Natixis largue les amarres d’H2O AM en pleine tempête

La banque souhaite se séparer de sa sulfureuse filiale de gestion d’actifs dans le cadre d’un vaste plan de réorientation stratégique et de réduction des coûts. Le divorce doit être prononcé d’ici la fin de l’année 2021.
La filiale H2O AM pouvait représenter jusqu'à 10% des résultats de banque Natixis
La filiale H2O AM pouvait représenter jusqu'à 10% des résultats de banque Natixis (Crédits : Charles Platiau)

Natixis souhaite céder sa participation de 50,01 % dans la société de gestion d'actifs H2O AM, basée à Londres. La banque cherche ainsi à couper ses liens avec un affilié qui défraye la chronique depuis la révélation , en 2019, par le Financial Times, de ses investissements dans des actifs illiquides, liés à un homme d'affaires allemand controversé, Lars Windhorst, et la suspension de huit de ses fonds par l'Autorité des marchés financiers (AMF)  en août dernier.

Cette affaire avait révélé un défaut dans le contrôle des risques chez Natixis, mais aussi la grande vulnérabilité de la banque vis-à-vis d'une petite boutique de gestion qui pouvait contribuer jusqu'à 10% de ses résultats.

La chute des commissions de « superformance » au troisième trimestre est largement imputable au gel des fonds H2O AM, habitués, ces dernières années, à des performances exceptionnelles. Ces commissions ont été ramenées à 39 millions contre 192 millions d'euros un an plus tôt. Et c'est sans compter le risque réputationnel pour la banque, et sa maison-mère, le groupe coopératif BPCE, les fonds H2O étant largement distribués en France auprès d'une clientèle de particuliers, y compris dans les réseaux des Caisses d'Epargne et des Banques Populaires.

Rude coup pour H2O AM

« H2O AM ne fait plus partie de nos actifs stratégiques », a ainsi déclaré, jeudi soir lors de la présentation des résultats trimestriels, Nicolas Namias, le tout nouveau directeur général de Natixis. « Nous avons engagé des discussions avec le management (de H2O AM) sur un dénouement progressif et ordonné de notre relation, qui porte à la fois sur le capital et sur la distribution », précise-t-il. « Il n'est pas prévu aujourd'hui de faire intervenir un tiers dans cette opération », a-t-il ajouté. Cette séparation doit être effective d'ici la fin 2021.

« H2O souhaite, à l'expiration de la période de lock up de dix ans, prévue par le pacte d'actionnaire, amorcer une nouvelle étape de son développement », confirme de son côté H2O AM. La société de gestion entend donc « poursuivre sa croissance en se recentrant sur sa gestion global macro ».

Le coup est néanmoins rude pour H2O AM. L'adossement à un grand groupe bancaire est un puissant levier commercial pour attirer la clientèle institutionnelle et rassurer les distributeurs, comme les assureurs ou les conseillers en gestion de patrimoine (CGP).

Il prive également H2O AM de l'accès à la plateforme de distribution de Natixis Investment Managers (NIM) qui permet à ses affiliés de distribuer leurs produits partout dans le monde, notamment aux Etats-Unis. Toutefois, la société de gestion avait déjà repris son autonomie en France pour la distribution de ses fonds auprès des CGP. Mais le doute est désormais de mise sur l'avenir de cette franchise, créée il y a dix ans par deux stars du marché obligataire, Bruno Crastes et Vincent Chailley.

Natixis serre les boulons

Cette décision n'est toutefois pas surprenante. Depuis l'été 2019, et plus encore depuis la suspension des fonds le 28 août dernier, Natixis a été maintes fois interpellé sur l'avenir de son partenariat avec H2O AM. Elle s'inscrit dans le cadre d'un vaste plan de réorganisation de Natixis, qui accumule les déboires depuis plusieurs années avec, à la clé, une réduction des coûts (350 millions d'euros à l'horizon 2024) et du profil de risque (recentrage des activités de dérivés actions et du financement de l'énergie).

En revanche, la banque réaffirme sa confiance dans son modèle multi-boutiques pour la gestion d'actifs, « qui est plus fort que jamais et qui a su démontrer sa forte résilience », souligne Nicolas Namias. « Nous avons même renforcé notre gestion des risques et de la conformité. Notre le modèle est plus fort aujourd'hui qu'il ne l'était il y a un an », avance le dirigeant.

Préserver l'intérêt des clients

Pour Natixis, cette rupture intervient au moment le plus opportun pour H2O AM et ses clients. « Notre priorité était de traiter le sujet des actifs illiquides dans le meilleur intérêt des clients. C'est ce que nous avons fait avec l'opération de « side pocketing » (cantonner les actifs privés dans des fonds spécifiques NDLR). C'était la condition sine qua non avant d'envisager une évolution de notre partenariat », explique Nicolas Namias.

Et pour la banque, cette condition est désormais remplie. Pour preuve que la situation est désormais stabilisée, souligne Natixis,« moins d'un milliard d'euros » (sur environ 20 milliards) a été décollecté depuis la réouverture des fonds le 13 octobre dernier.

Les investissements illiquides de H2O AM, liés au sponsor Lars Windhorst, ont incité les régulateurs à imposer le 28 août la suspension des trois fonds (porté à huit), une intervention jamais vu depuis 2008 lors de la crise financière des subprimes. Même après la réouverture, une part importante des fonds des investisseurs est toujours bloquée dans les fonds « SP » illiquides, le plus souvent valorisés à zéro par les assureurs dans les contrats d'assurance-vie.

Les assureurs ferment les souscriptions

« Cette opération est un véritable cauchemar administratif, les assureurs n'étaient pas du tout prêts à gérer ce genre de situation, ni même d'ailleurs par le valorisateur», témoigne un conseiller en gestion de patrimoine.

Plusieurs des plus grandes compagnies d'assurance-vie françaises (Axa, Cardif, Spirica Generali...), qui constituent le socle de la distribution en France des fonds H2O, via l'assurance-vie, ont suspendu les souscriptions ces dernières semaines. Alors que les institutionnels français et les banques privées ont largement déserté le navire, H2O AM aura fort à faire pour convaincre ses clients et distributeurs retail de lui rester fidèles.

« Beaucoup de clients se souviennent des performances passées et restent toujours largement gagnants sur leurs investissements », soutient un CGP. Reste à savoir si le temps passé pour gérer désormais ces fonds vaut toujours la chandelle.

Convaincre les clients de rester

La tâche s'annonce ardue pour les équipes commerciales d'H2O AM. La communication sur les actifs privés a été jugée défaillante par beaucoup. Un comble pour une société de gestion qui a bâti sa marque sur la transparence et la liquidité.

Une question revient sans cesse, sans réponse satisfaisante : pourquoi H2O a investi dans ces actifs illiquides, en prenant des positions importantes sur chaque ligne, contrairement à la règle d'or de la diversification des risques ? Surtout pour une performance annualisée de l'ordre de 1 à 1,5 % alors que les stratégies global macro pouvaient dégager jusqu'à 15 à 20 % de performance annualisée.

Ce sont ces liens forts entre H2O AM et le financier allemand que le Financial Times avait l'an dernier dénoncé. Bruno Crastes reconnaît désormais une « erreur ». Mais l'explication reste un peu courte. « Le principal risque reste aujourd'hui une sanction de l'AMF », avance un CGP, qui ne souhaite pourtant pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

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