Assurance-vie : les associations d’épargnants perdent de leur lustre

Les deux principales associations d’épargnants, l’AFER, le leader incontesté avec plus de 750.000 adhérents, et Gaipare, ont annoncé des taux servis pour le fonds en euros nettement en dessous de la moyenne du marché. Une première pour ces associations qui donnaient le ton du marché pendant des dizaines d’années. Un changement d’époque qui les pousse à moderniser leurs offres pour rajeunir une clientèle qui vieillit à grande vitesse.
Le président de l'AFER, Gérard Bekerman, s'est résolu à proposer un taux servi de 2,22% pour 2023, un taux en-dessous de la moyenne du marché.
Le président de l'AFER, Gérard Bekerman, s'est résolu à proposer un taux servi de 2,22% pour 2023, un taux en-dessous de la moyenne du marché. (Crédits : AFP)

Il y a quelque chose de nouveau au royaume de l'assurance-vie. Les associations d'épargnants, comme l'AFER ou Gaipare, dont les contrats d'assurance-vie lancés il y a 40 ou 50 ans ont littéralement révolutionné l'épargne des Français et qui donnent depuis toujours le ton au marché, semblent avoir désormais perdu la main.

La plus ancienne (1976) et importante association, l'AFER, qui revendique plus de 750.000 adhérents et « pèse » 55 milliards d'euros d'encours (dont 41 milliards sur le fond en euros) vient d'annoncer un taux servi sur le fonds en euros de 2,22% nets au titre de 2023, contre 1,98% un an plus tôt. La progression est modeste dans l'environnement de taux actuel.

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Ce sera même nettement moins que la moyenne du marché, attendue dans une fourchette comprise entre 2,50% et 2,70% selon les estimations légèrement revues à la hausse de Facts & Figures, même si de nombreux poids lourds, comme la CNP, n'ont pas encore dévoilé leur rendement au titre de 2023.

Ironie du sort, même Mutavie, la filiale d'assurance-vie de Macif, qui fait partie du même groupe qu'Abeille Vie qui gère les contrats AFER, propose des taux de 2,70 % nets, soit une hausse de 110 points de base en un an ! Même constat de modération pour Gaipare, association également historique mais plus modeste (39.000 adhérents) qui offre un taux de 2,30% nets, pour la première fois de son histoire, inférieur à la moyenne du marché.

Doper les taux avec les réserves

Cette année, la profession, éprouvée par une forte décollecte sur le fonds en euros et une collecte nette globale qui ne devrait pas dépasser les 3 milliards d'euros sur l'assurance-vie en 2023, tente d'offrir un taux plus compétitif sur les fonds en euros face à la concurrence du Livret A (3%) ou des comptes à terme. Elle est d'ailleurs fortement incitée à le faire.

Dans son programme d'action publié lundi dernier, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), en charge de la supervision de l'assurance, a une nouvelle fois engagé les assureurs-vie à puiser dans leurs réserves, en l'occurrence la provision pour participation aux bénéfices (PPB), pour mieux rémunérer les clients des fonds en euros. C'est dire combien le superviseur est inquiet de l'évolution de la collecte en cette période de forte montée des taux.

Cette provision, qui représente près de 63 milliards d'euros, soit 5,4% des encours des fonds en euros, appartient aux assurés et sert à lisser dans le temps les taux servis. Mais elle est d'un montant très inégal, selon les assureurs-vie. Les bancassureurs notamment ont traditionnellement plus de PPB car ils ont été aussi les moins généreux ces dernières années sur le fonds en euros.

Taux illusoires

Du coup certains acteurs ont dévoilé des rendements agressifs qui frôlent les 3 %, comme le bancassureur Société Générale Assurances, ou même plus, comme la mutuelle MACSF (3,1% nets). « Il faut faire attention aux effets d'annonce de début d'année car nous commençons à observer des hausses de taux beaucoup plus modérées », prévient Cyrille Chartier-Kastler, président de Facts & Figures, cabinet de conseil spécialisé dans l'assurance. C'est le cas notamment des assureurs traditionnels comme AXA France ou Allianz France. Le numéro un du marché, la CNP, vient d'annoncer un taux moyen sur sa gamme de 2,52%.

« Ce sont des taux égoïstes car chaque assureur-vie joue sa propre partition sans solidarité de place : ceux qui ont beaucoup de réserves augmentent sensiblement leur taux servi afin d'avoir de la collecte nette positive et décrochent ainsi ceux qui n'ont pas beaucoup de réserves et qui risquent de voir leur décollecte s'accentuer », commente ce spécialiste de l'assurance.

« Ce sont des taux illusoires », renchérit même Gérard Bekerman, président de l'AFER en marge de la présentation à la presse ce mardi du taux servi pour ses adhérents. « Nous voyons fleurir des performances proposées par des assureurs qui ne font que profiter d'une hausse conjoncturelle des taux longs. Ces performances ne sont pas naturelles dans la mesure où elles sont obtenues en puisant massivement dans les réserves », explique ainsi Gérard Bekerman, toujours écouté dans les arcanes du pouvoir compte tenu de la puissance de son association.

Nouvelles stratégies

Reste que cette étoile de l'AFER fait aujourd'hui pâle figure. « Les associations d'épargnants sortent progressivement du marché et je trouve même qu'elles ont beaucoup perdu en innovation ces dernières années », estime Cyrille Chartier-Kastler. « Le contrat AFER est le produit vedette depuis près de 50 ans, qui a bouleversé le patrimoine des Français et sans doute incité les banques à se lancer dans l'assurance-vie. Mais il est arrivé au bout d'un cycle et sans réserve car il a toujours privilégié la distribution des bénéfices plutôt que la PPB », raconte un grand assureur de la place.

Les associations d'épargnants doivent donc se réinventer pour fidéliser et surtout renouveler une clientèle qui vieillit très vite. L'un des indicateurs les plus suivis à l'AFER est le taux de réinvestissement des capitaux décès par le bénéficiaire, qui est de 41% en 2023 (soit 650 millions d'euros reversés sur un contrat AFER sur 1,6 milliard de prestations décès).

Ce n'est pas hasard d'ailleurs si beaucoup de nouveautés sont annoncées tant à l'AFER que chez Gaipare pour fin 2024, début 2025. « Ce que nous avons en tête est grand, très grand même, mais j'en réserve la primeur au conseil d'administration et à l'assemblée générale des adhérents », avance Gérard Bekerman. Des travaux sont en cours depuis plus de six mois avec le partenaire de l'AFER, Abeille Vie. Selon nos informations, il s'agirait d'une nouvelle offre capable de mieux récompenser l'épargne de long terme, et qui devrait être lancée en 2025.

Value for money

« Le produit doit évoluer et nous travaillons à l'améliorer. Nous ferons des annonces cette année lorsque nous aurons consulté nos instances », a indiqué également Georges Richelme, président du Gaipare, lors d'une conférence de presse ce mardi matin.

En attendant, ces deux associations comptent bien jouer sur leurs autres cartes maitresses : la modération et la transparence de leurs frais de gestion, la lisibilité de leurs contrats et surtout la performance de long terme. C'est devenu un enjeu clé dans l'assurance à l'heure de la « Value for money » - le rapport prix qualité- sera scruté de près par les superviseurs avec une nouvelle réglementation européenne.

« Nous ne sommes pas les meilleurs cette année mais nous comptons bien le redevenir dans les dix prochaines années comme nous l'étions ces dix dernières années », proclame le président de l'AFER qui a toujours eu le sens de la formule. Mais cela suffira-t-il pour gagner la bataille de la collecte en 2024 ? Rien n'est moins sûr.

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Commentaires 2
à écrit le 16/01/2024 à 21:38
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Qu'ils commencent par diminuer les taux de prélèvement annuels pour frais (en fait des marges nets). avec les années elles n'ont fait qu'augmenter au seul profit des assureurs et agents. Il reste des miettes aux assurés coincés dans leur enveloppe fi...

le 17/01/2024 à 0:57
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L'assurance vie ne rapporte pas beaucoup, mais on remplace par quoi ? L'investissement dans le Bitcoin ou dans des produits de placement pour lesquels dans la publicité il est précisé que ces produits "risquent une perte en capital"...voire tout le c...

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