s'attendre à une surenchère cette année dans les annonces de taux de rendement sur les fonds en euros ? « Je pense que cela va être du grand n'importe quoi », glisse, un brin inquiet, un grand assureur de la place. Au terme d'une année à nouveau chahutée par les rachats dans un contexte de hausse rapide des taux - les sorties nettes sur le fonds en euros s'élèvent au total à 25,4 milliards à la fin novembre après une décollecte de près de 30 milliards en 2022 et de près de 100 milliards depuis 2020 - les assureurs sont pris en étau entre la concurrence de nouveaux produits d'épargne, comme le livret A ou les comptes à terme, et la nécessité d'accélérer la rotation du portefeuille obligataire.
En clair, les assureurs-vie doivent réamorcer la pompe à collecte pour remplacer progressivement dans leur portefeuille les obligations anciennes à faible rendement par du papier récent, rémunéré entre 4 et 5 % pour les meilleures signatures. C'est pour cette raison que certains assureurs-vie, mais pas tous, vont rivaliser d'audace pour doper la collecte du fonds en euros en affichant des taux de rendement plus musclés. Une stratégie qui tourne le dos à dix ans d'efforts commerciaux pour promouvoir les unités de compte, support au capital non garanti et bien mieux margé.
Puiser dans les réserves
Les assureurs vont devoir puiser dans leurs réserves (provision pour participation aux bénéfices, PPB) pour offrir un rendement supérieur à ce que permettrait la seule rentabilité du portefeuille. Ils sont même clairement incités à le faire par le superviseur lui-même. « Autant l'ACPR avait pu encourager la prudence au cours des années de taux très bas en incitant les assureurs à ne pas distribuer immédiatement tous les revenus des placements afin qu'ils constituent une provision pour participation aux bénéfices, autant convient-il maintenant de prévoir son retour progressif vers les assurés, pour gérer en douceur la transition », a ainsi expliqué Jean-Paul Faugère, vice-président de l'ACPR, lors de la conférence annuelle de l'ACPR, le 17 novembre dernier.
Cette provision représente 5,4% des provisions mathématiques en 2022, soit 83,5 milliards d'euros. En clair, les assureurs-vie disposent d'une réserve de rendement de 5,4 % pour soutenir le taux de rendement, à laquelle ils peuvent ajouter la réserve de capitalisation (destinée à absorber les moins-values latentes) et les plus-values latentes. Au total, selon les estimations à la fin 2022 du site Good Value for Money, l'ensemble de ces réserves représente un rendement différé de 12%, soit 1,5% par an pendant 8 ans qui pourrait être mobilisé au-delà du rendement financier.
Inégalités face à la PPB
Mais tous les assureurs-vie ne sont pas logés à la même enseigne. Selon le site Good Value for Money, les cinq principaux bancassureurs concentrent, à eux seuls, 60% de la PPB du marché. Ces acteurs n'ont d'ailleurs jamais été les mieux-disants, loin s'en faut, en termes de taux servi sur leurs fonds en euros.
Ainsi, la CNP affiche un taux de PPB de 6,38% en 2022, Cardif (BNP Paribas) de 6,15%, et même un taux de 8 % pour Sogécap (Société Générale). En revanche, les mutuelles sont moins bien dotées, en général dans la moyenne du marché, et les assureurs traditionnels sont clairement à la traîne, comme AXA France Vie (2%). Pour ces derniers la marge de manœuvre sera donc réduite.
L'une des références du marché, le contrat AFER (55 milliards d'euros d'encours, dont 41 milliards sur le fonds en euros) est particulièrement pénalisée. Il faut dire que l'Association AFER a longtemps été un farouche adversaire de la PPB, « une escroquerie qui vole les épargnants », préférant distribuer la totalité du rendement financier, avant de changer son fusil d'épaule assez tardivement en 2007.
Résultat, son taux de PPB est l'un des plus faibles du marché, soit 0,9% à la fin 2022. Le taux servi par l'AFER, qui sera annoncé le 16 janvier prochain lors du traditionnel raout de l'association qui précède généralement les annonces des principaux assureurs, ne devrait pas être dans le top du marché, après avoir annoncé un taux de 2,01 % net l'an dernier.
Value for money
« Les assureurs qui sont positionnés sur la clientèle grand public ont un vrai problème de passif et ils devront puiser dans leurs réserves pour faire face à la concurrence du Livret A », avance un observateur du marché. C'est le cas des mutuelles, mais aussi des bancassureurs, lanterne rouge de la performance, mais qui doivent également faire face à la concurrence des autres produits proposés par leur propre réseau d'agences.
Les assureurs viendront également jouer sur le terrain des taux bonifiés sur une période limitée de collecte. Par exemple, Milleis Vie propose un taux bonifié de 2,25 %, en plus du rendement qui sera servi au titre de 2024, pour toutes les nouvelles souscriptions réalisées au premier trimestre. C'est une façon détournée de créer une sorte de cantonnement au sein du fonds en euros pour mieux rivaliser avec les nouveaux entrants, comme Corum Vie, qui sont mécaniquement avantagés par leur portefeuille récemment investi.
Le risque est paradoxalement que les épargnants reviennent en masse sur le fonds en euros alors même que s'amorce une baisse des taux à partir du second semestre. Déjà, les émissions obligataires les plus récentes sont moins généreuses sur le taux. Mais la bataille de l'assurance-vie pourrait se jouer ailleurs. « Le grand thème de l'année 2024 sera le « value for money » (rapport coût/bénéfice, NDLR) et la limitation et la transparence des frais », prédit un assureur de la place. Sur ce terrain, il y a encore beaucoup de chemin à faire.
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