Le secteur bancaire européen profite à plein de la hausse des taux

Pour l’instant, tout va bien pour le secteur bancaire en Europe. Après des profits exceptionnels en 2022, les banques européennes profitent à plein de la montée des taux pour reconstituer leurs marges d’intérêt. Seule exception, les banques françaises, du moins dans leurs activités de détail en France. Selon l’agence de notation Standard & Poor’s, la perspective du secteur est relevée à stable et beaucoup de banques européennes ont vu leur notation s’améliorer cette année. Selon Allianz GI, le secteur bancaire est aujourd’hui la meilleure opportunité sur le marché du crédit.
La banque centrale européenne a porté son taux de refinancement à 3,75% alors la rémunération par les banques des dépôts est de 0,9% en zone euro.
La banque centrale européenne a porté son taux de refinancement à 3,75% alors la rémunération par les banques des dépôts est de 0,9% en zone euro. (Crédits : Kai Pfaffenbach)

La banque suisse UBS vient d'annoncer son intention de rembourser, à la première échéance (call) le 28 novembre prochain, 700 millions de dollars singapouriens (483 millions d'euros) de dette AT1 (Alternative Tier-1). Et la banque pourrait même émettre à nouveau ces titres hybrides assimilés à des fonds propres. Un retour très attendu, du moins pour sa portée symbolique.

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Lors du rachat de Credit Suisse par UBS en mars, dans le cadre d'un plan de sauvetage, les détenteurs de titres AT1 du Crédit Suisse ont vu en effet leur investissement réduit à zéro sur décision du régulateur - soit 17 milliards de dollars effacés d'un trait de plume - provoquant au passage de multiples poursuites judiciaires (pour un montant de 9 milliards de dollars) et la quasi-fermeture du marché des AT1, autrefois prisé par les banques.

Les obligations AT1 ont été spécialement créées pour absorber les chocs, selon certains critères, comme par exemple un ratio de solvabilité qui passerait sous le seuil des 7%. Mais les investisseurs y voyaient des obligations à haut rendement (finalement peu risquées), alors que les superviseurs jugeaient ces titres comme des coussins de sécurité à utiliser en cas de problème.

Quelques émissions cet été, notamment celle de BNP Paribas en dollars, ont un peu réanimé le compartiment. Les marchés de dette ont généralement la mémoire courte. Mais l'appétit n'est plus vraiment là.

« Les AT1 sont des titres attractifs quand l'environnement macroéconomique est bon et que les taux sont bas. Aujourd'hui, les taux sont hauts, l'environnement plus incertain et les rendements élevés pour les dettes les moins risquées. Alors pourquoi prendre inutilement du risque ? », explique un gérant taux.

Meilleure opportunité pour le crédit

De fait, les investisseurs ont eu l'embarras du choix alors que les banques ont multiplié les émissions, de toute nature, notamment en obligations foncières (covered bond), pour pallier la fin du programme de refinancement de la Banque centrale européenne (LTRO). Le stress de marché du printemps dernier est bien oublié.

« Le secteur bancaire est l'opportunité la plus attractive du marché du crédit aujourd'hui », estime même Simon Outin, directeur de la recherche sur le secteur financier chez Allianz Global Investors.

Le secteur bancaire européen (zone euro) affiche, en moyenne, un ratio de solvabilité CET 1 (common equity tier-1) élevé de 15,9% au 30 juin, et un ratio de créances douteuses bas, autour de 2%. Bref, des chiffres qui n'ont jamais été aussi bons depuis dix ans. La qualité de la notation de crédit du secteur en Europe s'en ressent.

Les améliorations de notes de crédit sont supérieures aux dégradations, souligne l'agence de notation Standard & Poor's, dont la perspective sur le secteur en Europe est désormais stable. L'agence a même relevé sa perspective de notation à « positive » sur Deutsche Bank, qui avait été sérieusement secouée par la crise de confiance bancaire au printemps dernier. Beaucoup de banques sont également sorties du segment high yield (haut rendement, risqué) pour rejoindre le segment investment grade (pour les entreprises notées entre AAA et BBB-), relève Allianz GI.

Exception française

La profitabilité des banques est entrée « dans une autre dimension », selon l'expression de Simon Outin. La profitabilité (ROE) moyenne est désormais proche de 11%, selon les chiffres de l'EBA (European Banking Authority), contre... 2,5% il y a trois ans ! Les banques ont en effet bénéficié à la fois d'une liquidité qui est restée très abondante et d'une remontée rapide des taux d'intérêt, ce qui a eu un effet, mécanique et quasi-instantané, sur les revenus. La marge nette d'intérêt, longtemps proche de zéro, voire négative, oscille désormais entre 1,2% et 2,6 %, soit 1,6 % en moyenne agrégée, selon l'EBA.

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Certaines banques dans des pays où les taux variables sont la règle et les dépôts à vue abondants, comme en Espagne, ont vu leurs revenus sur le marché domestique progresser de 20 ou 30% ! C'est d'ailleurs dans ces pays à taux variable que les débats politiques sur une taxe exceptionnelle ont été les plus vifs (Espagne, Italie).

Cela a un effet dopant sur les revenus de la banque de détail, surtout dans les pays où règnent le taux variable et le dépôt à vue, comme l'Espagne ou, dans une moindre mesure, l'Italie. Ce n'est donc pas un hasard si les débats sur l'imposition d'une taxe exceptionnelle sur le secteur bancaire ont été les plus vifs dans ces pays.

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Les banques françaises sont, en revanche, les seules à ne pas avoir amélioré leur marge nette d'intérêt, qui traîne toujours sous le seuil des 1%. Les raisons en sont connues : une épargne réglementée qui augmente le coût du passif et des crédits immobiliers (mais aussi aux entreprises) à taux fixe qui bride la performance de l'actif.

« La marge nette d'intérêt des banques de détail en France a globalement été négativement impactée par la hausse des taux », confirme une étude confidentielle d'Accuracy sur les résultats au second trimestre des principales banques françaises.

L'atout des dépôts non rémunérés

Mais ce qui fait la force du secteur bancaire européen est la grande stabilité de ses dépôts à vue. Le ratio prêt sur dépôt, un indicateur très suivi, est inférieur à 100%, compris entre 70 et 80%. Une exception cependant, les banques françaises qui affichent un ratio supérieur à 100%, en raison notamment de la centralisation d'une partie de l'épargne réglementée auprès de la Caisse des dépôts.

En clair, les banques peuvent prêter à taux variable sur une ressource, les dépôts, qui leur coûtent en moyenne que... 27 points de base, autant dire, rien. Le ménage européen optimise peu son épargne, contrairement aux ménages américains. Moins de 10% des dépôts à vue ont été réalloués en un an par les ménages vers des produits d'épargne plus rémunérateurs, avance ainsi Allianz GI.

Ces dépôts sont donc peu rémunérés (89 points de base, tous dépôts confondus), mais ils rapportent désormais 400 points de base lorsqu'ils sont centralisés auprès de la BCE. L'enjeu n'est pas mince, sachant que les banques européennes ont environ 1.600 milliards d'euros en « excess deposit » auprès de la BCE.

Quelques nuages à l'horizon

« Nous voyons deux sources de risque pour 2024 », souligne Nicolas Charnay, directeur chez S&P, « une dégradation du marché de l'emploi, et par conséquent, du coût du risque et la normalisation de la liquidité avec un début de "resserrement quantitatif" en zone euro ».

Alors que la BCE devrait faire une pause sur la hausse des taux directeurs, la question de la liquidité pourrait en effet devenir « le sujet » de 2024. Il existe plusieurs leviers pour diminuer les liquidités. Le remboursement cette année par les banques du programme LTRO en est clairement un. La prochaine étape est moins claire.

La BCE a promis de nouvelles communications d'ici la fin de l'année sur ce qu'elle compte faire après, notamment sur la question des réserves obligatoires des banques (environ 165 milliards d'euros), qui sont non-rémunérées et ne sont pas prises en compte dans les ratios de liquidité, dont le taux a été ramené de 2% à 1% en 2012. L'idée serait de revenir à un taux de 2%, voire même à 4%, ce qui pèserait inévitablement sur le profit des banques.

Enfin, reste l'arme ultime pour faire de la liquidité, la vente d'actifs par la BCE, qui se contente pour l'heure de ne pas réinvestir les obligations arrivées à échéance (resserrement quantitatif passif). Les effets d'une telle politique sont difficiles à prévoir, notamment si les taux longs devaient à nouveau grimper. « Nos études montrent que les banques vont reprendre une partie de ce risque sur leurs bilans », estime Nicolas Charnay. « Nous avons eu un choc de taux nominal, mais le choc de taux réel est devant nous », prévient-il néanmoins.

Un coût du risque qui reste faible

Pour l'instant, les entreprises ont su conserver leur marge, car les taux d'intérêt réel sont restés négatifs. En cas de désinflation et de taux maintenus à des niveaux élevés, l'équation sera plus difficile à résoudre pour les entreprises. Avec en filigrane, une « normalisation » du coût du risque, qui reste aujourd'hui exceptionnellement bas, autour de 25 points de base en 2023. Le pari est que l'amélioration des marges couvre une éventuelle hausse du coût du risque.

Si les banques n'ont jamais été aussi profitables qu'en 2022, elles ont clôturé un excellent premier semestre 2023. Même les six principales banques françaises ont réussi à dégager 21,7 milliards d'euros de résultat avant impôts au 30 juin, grâce à la diversification de leurs activités, selon les derniers chiffres de l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution).

La question aujourd'hui est de savoir si les banques pourront poursuivre leur croissance en J de leurs revenus ou si le point d'inflexion sera atteint avant la fin de l'année, avec notamment une dynamique du crédit qui faiblit. La publication des résultats au troisième trimestre qui débute apportera un début de réponse.

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Commentaires 3
à écrit le 25/10/2023 à 14:30
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De beaux profits en perspective après un krach obligataire tout azimut poussant les USA à renflouer des banques régionales criblées de moins values latentes et de capitaux sales orientaux extrêmement volatiles bien qu'en principe non assurés par l...

à écrit le 24/10/2023 à 18:19
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A vrai dire on ne s'en faisait pas pour elles.

à écrit le 24/10/2023 à 16:55
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Pour l'instant tout va bien? 🤡Un billet visant à rasséréner, mais derrière se cache le principe même de "la théorie des bulles" et le néo-féodalisme financier. Passant tantôt d'une prospérité relative et temporaire (croissance/bulles) à la ruine perm...

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