Les banques vont-elles décoller en Bourse en 2024 ?

Les banques européennes n’ont jamais été aussi profitables depuis la crise de 2007 mais leurs valorisations en Bourse restent en-dessous des moyennes historiques. Après les profits records en 2023, le secteur bancaire pourrait pâtir d’une récession et d’une baisse des taux d’intérêt en 2024. Mais la faible valorisation du secteur serait un atout dans un scénario d’atterrissage en douceur de l’économie en zone euro.
La banque britannique Natwest est la championne du taux de distribution aux actionnaires. Les banques européennes distribuent 60% de leurs bénéfices.
La banque britannique Natwest est la championne du taux de distribution aux actionnaires. Les banques européennes distribuent 60% de leurs bénéfices. (Crédits : Luke MacGregor)

2024 marquera-t-il le retour des valeurs bancaires ? La remontée des taux d'intérêt et l'absence de crash sur l'économie ont permis aux banques européennes de renouer avec la profitabilité, qui se rapproche des 12 % en moyenne, selon les estimations d'Axiom Alternative Investments (AI). De son côté, l'agence de notation S&P estime que deux tiers des banques européennes publieront des résultats avant impôts en 2023 plus élevés qu'en 2022 et que « de nombreuses banques sont susceptibles d'atteindre un rendement des fonds propres tangibles (ROTE) d'au moins 8 % auquel elles aspiraient pendant des années ».

Le courtier Jefferies rappelle même, dans sa dernière note sur le secteur bancaire, que le troisième trimestre « est le treizième trimestre consécutif de dépassement (du consensus) des bénéfices pour les banques européennes ». Seules les banques britanniques ont déçu ce trimestre, l'impact positif sur la hausse des taux commençant à s'estomper.

Le tableau est moins flatteur sur les valorisations. « Nous sommes dans une phase inédite où il y a une décorrélation entre la progression des valorisations et la progression de la rentabilité du secteur », observe Antonio Roman, gérant de portefeuille chez Axiom AI.

Certes, l'indice Stoxx 600 Banks a grimpé deux fois plus vite que l'indice général Stoxx 600 depuis le début de l'année (13% contre 6%). La superformance est même de 60 % depuis septembre 2020. Mais les valorisations restent historiquement bon marché, autour en moyenne de 6 fois les résultats estimés pour 2024 (contre 9 fois en 2021), selon les estimations de Jefferies, et entre 0,8 et 0,9 fois la valeur comptable (actif net). « Le prix du marché reflète une chute peu vraisemblable de 40% des bénéfices en 2024 », souligne ainsi Axiom AI dans une note.

Rendement élevé

Les raisons de cette mauvaise performance sont multiples, et surtout anciennes. Le secteur a été secoué par une succession de crises dont il ne s'est jamais véritablement remis comme, pour citer les plus récentes, la chute des marchés en 2018, la mise sous cloche de l'économie lors du Covid en 2020 ou bien, en mars dernier, la crise de liquidités de banques régionales américaines, qui s'est transformée en crise de confiance en Europe et qui a finalement provoqué la chute du Crédit Suisse.

Cette faible valorisation du secteur, associée à des profits élevés, se traduit également par une situation inédite : le secteur bancaire affiche le rendement le plus élevé, tous secteurs confondus, en Bourse. Selon Axiom AI, le rendement cash (dividendes et rachat d'actions) est de l'ordre de 11% en moyenne pour les banques européennes, et grimpe même à 15 % en tenant compte des revenus non distribués (augmentation des fonds propres).

Depuis longtemps déjà, le secteur est associé à une valeur de rendement. Mais jamais les banques ont consacré autant de ressources à rémunérer leurs actionnaires : les banques européennes distribuent chaque année en moyenne 60% de leurs bénéfices. Et le taux de distribution à trois ans (2023-2025) équivaut à un tiers de la capitalisation boursière, avec des champions de la distribution comme la Britannique NatWest, l'Italienne UniCredit et la néerlandaise ABN Amro. L'annonce de nouveaux plans de rachats d'actions, comme récemment HSBC, vise à convaincre les indécis à investir dans ces valeurs décotées.

Nuages en 2024

Certains experts mettent cependant en garde les acheteurs. Dans une note publiée le 30 octobre, Mislav Matejka, responsable de la stratégie des actions chez JPMorgan, recommande même de vendre à découvert les actions des banques européennes, après les bons résultats de 2023.

Selon cet expert, le ralentissement économique, voire la récession, et la forte probabilité que les taux aient atteint un pic, auront un impact négatif sur les bénéfices futurs du secteur. L'agence de notation S&P, qui avait récemment relevé sa perspective sur le secteur à « stable », n'est pas loin de partager cette opinion. « Nous pensons que les bénéfices cycliques pourraient bien atteindre leur maximum en 2023 pour de nombreuses banques. (...). Cela dit, nous ne prévoyons pas de chute importante des bénéfices en 2024, notamment parce que de nombreuses banques verront les rendements de leurs positions de couverture augmenter, ce qui pourrait compenser la hausse des charges d'intérêt », indique ainsi l'agence dans une note publiée le 21 novembre.

La banque américaine engrène pêle-mêle les facteurs qui pourraient peser sur la rentabilité : la baisse des rendements obligataires, la réduction du soutien de la Banque centrale européenne, l'augmentation potentielle des réserves obligatoires non rémunérées, mais surtout, une montée du coût du risque en cas de dégradation de la conjoncture.

Le danger d'une baisse des taux

Reste que l'évolution des taux est une source d'inquiétude. La hausse des taux s'est d'abord répercutée sur l'actif (les prêts) avant de peser sur le coût des dépôts. Cet effet net sur l'actif et le passif varie néanmoins d'une banque à l'autre. Il pénalise les banques qui affichent une duration longue de leur actif, comme les banques françaises ou allemandes, mais il avantage les banques avec des actifs à duration courte (crédit à taux variable) et avec des dépôts à faible coût sur un marché peu compétitif, comme dans la plupart des pays du Sud (Italie, Portugal, Grèce ou Espagne).

Reste que, en moyenne, sur la zone euro, le coût global des dépôts est de l'ordre de 1% - ce qui est historiquement faible - alors que le taux moyen des nouveaux prêts (production) se rapproche des 5 %. Cette marge d'intérêt s'est donc rapidement reconstituée pour la majorité des banques mais l'impact positif sera décalé pour les banques françaises et allemandes. A moins que les taux refluent brutalement en 2024.

« Une baisse des taux obligataires courts n'est pas automatiquement négative pour les banques. Il faut regarder comment la marge d'intérêt se décompose et surtout la pentification de la courbe des taux, c'est-à-dire le taux à cinq ans vs le taux à trois mois», prévient Antoni Roman. Une hausse du coût des dépôts peut être ainsi largement compensée par une production de crédit à des taux plus élevé et la fin de l'effet négatif des couvertures sur les dépôts (contrat swap où la banque va payer un taux variable et recevoir un taux fixe). Une baisse des taux devrait néanmoins générer un sentiment de marché négatif sur le secteur et entraîner un courant vendeur.

La clé reste la qualité de crédit

Mais, pour beaucoup, ce qui compte avant tout, c'est la qualité du crédit. Dans une véritable récession, les entreprises pourraient être nombreuses à faire défaillance, d'autant que le coût du crédit est élevé. Et ce sont les faillites et le taux de chômage, et non les marges, qui mettent le secteur bancaire à rude épreuve.

« Les banques disposent toujours de provisions de précaution, de l'ordre de 25 à 30 points de base, qui représentent déjà un cycle de récession », tempère David Benamou, gérant de portefeuille chez Axiom AI, très positif sur le secteur. « Ce buffer de sécurité devrait largement protéger la rentabilité du secteur », ajoute-t-il.

« Si le marché de l'emploi tient, tout tient », résume un gérant hésitant sur le secteur.  Qui reconnaît que l'atterrissage de l'économie en zone euro se fait finalement en douceur, et non au prix d'une récession, alors les actions bancaires sont « bon marché ».

Performances contrastées pour les banques françaises

Les banques françaises sont à la traîne. Les raisons en sont connues : l'effet positif de la hausse des taux a été largement amorti par des crédits à taux fixe et un coût élevé des livrets d'épargne. De plus, les banques françaises ont tendance à lisser l'effet des taux sur les résultats, via des couvertures. Les performances des trois banques cotées (BNP Paribas, Crédit Agricole SA, Société Générale) sont cependant contrastées en 2023.

Société Générale reste le mauvais élève avec un recul de 5 % en Bourse depuis le début de l'année. La banque a eu la mauvaise idée d'ajouter début 2022 une couverture à deux ans pour parer une éventuelle baisse des taux. Mauvais pari. Résultat, une performance catastrophique en 2023 sur les activités de retail en France, notamment au troisième trimestre, alors que BNP Paribas a été plus prudent en la matière et que LCL (filiale de Crédit Agricole SA) a plutôt joué gagnant sur sa couverture.

De plus, Société Générale, pour renforcer la crédibilité de sa communication financière, a jugé bon de relever son objectif de ratio CET1 à 13 % (alors que BNP Paribas l'a maintenu à 12%), ce qui se traduit par moins de distribution de profits aux actionnaires et plus de fonds propres à rémunérer. La réaction du marché fut violente à court terme. La banque est l'une des moins chères du secteur en Europe (0,4 fois son actif net 2024, selon Jefferies) et son redressement de son cours dépendra de sa capacité à délivrer du résultat opérationnel. A l'autre extrême, Crédit Agricole SA a gagné près de 20 % depuis janvier, ce qui en fait désormais la banque française la mieux valorisée, au niveau de ses pairs européens (0,8 fois l'actif net). Cette performance s'explique par des résultats réguliers mais aussi par le soutien du cours par les Caisses régionales du Crédit Agricole, qui sont montées au capital de Crédit Agricole SA. Un soutien qui fera défaut en 2024.

Enfin, BNP Paribas a également souffert de sa banque de détail, mais limite la casse avec une hausse de 6 % du cours de son action depuis janvier, grâce à une politique de retour aux actionnaires généreuses. Cette valeur, au profil résilient, pourrait se réveiller en 2024, notamment en cas de ralentissement économique : à 0,6 fois son actif net, BNP Paribas est une valeur bon marché malgré son statut de banque leader en zone euro.

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Commentaire 1
à écrit le 23/11/2023 à 7:38
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Ouais on a de bons missiles sol-air en France !

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