Captives de réassurance : Bercy veut créer un nouveau dispositif fiscal

Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, va prochainement déposer un amendement à la loi de finances 2022 afin de créer un nouveau dispositif fiscal mieux adapté aux captives de réassurance en France. Un enjeu clé alors que les entreprises sont de plus confrontées à une hausse des prix et des franchises des assurances. Explications.
Les entreprises ne peuvent ou ne veulent assurer que 10 à 30 % de leurs risques. Et la couverture du risque cyber reste encore très marginale.
Les entreprises ne peuvent ou ne veulent assurer que 10 à 30 % de leurs risques. Et la couverture du risque cyber reste encore très marginale. (Crédits : Kacper Pempel)

C'est un alignement des planètes qui va permettre de mettre fin à un serpent de mer de la (re) réassurance en France. Selon nos informations, le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, va déposer, dans les tout prochains jours, un amendement au projet de loi de finances (PLF 2022), actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, afin de créer un cadre fiscal des provisions pour risques exceptionnels, lequel sera spécialement dédié aux captives de (re) assurance. Pour rappel, une captive est une société de réassurance, filiale d'un groupe industriel ou commercial, dont la vocation est de couvrir une partie des risques de sa maison mère et des autres filiales.

C'est ce chaînon fiscal manquant qui bride, depuis des années, le développement en France des captives de (re) assurance. Il existe certes déjà neuf "captives" de réassurance en France. Mais, selon l'Association du management des risques et des assurances de l'entreprise (Amrae), il y aurait une cinquantaine de projets de création de captives en France, dont 30 % de la part des ETI (entreprises de taille intermédiaire), que les pouvoirs publics souhaitent promouvoir.

Mais la France ne dispose pas à ce jour d'une réglementation fiscale adaptée, et surtout compétitive par rapport au Luxembourg, qui concentre, historiquement, une forte activité de réassurance. Il s'agit de permettre aux captives de constituer en différé d'impôts, des provisions dans le temps pour faire face à des risques exceptionnels, comme la pandémie ou le risque cyber.

« Avec l'accélération des réflexions depuis la crise sanitaire sur la couverture du risque d'entreprise, nous avons réalisé combien la captive d'assurance était un outil utile pour l'entreprise, alors que cela était vu jusqu'ici, y compris par les entreprises, plutôt comme un outil d'optimisation fiscale », reconnaît un proche du dossier à Bercy.

Un marché de l'assurance très tendu

« C'est la conjonction de nombreux facteurs qui a permis de débloquer le dossier. D'autant qu'il existe une vraie demande des entreprises, notamment de la part des ETI », confirme la députée LREM Valéria Faure-Muntian, membre de la commission des finances à l'Assemblée nationale, en pointe sur le sujet depuis la polémique sur "l'assurance perte d'exploitation sans dommages" l'an dernier. Cette ancienne professionnelle de l'assurance a d'ailleurs déposé son propre projet d'amendement sur la fiscalité des captives.

Mais, ajoute-t-elle, « je n'ai pas d'inquiétude sur l'aboutissement d'un amendement déposé par le ministre de l'économie. Il s'agit d'un différé fiscal qui permet de renforcer la compétitivité et les fonds propres des entreprises mais aussi l'attractivité de la place de Paris ». Des thèmes chers à la majorité et au gouvernement.

La pandémie a joué un rôle certain dans la prise de conscience des entreprises sur leur vulnérabilité mais aussi celle des pouvoirs publics sur les limites du marché de l'assurance. A ceci s'ajoute l'explosion des risques cyber, sur lesquels les assureurs ont encore du mal à calibrer les risques et à proposer des offres d'assurance économiquement viables.

La crise sanitaire, mais aussi le Brexit avec la quasi-fermeture aux entreprises européennes du marché des Lloyd's à Londres, ont entraîné une sous-capacité de l'offre d'assurance et une explosion des prix. Selon une toute récente étude de l'Amrae, la hausse des prix sur le marché des risques d'entreprises devrait augmenter entre 10 et 50% en 2022, selon les risques.

« Nous sommes dans une situation de "hard market" avec des prix élevés, des franchises élevées et des sous-capacité. Dans ce contexte, la réflexion sur des outils alternatifs à l'assurance s'impose. D'autant que l'assurance ne couvre généralement que 10 à 30 % des risques d'une entreprise », a résumé Fabien Graeff, associé au cabinet Optimind, qui a récemment organisé une table ronde sur les captives.

Consensus sur la "captive"

De fait, il existe désormais un véritable consensus sur l'intérêt des captives, à la fois auprès des entreprises er des pouvoirs publics, mais aussi auprès des assureurs.

« Face à des risques émergents, l'enjeu est de permettre de mutualiser certains risques dans le temps. C'est ce que permet de faire les captives mais il faut aujourd'hui un dispositif de provisionnement mieux adapté à ce type de risque », a reconnu Lionel Corre, en charge des assurances au Trésor, lors de la table ronde d'Optimind.

« Mais la captive a d'autres vertus que la simple couverture de la franchise », souligne le haut-fonctionnaire, « elle permet à l'entreprise de développer en interne une culture du risque et de montrer aux assureurs qu'elle est capable de gérer son risque, ce qui peut faciliter le placement des assurances ».

« Les captives sont intéressantes car elles permettent de mieux arbitrer le marché de l'assurance, notamment sur le plan de la tarification des risques. C'est particulièrement vrai sur des marchés émergents, encore mal calibrés par les assureurs, comme le risque cyber », précise Fabien Graeff.

Le diable dans les détails

Pour autant, le projet d'amendement ne sera pas une copie conforme de ce qui se pratique aux Luxembourg, avec sa fameuse provision (bloquée) d'égalisation. « Le Luxembourg est certainement une source d'inspiration, mais nous sommes en train d'inventer quelque chose, et non pas de répliquer un modèle », avance Lionel Corre.

Le principal sujet est en effet le périmètre des risques qui seront concernés, et la capacité à mutualiser tous les risques au sein de l'entreprise. Le champ des sinistres concernés devrait être assez large mais strictement défini, afin notamment de justifier cet avantage fiscal à la fois sur un plan constitutionnel mais aussi européen. Le dispositif proposé devra d'ailleurs être notifié à la Commission européenne. Mais, une fois les risques ciblés, la provision devrait être globale afin de mieux gérer la mutualisation.

« En dotant une provision transverse non affectée à un sinistre pressenti, l'entreprise à accumuler des fonds propres qui vont entrer dans le calcul réglementaire de solvabilité 2 et cet apport en capital se fait presque naturellement. L'entreprise démarre petit, et au bout de dix ans, elle se retrouve avec une filiale de réassurance capable de porter beaucoup plus de risques qu'imaginé au départ », explique Fabien Graeff. Pour qui la captive doit être « globale ».

« Il faut comprendre que les entreprises se trouvent nues face à certains risques, qui peuvent avoir un impact sur tout le cycle de production. Il est donc important que le nouveau dispositif puisse couvrir toute la chaîne de production, de bout en bout », rappelle Brigitte Bouquot, vice-présidente de l'Amrae.

Il existe toujours un certain flou dans les intentions de Bercy quant aux périmètres des risques. Pour les entreprises, il est nécessaire de faire la plus large mutualisation possible des risques au sein de la captive. Mais, le Trésor souhaite néanmoins délimiter son champ d'application. Les débats parlementaires promettent encore d'être ouverts.

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Commentaires 2
à écrit le 08/10/2021 à 7:53
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Bercy, comme une banque ou assurance crée de nouveau service pour soit disant nous simplifier la vie!

à écrit le 07/10/2021 à 18:40
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Bercy dans la voix des banques et assurances veut créer un nouveau dispositif... Et bien sur pour tout simplifier!?

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