« Mettre en place l’indispensable transition énergétique coûte très cher » (Jean-Laurent Bonnafé, BNP Paribas)

Jean-Laurent Bonnafé, 62 ans, directeur général de BNP Paribas, regrette que le financement de la transition énergétique prenne du retard en Europe.
Le directeur général de BNP Paribas, mercredi, à Paris.
Le directeur général de BNP Paribas, mercredi, à Paris. (Crédits : ⓒ Albert Facelly pour La Tribune du Dimanche)

Entré en 1993 dans le groupe bancaire tout juste privatisé, cet X-Mines en a pris la tête en 2011.

Le patron de la banque JP Morgan et le président de la Banque mondiale viennent d'alerter sur les risques d'une « période dangereuse ». Partagez-vous leurs craintes ?

Nous sommes confrontés à des drames successifs, avec leurs cortèges d'abominations. Une guerre se déroule depuis vingt mois déjà en Ukraine. Et donc en Europe. Les attaques terroristes en Israël et la situation qui en découle, dramatique pour les populations touchées, traduisent une montée supplémentaire des tensions planétaires, mais aussi l'absence de dialogue et la fragmentation du monde. Il est donc difficile de concevoir des scénarios fiables de prévisions économiques. Mais des volumes très significatifs de matières premières transitent par le Proche-Orient et le Moyen-Orient. Des conséquences assez considérables sur l'économie mondiale pourraient se matérialiser, si la situation se dégradait davantage.

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Êtes-vous inquiet ?

Je suis vigilant. Il faut une mobilisation des diplomaties et des États pour éviter l'embrasement de cette région du monde. Il faut aussi relayer des messages d'humanité. Trouver une boussole commune, pour éviter des fractures supplémentaires. D'autant plus que plusieurs autres facteurs fragilisent toujours l'économie, dont l'inflation, qui n'a pas disparu.

Les taux d'intérêt élevés sont-ils encore justifiés ?

L'Europe a bien davantage ralenti que les États-Unis, où l'activité se maintient à un niveau très élevé. L'Allemagne est particulièrement touchée. Il ne faudrait donc pas tarder à amorcer une baisse des taux d'intérêt, de façon à préserver le tissu économique européen. C'est à la BCE que reviennent les décisions en la matière. Mettre en place l'indispensable transition énergétique coûte très cher et s'inscrit dans le temps long. Des investissements massifs sont et seront nécessaires. Toutes les technologies ne sont pas encore abouties, loin de là, comme l'illustrent les difficultés rencontrées dans le secteur des batteries. Changer de modèle coûte très cher. Nous sommes aujourd'hui à la frontière de deux mondes.

Quelles sont vos priorités dans ce contexte ?

Nous sommes concentrés sur l'accompagnement de nos clients pour les aider à traverser les cycles et réussir la transition énergétique. Pour nos métiers au service des entreprises, BNP Paribas est aujourd'hui la première banque européenne, grâce à une stratégie constante, conduite depuis dix ans. Dans nos métiers de banques de détail, notre approche de développement reste locale, du fait notamment de divergences réglementaires trop marquées entre les différents pays de l'UE.

Où en êtes-vous dans la transition énergétique ?

Nous accélérons fortement, en mobilisant tous nos moyens pour accompagner des projets permettant de substituer les énergies bas carbone aux énergies fossiles. Le groupe est ainsi devenu le numéro un mondial des green bonds, les émissions obligataires vertes, alors qu'il n'est plus que 26e mondial pour les émissions obligataires du secteur pétrolier et gazier. En 2022, 60 % de notre portefeuille de crédits à la production d'énergie finançaient déjà la production d'énergies bas carbone. Nous visons 80 % d'ici à 2030. Mais nous devrions y parvenir plus tôt, dans le courant de l'année 2026, en réduisant entre autres nos financements à l'exploration-production pétrolière de 80 %. Nous déployons cette stratégie de transition dans tous les secteurs, en sélectionnant des projets et des entreprises dont les trajectoires d'émissions de gaz à effet de serre diminuent dans la durée.

Et pour les particuliers ?

Les objectifs sont identiques, tant pour les ménages que pour les TPE. Nous finançons l'achat de voitures électriques et hybrides, tout comme la rénovation des logements. Nous souhaitons pouvoir offrir de la mobilité par différents moyens, avec un ensemble de services destinés à évoluer dans le temps, en fonction des progrès technologiques. Là encore, la transition coûte cher. Une étude récente démontre que financer l'achat d'un véhicule électrique et la rénovation énergétique d'un logement représente quatre ans de capacité d'épargne pour un foyer moyen. Des accompagnements publics restent donc essentiels. Il s'agit d'un sujet collectif : la rénovation énergétique demeure hors de portée pour un certain nombre de ménages.

En 2022, 60 % de nos crédits à la production d'énergie finançaient la production d'énergies bas carbone. Nous visons 80 % d'ici à 2030.

Une crise du logement se manifeste en France. Comment l'enrayer ?

Les taux d'intérêt très bas, voire négatifs, ont persisté longtemps et provoqué mécaniquement une forte hausse des prix dans l'immobilier résidentiel. Un phénomène commun à toute l'Europe, mais encore accru par la rareté de l'offre en France. Il faut désormais que les prix s'ajustent significativement. C'est un préalable indispensable pour relancer le crédit immobilier, beaucoup plus onéreux dans ce nouveau contexte de taux élevés. Mettre en chantier suffisamment de logements est absolument nécessaire, en repensant les normes définies dans le neuf, peut-être excessives, ainsi que le processus de décision pour l'attribution des permis de construire. Le logement est un domaine critique par excellence et doit être une priorité nationale.

Face à la puissance du plan américain, l'Europe a-t-elle mis en place un cadre adapté au financement de la transition énergétique ?

Les États-Unis sont un marché intégré, doté d'une politique fiscale unique et efficace, à la différence de l'Union européenne. Un tel plan ne peut se concevoir de ce côté-ci de l'Atlantique. En matière de financement de la transition énergétique, la réponse européenne reste à construire, pour l'essentiel. Il faudra en particulier s'appuyer sur les initiatives des différents pays, sans en entraver la bonne marche du fait d'un cadre européen parfois trop rigide.

Regrettez-vous l'absence d'un marché européen des capitaux ?

Bien sûr. Dans ce domaine, l'Europe est au point mort. Rien n'avance depuis vingt ans. On a peur de voir grand, alors que nous nous mesurons à des géants. Le risque est réel que des investissements se réalisent ailleurs, là où ces marchés sont plus puissants. Les marchés de capitaux sont un levier essentiel pour accompagner et financer la transition énergétique dans son ensemble, comme l'économie plus généralement.

BNP Paribas est aussi engagé dans l'économie sociale. Avec quels résultats ?

Nous sommes partenaires d'un large réseau d'associations, développé naturellement grâce à notre métier de proximité. Les émeutes de 2005 en région parisienne nous ont servi de révélateur, le groupe étant le premier employeur privé de Seine-Saint-Denis. En 2019, nous avons permis à une vingtaine d'associations de se réunir à Paris au sein d'un même lieu, L'Ascenseur, pour promouvoir concrètement l'égalité des chances, par l'insertion, des stages ou du financement social. De nombreux salariés du groupe sont également très engagés à titre personnel et nous soutenons leur démarche. Il me semble que la formation est l'un des enjeux essentiels : trop de jeunes sortent encore du système scolaire sans diplôme, ou avec une formation inadaptée. D'où l'importance de déployer un réseau de terrain pour y remédier. C'est aussi le sens de l'initiative « La France s'engage », à laquelle nous participons. Cette dimension de l'économie sociale et solidaire est un élément clé de cohésion pour la société tout entière, où la volonté d'entreprendre est aujourd'hui plus forte, ce qui est un grand motif d'optimisme.

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Commentaires 6
à écrit le 31/10/2023 à 14:48
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BNP Paribas, 5ème banque mondiale en matière de financement de projets pétroliers et charbonniers, vient donner des leçons? Réorientez vos financements, et après venez parler de transition énergétique.

à écrit le 31/10/2023 à 0:43
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Bonjour, Visiblement avec les événements actuels, les matériaux stratégiques vont devenir rares et chers, le métier du recyclage doit évoluer sinon ceux ci vont rejoindre la ferraille et brûlés. Un exemple j'ai appris que le carbure de tungstène ét...

à écrit le 30/10/2023 à 7:41
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Ce n´est pas seulement la transition énergétique qui coûte cher : c´est l´énergie tout court. Or profitant des circonstances, les gouvernements ont vendu l´énergie en dessous du coût réel total, ce que ce gouvernement actuel a continué avec son boucl...

le 30/10/2023 à 8:52
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si l energie est plus chere, il est clair que ca va avoir des impacts sur l immobilier (qui etait plutot caliné par Macron jusqu a peu ( PTZ ou le PInel). Avec des couts de chauffage plus elevés, les gens vont devoir habiter plus petit ou faire comme...

le 30/10/2023 à 12:48
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@cd : une solution serait d arrêter cet étalement urbain, donc que l urbanisme soit conçu par des grandes comcom, qui peuvent se permettre du personnel qualifié bien payé et des élus d un certain niveau. Or Macron se fout du rembrement territorial (o...

à écrit le 29/10/2023 à 9:22
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Faire une "transition énergétique" pour continuer dans l'erreur, ne semble vraiment pas une bonne option; c'est vouloir continuer à se construire un monde artificiel ! ;-)

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