Jérôme Kerviel contre la Société Générale : suivez le procès minute par minute

Troisième et dernière semaine d'audience pour le procès de Jérôme Kerviel contre la Société Générale, qui a commencé le 8 juin et s'est poursuivi ce mardi avec sa dixième journée. Avec comme point fort, à lire ci-dessous, l'audition de Daniel Bouton (photo), ex-PDG de la banque. Suivez les débats minute par minute avec notre envoyé spécial Benjamin Jullien.

Troisième et dernière semaine du procés de Jérome Kerviel. Suivez en direct le compte-rendu de l'audience de ce mardi, marquée par l'audition mémorable de Daniel Bouton (photo), ex-PDG de Société Générale. Retrouvez également le compte-rendu de la neuvième journée d'audience, le compte-rendu de la huitième journée d'audience, le compte-rendu de la septième journée d'audience, le compte-rendu de la sixième journée d'audience, le compte-rendu de la cinquième journée d'audience, le compte-rendu de la quatrième journée d'audience le compte-rendu de la troisième journée d'audience, le compte-rendu de la deuxième journée d'audience et le compte-rendu de la première journée d'audience, ainsi que le résumé de toute cette affaire en diaporama animé.

9h48 - Audition de Maxime Kahn

Dixième journée dans le procès Kerviel. Les juges arrivent en retard. Le président demande à l'huissier de faire entrer Maxime Kahn. C'est le "trader" de la Société Générale qui a été chargé de déboucler (céder sur le marché) les positions dissimulées de Jérôme Kerviel, qui atteignaient 49 milliards d'euros. Il est cité par la Société Générale.

Le témoin arrive souriant, visiblement détendu. "Pour moi l'affaire a commencé le dimanche 20 janvier, lorsque mon supérieur Morlat m'a appelé pour me demander de venir le lendemain pour exécuter un ordre de client d'un montant important."

"L'exécution consistait à vendre des contrats à terme ("futures") sur l'Eurostoxx (Euronext), le Dax (Francfort) et le Footsie (Londres), en visant une participation aux volumes de ces marchés de 5 à 10% maximum. Luc François (son supérieur N+2, par ailleur N+5 de Kerviel) me demande de le tenir au courant du débouclage par SMS toutes les trente minutes. Je commence les exécutions à mon poste pendant deux heures, en attendant qu'on m'installe un poste de "trading" dans une salle isolée, de façon à continuer le travail de façon plus discrète."

Il explique qu'une liste d'initiés couvrait toutes les personnes au courant de l'affaire.

"A la fin de la 1er journée, j'envoie un fichier qui détaille les exécutions. Le lendemain matin je repars pour la même journée, avec les mêmes plafonds de participation aux volumes. Au cours de la troisième journée, Luc François me donne les tailles complètes, et on s'aperçoit que ce sera difficile de terminer le débouclage des contrats Dax dans la journée. On décide alors de couvrir le restant en vendant de l'Eurostoxx, car ces deux indices sont très corrélés. Le but étant de terminer l'exécution le mercredi soir. On m'a d'abord dit que c'était un ordre client, mais en voyant le visage crispé des dirigeants concernés je comprends petit à petit qu'il s'agit d'une ordre maison. Mais j'ai d'abord pensé que c'était lié à des couvertures macro d'instruments de crédit, rendus illiquides par la crise. Ce n'était pas cela, même si rétrospectivement ça aurait sans doute été une bonne idée..."

"Jamais je n'aurais pu imaginer ce que j'ai appris le jeudi matin. Kerviel avait pris mille fois les risques que prennent normalement les agents du "front office"."

Le président l'interroge sur les raisons pour lesquelles c'est lui qui a été chargé de cette tâche. Il cite deux facteurs : son expérience du "trading" et le fait qu'il n'avait pas connaissance de l'affaire, ce qui devait lui permettre de gérer les exécutions de façon plus sereine.

"J'ai commencé à la Société Générale en 1996 comme arbitragiste sur les indices actions. C'est une activité sur compte propre, dans laquelle on peut avoir des positions de 10 milliards, mais avec un risque de marché très faible. J'ai fait ça pendant dix ans, avec un mandat et des limites de risques."

10h06 - "Une démarche inadmissible..."

Le président interroge le témoin sur l'importance des limites pour les traders. Un peu comme les limitations de vitesse sur la route : il est arrivé à tout le monde de les dépasser par inadvertance, mais quand on et flashé on ralentit et on revient dans les clous.

Il explique que le rôle des traders n'est pas de faire des "paris" en prenant des positions directionnelles (miser sur la hausse ou la baisse), sauf pour des périodes bien définies et sur la base d'analyses précises.

Le président veut savoir si c'est la nature ou le montant des positions de Kerviel qui posait problème.

"Sa démarche est inadmissible à plusieurs titres. D'abord les ordres de grandeur de ses ordres, de nature à consommer plus que la totalité des fonds propres de la banque."

Le président : "Kerviel dit qu'il voulait attendre mars pour déboucler ses positions, qu'en pensez-vous ?

- si vous m'aviez demandé à l'époque, je n'aurais pas pu répondre, car je n'ai pas de boule de cristal. Rétrospectivement, si on avait eu cette boule de cristal, on aurait pu réduire au mieux la perte de 2 milliards, à 4,2 milliards au lieu de 6,3 milliards [Il évoque la perte totale subie par la banque en janvier, à laquelle il faut déduire la somme de 1,4 milliard gagnée par Kerviel en 2007 pour obtenir le solde final de -4,9 milliards attribué à Kerviel, Ndlr]. Mais sans boule, au pire, on aurait pu perdre, de mémoire, près de 30 milliards."

(voir le document en lien qui retrace la perte latente associée à la position de 49 milliards d'euros, de Jérôme Kerviel)

10h32 - "Je ne fais pas confiance aux traders"

Me Martineau (SocGen) interroge le témoin, qui dirige désormais une filiale de la Société Générale, SG Options Europe.

"Vous employez des traders...vous leur faites confiance ?

- Euh, non, je ne leur fais pas confiance, il y a un certain nombre de contrôles. D'ailleurs les contrôles se sont intensifiés depuis 2008."

Il explique que parmi ses 90 traders, deux ont vocation à prendre des positions directionnelles, mais diversifiées, et prises en fonction de scénarios macroéconomiques ou d'observation statistique de données de marché historiques. On compare alors le rendement espéré de la position et sa volatilité. Le rendement espéré doit être supérieur au risque.

"Ces décisions sont bien sûr prises de façon encadrée...?, demande l'avocat

- oui

- lorsque vous avez débouclé les positions, pendant les deux premières heures, vos collègues pouvaient-il comprendre ce que vous faisiez ?

- non, car chacun a plusieurs écrans

- si d'aventure le marché avait eu connaissance des positions, que se serait-il passé à votre avis si la banque avait décidé de conserver sa position ?

- c'est une question très théorique, car le régulateur n'aurait pas accepté que la banque conserve une position qui la rendait insolvable. En omettant cela, on peut imaginer que le marché n'aurait plus fait confiance à la banque, qui aurait donc fait faillite

- déboucler était donc la seule position ?

- encore une fois, ce n'est même pas la décision de la banque, le régulateur ne peut pas prescrire autre chose car cette position rend la banque insolvable de fait. Il fallait déboucler immédiatement."

10h45 - Trader star ou au potentiel moyen ?

Kahn explique plus tard que la question n'est pas de savoir si rétrospectivement, la position était de nature à être gagnante ou perdante.

Le président relit ensuite les conclusions du rapport Lagarde, réalisé par les services de l'Etat. Le lundi, les Bourses européennes sont en forte baisse, mais le rapport conclut que "les opérations de débouclage ne sont pas la cause de la dynamique très baissière" observée sur les marchés les 21, 22 et 23 janvier 2008.

Jean Veil interroge le témoin : "en omettant les aspects légaux et réglementaires, peut-on annoncer au marché qu'on a une position non couverte de 50 milliards ?

- Non, le marché interbancaire refuserait de prêter à la banque, qui serait rapidement menacée de faillite, comme c'est arrivé pour Northern Rock, Bear Sterns et Lehman Brothers

- A votre avis, vaut-il mieux éviter d'avoir des traders ("front office") qui sont passés auparavant par le "middle office" ? [à l'image de Kerviel, Ndlr]

- Disons que ça représente un risque supplémentaire, mais pour moi ce risque est faible et possible à contrôler. D'ailleurs, parmi mes 90 traders, j'en ai plusieurs qui viennent du "middle-office"."

Interrogé par Me Richard, qui représente cinq actionnaires salariés constitués partie civile, sur le statu de "trader star" attribué à Kerviel par certains témoins, notamment son ex-assistant, il déclare que Kerviel "ne faisait pas partie des gens qui étaient considérés comme ayant un potentiel incroyable". Assis derrière lui, Kerviel encaisse sans broncher.

Me Richard veut savoir si Kahn a lu le livre de Kerviel. "M. Kerviel n'a pas cessé de mentir depuis deux ans, je ne vois pas pourquoi il aurait fait autrement dans son livre", réplique le trader. Le président note qu'avec la couverture médiatique de ce livre, "on a l'impression de l'avoir lu", même si ce n'est pas le cas.

11h - On n'a pas la réponse

Me Metzner s'avance et se plante en face du témoin, les bras croisés. Il revient sur les déclarations de Kahn selon lesquelles les fonds propres de la banque ne lui permettaient pas de prendre une position telle que celle de Kerviel, et lui demande quelle position maximale la banque aurait pu prendre. Le trader explique qu'il ne peut pas répondre car cela dépend du type de position, car la pondération (le coefficient qui convertit le montant des positions en montant de risque) dépend de la nature de position.

Me Metzner insiste.

"Je reprends, dit le trader. La position de 50 milliards de Kerviel aurait consommé entre 20 et 30 milliards de fonds propres, soit presque tous les fonds propres de la banque, alors que ces fonds propres sont déjà consommés par les vraies activités de la banque. La banque ne pouvait donc réglementairement pas prendre une telle position".

Metzner insiste encore, s'accrochant à une interprétation simpliste du ratio Cooke, qui rapporte les fonds propres aux risques qui figurent au bilan d'une banque?

Le président coupe court : "il a répondu ce qu'il estimait devoir répondre.

- Mais on n'a pas la réponse, proteste Metzner

- Eh bien, on n'aura pas la réponse", tranche le président.

11h20 Gérard Rameix à la barre

Après une courte suspension, le président, visiblement irrité, attend que les représentants du ministère public et de la défense reviennent dans la salle d'audience pour reprendre les débats. Il appelle à la barre Gérard Rameix, qui était, au moment des faits, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), alors présidée par Michel Prada. Il a ensuite été nommé Médiateur national du crédit aux entreprises, en remplacement de René Ricol.

"J'ai eu à intervenir le dimanche 20 janvier sur la question de savoir quelles étaient les conséquences à tirer de la situation découverte au sien de la banque pendant le week-end du 19-20 janvier 2008. La banque avait découvert des positions spéculatives importantes que le management se proposait de déboucler. Pour l'AMF, tout information sensible et privilégiée doit être communiquée au public, mais les textes prévoient une exception si l'émetteur a un intérêt légitime à conserver le secret, et la capacité de le faire.

Je n'ai pas eu beaucoup de doutes. Le débouclage me semblait une solution logique, de même que le fait de ne pas informer le marché. Informé, le gouverneur de la Banque de France était du même avis, qui était de bon sens."

Me Veil interroge le témoin.

"Première observation : sur le plan réglementaire, qui pouvait donner l'autorisation de ne pas informer le marché ?

- Ce n'est pas une question d'autorisation. Nous étions dans une procédure informelle où un émetteur nous informe d'un fait pour savoir quelles conséquences nous serions susceptibles d'en tirer. M. Prada et moi-même avons estimé que le mieux était de garder le secret en attendant que la position soit débouclée."

Me Veil donne lecture du passage du règlement général de l'AMF qui précise qu'il appartient dans ce cas à l'émetteur de prendre, sous sa responsabilité, les mesures nécessaires, notamment "en cas de danger grave ou imminent menaçant la survie" de l'émetteur.

"Avez-vous eu le sentiment que SocGen avait utilisé cette fraude pour faire passer l'annonce de ses pertes sur le "subprime" ?

- Non, pour moi ces deux dossiers sont indépendants, le seul lien est chronologique.

- La banque vous avait-elle soumis son communiqué du jeudi 24 janvier annonçant la fraude et la perte sur le "subprime" ?

- Je ne m'en souviens pas bien, car ces jours ont été intenses pour les gens qui ont suivi le débouclage, mais en tout cas nous étions au courant de la stratégie du management de la banque, qui consistait à monter une opération d'augmentation de capital pour pouvoir tout annoncer en même temps.

Me Frédéric-Karel Canoy, qui représente un actionnaire constitué partie civile, s'avance pour interroger le témoin.

"Avez-vous informé votre ministère de tutelle ?

- l'AMF est une autorité indépendante, elle n'a pas de ministère de tutelle.

- D'accord, mais de façon informelle ?

- Je peux vous répondre très précisément : non, je n'ai informé que M. Prada, personne d'autre.

- Des membres du collège de l'AMF, peut-être ?

- Je vous ai répondu : personne d'autre.

- Moi, je pose la question, c'est tout..."

Rameix reprend : "c'était une situation porteuse de grand danger, car la position était importante et le marché, très volatil, était orienté à la baisse. Mon devoir était donc de ne rien dire.

- Avez-vous participé au conseil d'administration de la banque qui a discuté de cette question ?"

Rires dans l'assistance, liés au fait qu'un régulateur n'a rien à faire dans un conseil d'administration. En entendant ce dialogue, on comprend mieux pourquoi Me Veil, le premier jour, a qualifié certaines parties civiles de "touristiques".

 

12h L'audience est levée, reprise à 13h30.

L'audience reprend.

13h34 Kerviel l'écoute en la regardant du coin de l'?il.

Me Huc-Morel (l'un des défenseurs de Jérôme Kerviel) fait projeter des éléments issus d'un CD saisi dans les affaires de Thomas Mougard, qui était l'assistant trader de Kerviel en 2007.

« On nous a expliqué que la base de données Eliot contenait 100 millions d'opérations, ce qui rendrait difficile les vérifications. On se pose donc beaucoup de questions sur la fréquence des contrôles. Ce document montre que chaque jour... [Kerviel glisse quelques mots à l'avocat à voix basse]...il y a une réconciliation des opérations qui figurent dans Eliot [qui rencense toutes les opratiosn des traders, Ndlr] et dans les systèmes du back-office. Vous voyez qu'il y a une vérification quotidienne du nominal des ordres. Or, ceux de Kerviel ont souvent dépassé le milliard d'euros »

Il projette ensuite un autre document. « Ici vous avez un contrôle sur les opérations en suspens et les opérations d'achat-vente..."

Me Veil intervient pour commenter le premier document avant de passer au second : « Je pense qu'on gagnera du temps... »

Claire Dumas (qui représente la partie civile Société Générale) : « Ce document n'est pas du tout contradictoire avec ce que j'ai dit auparavant. L'équipe concernée par ce document a deux responsabilités : le suivi de la base tampon et le rapprochement entre les bases back office et front office. Elle fait donc tourner chaque jour un rapprochement entre Eliot et l'ensemble des bases back-office. Les critères évoqués par la défense sont ceux sur lesquels sont faits les rapprochements. Si sur un de ces critères, il y a un écart, on reçoit une alerte, mais s'il n'y a pas d'écart, il n'y a pas d'alerte. Dans le cas des opérations fictives de M. Kerviel, il n'y avait pas d'écart. Je répète que c'est un contrôle d'intégration des flux entre front et back, pour vérifier que ce qui est émis par le front se retrouve bien dans les systèmes du back-office ».

L'index sur la tempe droite, le majeur sur la bouche, Kerviel l'écoute en la regardant du coin de l'?il.

13h56 "Vous considérez que c'est à l'assistant de contrôler le trader ?"

Me Huc-Morel passe au second document. Il s'agit d'un email d'août 2007, et Claire Dumas figure dans la liste des destinataires.

« Il s'agit de statistiques réalisées à partir des opérations qui alimentent la base tampon. On voit ici qu'il y a 4 opérations qui sont dans la base tampon depuis 5 jours, et en cliquant dessus on voit qu'elles ont toutes été réalisées par Jérôme Kerviel. Idem pour une opération qui est dans la base depuis 5 à 15 jours. Toutes ces informations figurent donc dans un email envoyé au management et aux services de contrôle.

Claire Dumas explique que ces tableaux, produits de façon industrielle, servent à suivre les écarts de façon agrégée pour les réduire. « Les écarts importants se retrouvent noyés au milieu d'écarts moins importants », explique-t-elle.

« M. Mougard a été mis hors de cause pendant l'instruction, mais la banque a estimé qu'il n'avait pas prêté assez d'attention, et il a été licencié.

Metzner : « Vous considérez que c'est à l'assistant de contrôler le trader ?

- L'assistant trader fait partie du middle office, et il est donc un des maillons de la chaîne de contrôle. En l'occurrence, ce maillon a failli. Depuis, nous avons changé d'organisation.

- L'importe laquelle des personnes qui a reçu ce mail pouvait donc avoir accès à ces informations ?

- Je pouvais bien évidement avoir accès à tout cela, mais vu le volume d'informations qu'il contient, je ne crois pas que ça m'aurait appris grand-chose ».

14h06 Confirmations de plus de 1600 opérations.

Le témoin suivant est Isabelle Santenac, commissaire aux comptes (CAC). Elle s'occupait de l'audit légal des activités actions et dérivés actions (GEDS) au sein du cabinet Ernst&Young, l'un des deux CAC de la Société Générale, avec Deloitte.

« Concernant les opérations dissimulées, nous avons été informés par le PDG de la banque, Daniel Bouton, le dimanche 20 janvier 2008, lors d'un comité des comptes [comité spécialisé du conseil d'administration, Ndlr] réuni pour revoir les premiers éléments de l'arrêté des comptes 2007 »

Le président l'interroge sur les observations de son cabinet, présentées en mai 2007 à la banque.

« On avait signalé à la banque que la SocGen avait, comme beaucoup de banques de place, du retard dans le suivi des confirmations concernant les opérations en suspens. La Réserve fédérale américaine (Fed) avait d'ailleurs demandé à 20 banques, dont SocGen, d'améliorer ce suivi. Dès la fin 2006, nous avons estimé que la situation s'était dégradée, et nous l'avons signalé à la Société Générale »

Interrogée par le président, Dominique Pauthe, elle explique que lors de l'arrêté des comptes 2007, son cabinet a demandé les confirmations de plus de 1600 opérations sur des contreparties externes. « On a eu pratiquement toutes les confirmations, et aucune anomalie significative n'est ressortie ».

14h26 Un problème général de suivi des confirmations.

La commissaire aux comptes (CAC) explique que les opérations de Kerviel n'apparaissaient pas au bilan de la banque pour leur valeur nominale, car les positions semblaient couvertes par des opérations fictives.

La Société Générale n'aurait-elle pas pu faire ce travail elle-même en cours d'année ?

- Comme je l'ai mentionné, il y avait un problème général de suivi des confirmations.

- Au 31 décembre, il y avait donc 1600 opérations sans confirmation ?

- Oui, mais la banque respectait sur ce point les objectifs d'amélioration fixés par la Fed.

- Comment se situait la banque à cet égard ?

- Elle se situait dans le milieu du groupe des 20 banques concernées.

- Avez-vous le sentiment que la banque jouait la transparence avec ses CAC ?

- Nous n'avons jamais eu d'élément qui nous fasse penser le contraire.

- Vous avez pourtant signalé que vous ne trouviez pas normal que la banque ne vous ait pas signalé les alertes qui se sont déclenchées.

- Rétrospectivement, oui »

Citant les déclarations du témoin lors de l'instruction, Metzner ajoute qu'elle a aussi jugé « pas normal que la direction des risques, plutôt que l'audit interne, n'ait pas été impliquée, dans la réponse aux deux demandes d'information de la bourse allemande Eurex ».

« A partir de quel seuil considériez-vous qu'une opération était significative ?

- En général c'est 10 % du résultat, donc en l'occurrence autour de 600 millions.

- Donc 1,4 milliard [montant du résultat de Kerviel fin 2007, Ndlr], c'est significatif ?

- Oui.»

«Metzner cite le rapport du président de la banque sur le contrôle interne, qui affirme que le résultat économique des opérations est contrôlé quotidiennement.

14h45 Un costume noir et une cravate...avec des chaussures de chantier !

Le témoin suivant est M. Thierry Felz, professeur de droit monétaire et financier et informaticien spécialisé dans les bases de données. Il porte un costume noir et une cravate...avec des chaussures de chantier !

"Concernant l'affaire Kerviel, j'ai entendu des choses étonnantes. De par mes connaissances des systèmes bancaires, je suis étonné que les opérations de Kerviel aient pu rester aussi longtemps inconnues de ses supérieurs »

« L'architecture d'une salle de marchés, axée sur de grands plateaux ouverts, est faite pour faciliter la circulation de l'information, ce qui facilite la transparence, élément clé pour le fonctionnement du marché ».

Le président : "Autre chose à dire ?

- Euh...non.

- Les propos « étonnants » dont vous parlez remontent à quand ?

- A la révélation de l'affaire.

- Avez-vous une connaissance du fonctionnement des systèmes de la SocGen ?

- Non, ma vision repose sur mon expérience du secteur, des systèmes, des back-office et des liaisons entre les services.

- connaissez-vous M. Kerviel ?

- Non.

- Qu'est-ce qui vous amène à témoigner ?

- Ma surprise qu'on puisse dire que la hiérarchie n'a pas été au courant des opérations de Kerviel.

- Mais comment en êtes-vous arrivé à témoigner ? Par quel processus quasi-mystérieux ?

- Il n'y a pas de mystère : j'ai entendu l'appel à témoin de Jérôme Kerviel à la télévision.

Il répète qu'il existe un ensemble de contrôles généraux à la profession qui auraient du informer la hiérarchie des opérations de Kerviel, vu leur montant.

« Vous dites que la hiérarchie savait ?, lui demande le Ministère public.

- Non, je dis qu'il est fort peu probable qu'elle n'ait pas été informée.

Il décrit deux garde-fous portant sur le montant nominal unitaire des engagements que peut prendre chaque employé, et sur le montant en cumulé.

« Il est reproché à Kerviel d'avoir introduit de fausses informations dans le système, pointe le procureur.

- C'est tout à fait possible qu'il ait introduit ces informations fictives, mais il s'agissait d'un fichier temporaire, et il n'est pas normal que ces informations aient pu rester dans les systèmes plus de 24h sans être détectées ».

Me Metzner fait ensuite dire au témoin qu'il existe tout une gamme d'outils qui permettent à une banque de contrôler l'intégralité de ses opérations.

15h06 Les activités de marché ont-elles une utilité sociale ?

Le témoin suivant est Bertrand Jacquillat, professeur à Sciences-Po Paris (économie financière).

« Il faut replacer l'affaire dans son contexte, qui était double. D'abord, l'environnement économique et financier était assez euphorique entre 2003 et 2007..."

Le professeur se lance dans un exposé qui s'annonce long. Derrière lui, Metzner se lève en faisant une remarque à voix basse, provoquant les rires de son associé, Me Huc Morel, et de Kerviel, avant de quitter la salle d'audience.

Le témoin-professeur explique ensuite que la Société Générale, par sa taille, pouvait passer pour une proie dans le mouvement de consolidation en cours au sein du secteur. Mais en terme de capitalisation boursière, elle talonnait BNP Paribas, notamment grâce à la rentabilité de ses activités de marchés.

« Dans ce contexte, on peut imaginer que les contrôles n'aient pas été à la hauteur de ce qu'ils auraient dû être », estime le témoin.

Tout en continuant son monologue, le professeur, qui porte une cravate vert vif sur un costume anthracite, jette des coups d'oeils réprobateurs en direction des bancs de la presse, dont plusieurs représentants commencent à être franchement dissipés.

Me Veil interroge ensuite le témoin sur « un sujet qui n'a pas beaucoup été traité pendant l'audience » :

« Les activités de marché ont-elles une utilité sociale ?

- J'ai un cours de 2h qui parle de ça, je vous l'épargnerai.

- Le tribunal a confiance dans votre esprit de synthèse, glisse le président

- C'est un vieux débat qui a commencé dans les années 30 entre deux économistes [rires dans l'assistance]... En somme, une keynésienne disait que la finance ne faisait que huiler les rouages de l'économie, tandis que Schumpeter affirmait qu'elle a au contraire une influence.

Il évoque ensuite un article publié il y a bien longtemps « par le quotidien Le Monde, et écrit par Erik Izraelewicz, qui est aujourd'hui à la tête de la rédaction des Echos [Raté, il s'agit en fait de « La Tribune », Ndlr] sur le thème de l'économie malade de la finance ».

Il précise ensuite qu'à la Société Générale, les activités pour compte propre représentaient autour d'un tiers des profits des activités de marché. « A mon avis, cette activité devrait diminuer, au moins pour un moment, d'autant qu'il est beaucoup plus facile de pratiquer cette activité au sein d'un hedge-fund ».

« Sur ces fortes paroles, je tiens à vous remercier », conclut le président. L'audience est suspendue en attendant l'arrivée de Daniel Bouton, l'ancien PDG de la banque, qui a été poussé à la démission à la suite de l'affiare Kerviel et du scandale des stock-options, début 2009.

16h Daniel Bouton à Jérôme Kerviel : "je suis désolé, mon vieux".

La salle des Criées est pleine comme un ?uf. Et pour cause : le dernier témoin du procès est Daniel Bouton, l'ancien PDG de la banque. Il est cité à comparaître par Xavier Kemlin, un actionnaire qui s'est constitué partie civile. Il entre sous le crépitement des flashes qui arrivent de l'extérieur. Mais un autre groupe d'actionnaires, salariés de la banque, et constitués partie civile, ont aussi insisté pour qu'il soit entendu

Il rappelle qu'il a travaillé à Bercy une vingtaine d'années, avant de rejoindre la Société Générale en 1991. Il a fondé une petite société de conseil.

Le président lui demande de jurer qu'il dira la vérité, toute la vérité et rien que la vérité...

Bouton esquisse ce qui ressemble à un salut romain et lance : « M. le président, je ne dirai que la vérité...

- Dites je le jure, ça suffira, coupe le président.

« Je suis heureux de pouvoir témoigner, surtout au regard des comptes rendus de presse que j'ai pu lire », commence-t-il par déclarer.

Il raconte que pendant l'arrêté des comptes 2007, en janvier 2008, est arrivé « une nouvelle extraordinaire, au sens littéral du terme ».

« On vient de découvrir qu'un desk a passé des écritures qui se révèlent être fausses. C'est une catastrophe en soi, car ça veut dire que la confiance est rompue. Deux heures plus tard, on apprend que le trader a substitué l'écriture face à un courtier, Baader, par une opération en face de Deutsche Bank. On apprend auprès de Deutsche Bank que l'opération n'existe pas.

A 3h du matin, le patron de la banque d'investissement me confirme qu'il y a bien une opération fictive, et un profit dissimulé de 1,4 milliard, ce qui est une première dans l'histoire des fraudes bancaires."

Jean-Pierre Mustier l'informe ensuite que la banque a une position dissimulée de 50 milliards.

"Il y a alors 10 étages de plancher qui s'écroulent sous nos pieds. D'abord parce que le trader ne nous en a pas informés. Ensuite à cause du montant. Et enfin, parce que ce n'est pas le métier d'une banque de jouer son destin sur une position spéculative. C'est ce qui m'empêche de croire qu'un supérieur de Kerviel ait pu être au courant"

Il se tourne vers Kerviel : « je suis désolé, mon vieux ».

16h10 Un Shaddock qui aurait « pompé ».

Daniel Bouton explique ensuite que cette nouvelle risquait de pousser les investisseurs à retirer leur confiance à la banque, ce qui l'aurait acculée à la faillite par manque de liquidités. La banque devait donc trouver une solution à annoncer au marché en même temps que le problème. Plutôt que de s'adosser à un concurrent ou de se placer sous la protection de son régulateur, la Commission bancaire, la décision a été prise de lancer une recapitalisation d'urgence.

Il explique ensuite qu'il a décidé, après consultation de l'AMF, de couper les positions le plus vite possible.

Il raconte ensuite que pendant qu'à la banque, une équipe essayait de tirer l'affaire au clair, il a fait le tour des grands actionnaires pour les informer et les convaincre de souscrire à l'augmentation de capital.

« J'ai compris très vite qu'il y avait eu des défaillances dans le contrôle, notamment de la part des supérieurs, autrement une telle fraude n'aurait pas pu arriver. »

Il explique que les deux autres défauts principaux étaient l'absence de contrôle des montants nominaux des ordres et l'absence de centralisation des alertes.

« Ces trois faiblesses, exploitées par un homme qui avait parfaitement compris le fonctionnement des systèmes, ont permis la fraude. Je reste persuadé que les supérieurs de Kerviel ne l'avaient pas vue ».

Il compare Kerviel à un Shaddock qui aurait « pompé » en utilisant le système pour produire non pas un filet d'eau [comme dans le dessin animé des années 1960-1970, Ndlr] mais "un gros bonus".

Il souligne ensuite que Kerviel, alors qu'il voyait l'étau se refermer sur lui, a continué à accroître ses positions.

16h25 Génie malfaisant.

 

« La Société Générale est devenue progressivement l'une des très grandes banques dans le monde. Elle a donc pour contrepartie de très bons professionnels avec lesquels elle est en compétition. Ces professionnels auraient logiquement décidé de nous retirer leur confiance [donc leurs prêts à court terme, source de la liquidité des banques, Ndlr] »

 

Le président : « ce qui est frappant dans ce dossier, c'est que c'est la banque qui a donné naissance à ce phénomène qui aurait pu causer sa perte.

- Si vous permettez, votre remarque est d'ordre général, puisqu'elle s'applique à n'importe quelle fraude bancaire. La fraude en question est bien née au sein de la banque, mais nous n'avons pas imaginé que le génie - malfaisant - d'un trader avait été d'inventer ne activité qui n'entre pas dans les activités normales de la banque. Le desk Delta One n'avait pas vocation à faire des paris sur la hausse ou la baisse des indices »

- Ce service était en train de développer une nouvelle activité [arbitrage des « turbo warrants » de la concurrence, Ndlr], est-ce que ça a pu avoir un rôle ?

- Il s'agissait d'une activité d'arbitrage, dont les positions avaient vocation à être couvertes au plus tard le soir.

Il propose une autre explication :

« Nous étions dans une phase de développement rapide qui mettait en cause la capacité des back-office à suivre toutes les activités. C'est d'ailleurs pour cela que Jean-Pierre Mustier a décidé de réduire les volumes en octobre 2007. Il ne faut pas se raconter d'histoire, nous ne sommes pas dans un drame de Zola, les traders du front office, dans le service de Kerviel pouvaient couvrir leurs positions et partir à 18h30 ».

Le président l'interroge sur les procédures de contrôle interne de la Société Générale.

« Il se trouve que j'ai passé beaucoup de temps sur le contrôle du risque de marché. On a passé beaucoup de temps et investi beaucoup d'argent pour le renforcer. Je me suis focalisé sur le risque de marché, et pas assez sur le risque opérationnel »

Plus tard : « les défaillances des contrôles ont été mis en évidence par la Commission bancaire, je ne peux qu'y acquiescer .

16h39 "Essayez d'être sincère au moins 10 secondes ! Dites à vos collègues pourquoi vous avez failli couler une banque de 150.000 personnes".

Vêtu d'un costume marron à fines rayures beiges, d'une chemise bleue et d'une cravate rouge, l'ancien PDG poursuit : « Notre première erreur a été d'embaucher quelqu'un dont le profil psychologique a débouché sur la situation que nous avons connue »

« Je ne suis pas sûr qu'il existe un système de contrôle qui puisse résister à la qualité des mensonges de Kerviel et à son relationnel exceptionnel avec les services de back office »

« En tout cas, il faut avoir une cellule de lutte antifraude, et nous en avons créé une »

« La fraude est consubstantielle à la banque, car les employés voient passer des sommes très supérieures à ce qu'ils gagnent, et certains ne savent pas résister à la tentation. Seule la répression permet de contrôler cela, et c'est ainsi depuis que les banques existent »

Il explique ses réactions très vives envers Kerviel, qu'il avait alors traité en public de « terroriste », par le fait qu'il a eu peur pour la banque, d'autant que Kerviel s'était refusé à dévoiler ses positions.

Le président appelle à la barre Kerviel, qui s'approche de Bouton. Celui-ci lui lance un regard avant de s'écarter pour le laisser accéder au micro.

« Que pouvez-vous dire par rapport à ce qu'a déclaré M. Bouton ?

- Depuis 3 semaines que ce procès a commencé, j'ai admis mes erreurs. Mais l'idée selon laquelle personne d'autre n'était au courant n'est pas crédible. Mes positions étaient hors de mon mandat quand je perdais, mais pas quand je rapportais de l'argent à la banque.

- Mais sur les répercussions de l'affaire ?

- J'ai conscience d'avoir fait des erreurs, qui auraient pu être graves.

- Vous utilisez le conditionnel ?

- Je me suis mal exprimé, c'est grave, effectivement, pour les actionnaires et les salariés. Je reconnais que j'ai fait des erreurs, je l'ai reconnu dès la garde à vue, mais je ne suis pas d'accord pour qu'on dise que mes actes étaient totalement invisibles."

"C'était complètement débile," conclut Kerviel à propos de ses actes.

Bouton reprend : « Je ne le connaissais pas, je n'ai pas eu envie de le connaître pendant l'enquête, et je ne pense pas que je me précipiterai pour le connaître »

"Mais il m'arrive d'avoir un rêve étrange : que d'ici la fin de ce procès, Jérôme Kerviel reconnaisse deux choses : oui, j'ai menti, j'ai fait cela tout seul, jamais un membre de la hirarchie ne m'a poussé à prendre ne serat-ce qu'une partie des positions extravagantes que j'ai prises. Et aussi, qu'il nous dise ce qu'il a voulu faire, pourquoi est-ce qu'il a fait ça, est-ce seulement pour avoir la fierté d'être un trader qui touche un gros bonus ?"

Il se présente comme un « homme qui a essayé de comprendre et qui n'a rigoureusement rien compris ».

« Je ne veux pas jouer un rôle de réquisitoire, mais il y a 150.000 employés de cette banque, à qui je tire mon chapeau car la banque s'est est bien sortie. Kerviel leur doit une explication. Sa défense ne tient pas une seconde sur le fait que la banque savait et le poussait à faire cela ».

« Essayez d'être sincère pendant 10 secondes, dites à vos collègues pourquoi vous avez failli couler une banque de 150.000 personnes ».

 

16h59 Des paris « encore plus incertains que le Loto ».

Bouton affirme que les positions directionnelles de Kerviel sur les indices européens étaient des paris « encore plus incertains que le Loto ».

Il affirme haut et fort que jamais la banque n'aurait été contente de trouver dans ses comptes un gain de 1,4 milliard généré par des positions cachées, car cela aurait ruiné son crédit « plus vite que cela n'aurait renforcé les fonds propres de la banque".

Sur la question de la crédibilité des explications de Kerviel, il explique que le "jeune et beau Jérôme Kerviel" avait noué de très bonnes relations avec les membres des services de contrôle de la banque.

Il argumente aussi que les contrôleurs n'ont pas eu l'idée de demander à Kerviel de prouver la véracité de ses explications. « Est-ce que le talentueux avocat qui défend Kerviel demande systématiquement à vérifier les pièces sur lesquelles ses clients assoient leur défense ?

- Oui ! s'écrie Me Metzner [Rires dans l'assistance].

- Bravo, concède Bouton en se retournant vers l'avocat.

Le procureur, Jean-Michel Aldebert, demande à Kerviel s'il a conscience "non pas d'erreurs mais de fautes", et s'il veut s'excuser.

« Bien sûr que je regrette et que je reconnais des fautes professionnelles...pénales c'est le tribunal qui en décidera », déclare le prévenu, avant de réaffirmer que ses positions étaient contrôlées quotidiennement par la banque.

- J'en conclus que 50 milliards d'euros ne vous ont pas fait perdre votre sang-froid, M. Kerviel, lance le procureur.

- Ce n'est pas une question de sang-froid », répond-il du tac au tac, avant d'ajouter : « c'est...euh... ».

17h08 "J'ai fait l'objet d'attaques personnelles très violentes".

Me Valeanu, qui représente 5 actionnaires salariés constitués parie civile, interroge Daniel Bouton sur les conséquences de l'affaire, notamment pour les actionnaires salariés. L'ex PDG explique que pour lui, tous les salariés sont égaux, et qu'il n'y a donc pas de raison de proposer une indemnité particulière aux salariés.

« Je comprends la formidable colère des salariés, qu'ils soient actionnaires, comme ils le sont presque tous, ou non. Ils ont eu raison d'être furieux, d'autant qu'ils se sont fait engueuler pendant des mois par leurs clients. Je suis resté un actionnaire significatif de la banque, et je partage complètement leur émotion. Ils se sont battus de manière formidable, et grâce à eux la SocGen est l'une des banques qui a bien résisté à la crise, et à cette fraude ».

C'est au tour de Me Richard, l'autre avocat des 5 actionnaires salariés : « Vous êtes certainement le meilleur communiquant et le meilleur avocat de la banque. Après ce compliment, comment expliquez-vous qu'on ne voit jamais de manifestation de soutien à M. Bouton, alors qu'il y en a pour Kerviel ?

- Après l'affaire, j'ai fait l'objet d'attaques personnelles très violentes, et des milliers d'employés sont alors descendus au pied de la tour SocGen pour me défendre.

- C'est vous qui avez fait de la Société Générale ce qu'elle est devenue aujourd'hui. A l'époque, vous disiez à vos traders qu'ils pouvaient gagner plus d'argent que vous. On a comparé la SocGen à une Ferrai pendant cette audience, mais les traders n'étaient-ils pas des pilotes de Formule 1 qu'on aurait laissé prendre toujours plus de risques ?

- Je suis désolé mais vous venez de dire une contre-vérité. Quand j'ai pris les commandes, 49 % des fonds propres étaient alloués aux activités de marché. Je n'ai fait que m'inscrire dans ce développement, et je l'ai voulu beaucoup plus contrôlé que par le passé. Nous avons fait passer les fonds propres dédiés aux marchés à 30 %, car je voulais que la banque marche sur deux jambes [une expression empruntée à Mao, Ndlr], les activités de marché et la banque de détail. Il n'y a pas beaucoup de domaines dans lesquelles la France a un leader mondial, c'est le cas de SocGen dans les activités de dérivés actions, malgré ce qu'a fait mon voisin de droite [Kerviel, Ndlr] »

Il rappelle que le groupe a ouvert des banques de détail dans une dizaine de pays.

« La Société Générale n'est pas Barclays ou Deutsche Bank », qui se sont concentrée sur les activités de banque de financement et d'investissement, au service des grandes entreprises.

Me Richart reprend : « Si M. Bouton pouvait répondre un peu plus rapidement, car j'ai encore deux questions... » Rires dans l'assistance.

Il cite le fameux « rapport Bouton » de 2002 sur la gouvernance et le contrôle interne.

« Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir appliqué les préconisations de votre rapport ?

Bien entendu que je regrette tous les jours ce que j'ai fait vivre à la banque et à ses salariés. Je n'ai pas eu le génie de communiquer par télépathie avec Kerviel pour deviner les positions monstrueuses qu'il prenait »

C'est au tour de Me Frédéric-Karel Canoy, qui représente M. Kemlin, la partie civile qui a cité Daniel Bouton. « Vis-à-vis des actionnaires, comment réparer leur préjudice ? Doivent-ils aller aux Etats-Unis se joindre à la « class action » en cours contre la banque ?

- Je ne peux malheureusement rien pour indemniser le préjudice des salariés. Concernant les actionnaires, les effets de la fraude sur le cours de l'action SocGen sont mélangés avec ceux de la crise financière. La réponse, c'est que la banque a résisté, et le mieux à faire est sans doute de rester actionnaire ».

Me Metzner interroge à son tour Daniel Bouton. Il rappelle que ce n'est pas lui qui l'a cité. « Vous avez posé la question de savoir pourquoi Kerviel avait fait ça. Vous avez utilisé le mot « génie », puis le mot « débile »...

- Le génie, c'est celui de la dissimulation et du mensonge. Débile, c'est la nature des positions qu'il a prises.

- Pourtant, on voit dans les documents de la banque que Kerviel a pris des opérations de 18 milliards en nominal. Comment la banque a-t-elle pu laisser passer ça ?

- Ce point est extrêmement important. La SocGen est-elle un bateau ivre ? La « valeur en risque » [VaR, mesure du risque de marché, Ndlr] n'a pas augmenté entre 2001 et 2007. Donc, il est faux de dire que nous avons augmenté les risques. Et l'activité de dérivés actions a toujours gagné de l'argent, même pendant la crise, à l'exception de la fraude de Kerviel.

- Mais Kerviel a passé des opérations qui sont restées pendant des semaines dans le système sans qu'on s'en aperçoive, je ne dis pas qu'on l'a encouragé, mais comment expliquez-vous ça ?

- Je note avec beaucoup de satisfaction que Me Metzner ne dit plus que la banque savait, mais que la banque pouvait savoir, ou qu'elle devait savoir. Mais les débats ont montré que les supérieurs n'avaient pas conscience des actes de Kerviel. D'ailleurs, quand on entre dans l'inconcevable, il est très difficile d'avoir conscience ».

17h40  Qui êtes-vous donc, M. Kerviel ?

 « Trouvez-vous normal qu?on ait laissé Kerviel prendre de telles positions ? interroge Metzner.

- J?ai reconnu tout à l?heure que l?une de nos erreurs a été de ne pas voir lors de son embauche qu?il avait une tentation du type : « je viens d?apprendre qu?il n?y avait pas de radar sur cette route, je vais rouler à 195 km/h même si c?est limité à 130 ». Metzner a raison de dire au général du bataillon de gendarmerie censé surveiller cette route qu?il est responsable de la mort du passant tué par ce chauffard. Et nous avons fait une deuxième erreur, celle de ne pas avoir foutu Kerviel à la porte quand nous l?avons pris sur le fait en 2005 ».

 Daniel Bouton accuse ensuite Me Metzner « d?embrouiller la cour en disant que la Société Générale était au courant des positions de Kerviel, en faisant un amalgame » entre les opérations techniques, alors dites fictives, qui servaient à gérer les écarts de méthode, et les opérations fictives de Kerviel : « Nous sommes dans l?ordre du sophisme pur »

 Metzner lui demande ensuite s?il n?a pas été touché par la mort du trader qui s?est suicidé après avoir été pris en dépassement de ses limites début 2007. Bouton s?énerve une seconde :

« M. le président, puis-je demander à Me Metzner de retirer cette remarque », dit-il très fort, en tournant le dos à l?avocat.

Metzner refuse de retire sa remarque.

« Est-ce que vous ne croyez pas, Me Metzner, que je suis extrêmement marqué par cette affaire [?] ?» reprend Bouton.

 Metzner lui demande ensuite s?il connaît la banque IEC Bouton répond que non : « c?est la bad bank qui porte les 35 milliards d?actifs toxiques de la Société Générale », dit Metzner en retournant vers sa chaise.

« Me Metzner quitte le prétoire sur une belle sortie soigneusement préparée », ironise Bouton.

- Pas vraiment », fait remarquer le président.

Metzner fait mine de se relever. « Restez assis, maître ! » s?exclame le président.

 Après cette scène, son audition étant finie, Bouton déclare, en guise de conclusion :

« Je suis triste, Me Metzner ».

 Le président appelle maintenant Kerviel à la barre. C?est sa dernière occasion de s?exprimer avant le réquisitoire et les plaidoiries. Il répond les bras croisés, en se tassant légèrement pour parler en face du micro.

 « Vous avez pu voir que depuis 15 jours, le tribunal n?a pas été avare en matière d?écoute. J?estime que son information est maintenant suffisante, sous réserve de ce qui sera dit dans les plaidoiries. Mais il y a une question dont nous n?avons pas fait le tour. Mais qui êtes-vous donc, M. Kerviel ?

- Je suis quelqu?un qui a essayé de faire son travail le mieux possible. Je prends ma part de responsabilité, j?ai commis des fraudes, qui ont été encouragées par mes supérieurs. Je reconnais mes fautes, je les avoue. J?ai pris conscience du milieu dans lequel j?étais, je ne veux plus y mettre les pieds. J?assume ma pleine et entière responsabilité »

 Il affirme ensuite qu?au sein de la banque, les employés sont persuadés que ses supérieurs savaient : « Sans l?aval et le laisser-faire de la hiérarchie, ça ne serait pas arrivé [?] Je ne sais pas quel était leur degré de connaissance, mais il était flagrant que j?étais en dehors des clous pendant toute l?année 2007 ».

 Puis : « On dit que j?ai contourné tous les contrôles. Mais vous avez vu que tout est contrôlé quotidiennement. On a vu que le millier d?opérations fictives que j?ai faites étaient visibles. Moi je n?ai contourné aucun contrôle, les contrôles ont fonctionné, mais la banque n?en a pas tenu compte.

- Ou vous avez su y répondre, note le président.

- Dans le dossier, on voit seulement les opérations en fin de mois, car en cours de mois personne ne s?en souciait, ce n?est que quand les commissaires aux comptes arrivaient qu?on cherchait des justificatifs ».

 "J'ai conscience d?avoir été trop loin."

Le président : « J?ai l?impression qu?effectivement, il est difficile de vous faire sortir de votre schéma, intellectuellement.

Kerviel proteste : « J?ai changé de point de vue, puisque mon objectif était de faire entrer de l?argent dans la banque, et aujourd?hui je me rends compte que c?était débile, complètement.

- Mais aujourd?hui, c?est la Société Générale qui se constitue partie civile, et qui vous réclame 4,9 milliards. Est-ce que c?est à la hauteur de ce que vous avez fait ? Humainement ?

- Jean-Pierre Mustier a dit pendant l?audience que je mourrais avec ça, et c?est vrai, j?ai conscience d?avoir été trop loin.

- Etiez-vous fait pour être trader ?

- Probablement que non, avec le recul.

- Mais n?auriez-vous pas pu vous sortir du trou dans lequel vous étiez ?

- C?est toujours facile de refaire l?histoire après coup?

- Certes, mais?

- Si j?avais arrêté fin 2007, avec mon résultat dissimulé, j?avais de quoi m?assurer des bonus importants pendant 10 ans. Donc, si j?ai continué, ce n?était pas pour l?argent, mais j?étais complètement déconnecté de la réalité. Au second semestre 2007, je gagnais entre 5 et 50 millions d?euros. J?ai été pris d?un excès de confiance ».

Il n?y a pas de mystère Kerviel

- Est-ce que pour vous, le trading repose effectivement sur la confiance ?

- Non, car il y a de la concurrence entre les traders d?un desk, entre les desks?Il m?est arrivé qu?un collègue profite d?une erreur que j?ai fait pour gagner de l?argent sur mon dos ».

 Plus tard, il affirme de nouveau que « tout se sait, tout se voit, tout s?entend » dans une salle de marchés.

« N?avez pas d?autres choses à dire au tribunal ? demande le président, l?air grave. C?est la dernière perche que je vous tends?

- Non

- Donc on sait tout sur vous ?

- Je pense, oui

- il n?y a pas de mystère Kerviel ?

- De mon point de vue, non »

 Le procureur prend la parole. Il cite à Kerviel un extrait de son livre qui décrit « l?engrenage » du milieu de la finance et des marchés. « Avez-vous eu l?impression que vos collègues étaient broyés et hors de tout contrôle, comme vous le dites de vous-même ?

- En l?espace de trois ans, on a augmenté mes objectifs de 1700%. Oui, il y a une forte pression sur le résultat, c?est pour ça que j?ai transféré du résultat à mes collègues, qui flippaient de ne pas atteindre leurs objectifs ».

Me Reinhart : « Vous aimez bien la presse, et la presse vous sert bien?en toute loyauté d?ailleurs », précise-t-il en réaction aux protestations des journalistes. Il cite un article de la revue américaine « The New Yorker » qui raconte une scène entre Jérôme Kerviel et son frère Olivier dans laquelle, en mars 2007, Kerviel aurait fait part à son frère de ses positions cachées et de son inquiétude au sujet des contrôles.

Kerviel indique qu?il découvre cet article, et que les éléments sont complètement faux. « J?ai vu tellement de trucs romancés depuis le début de l?affaire que je ne les compte plus, c?est tout ce que j?ai à dire là-dessus.

-C?est un torchon ! » proteste Me Metzner. Il qualifie l?article en question de « roman » en jetant l?imprimé sur la table qui est devant lui.

 

Pendant le procès, M. Bouton joue au golf, répète Me Metzner.

 

Kerviel explique qu?il a fait ce livre pour donner sa version de l?histoire, selon lui travestie par la presse, et non comme un plaidoyer en vue du procès.

Me Richard intervient à son tour. Il précise qu?en breton, « ker » signifie « château fort ». « Puis-je moi aussi vous demander de sortir de votre château fort, qui ressemble aujourd?hui à une citadelle assiégée [?] Vouliez-vous être un trader star ?

- Non, je ne voulais pas être un trader star, ni toucher un gros bonus, même si on ne crache pas dessus à la fin de l?année. J?ai du mal à comprendre que le fait de vouloir faire gagner de l?argent à son employeur soit suspect »

 Me Metzner :

« Vous avez lu les comptes-rendus du procès dans la presse, avez-vous vu que pendant ce temps, M. Bouton joue au golf ?

- Oui, j?ai vu ça, dit Kerviel dans un demi-sourire amer.

- Pendant le procès, M. Bouton joue au golf, répète Me Metzner.

Ce sera la conclusion de la journée. Demain, les plaidoiries des parties civiles.

 

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