Paiements : pourquoi le soutien à Worldline est aussi un enjeu de souveraineté

Crédit Agricole SA vise un double objectif dans sa prise de participation minoritaire dans le groupe spécialisé dans les paiements Worldline : consolider d’une part son partenariat en France avec le groupe et donner, d’autre part, un signal au marché que le groupe peut toujours jouer un rôle de premier plan dans l’Europe des paiements, qui tarde pourtant à se manifester.
Après une succession de coups durs, le groupe pourrait dévoiler lors de la présentation de ses résultats une nouvelle orientation de sa stratégie.
Après une succession de coups durs, le groupe pourrait dévoiler lors de la présentation de ses résultats une nouvelle orientation de sa stratégie. (Crédits : GONZALO FUENTES)

Depuis plusieurs semaines, après notamment les pannes de paiement qui ont affecté en novembre plusieurs grandes enseignes, l'idée faisait son chemin au Crédit Agricole : il fallait sauver le soldat Worldline, un des leaders des paiements en Europe, héritier du savoir-faire français monétique français.

C'est chose faite avec l'acquisition par Crédit Agricole SA d'une participation minoritaire de 7 % dans Worldline, pour un investissement estimé autour de 260 millions d'euros. Une opération qui vise clairement deux objectifs. Un, consolider un partenariat signé l'été dernier et visant à créer une co-entreprise en France dans le service d'acquisition de paiement pour les commerçants (service qui permet au marchand d'encaisser un paiement effectué par un client). Cette coentreprise devrait être opérationnelle cette année, une fois obtenue, ce qui n'est pas encore le cas, le feu de différentes autorités de supervision dont l'Autorité de la concurrence.

Une valorisation en chute libre

Deux, et c'est sans doute le plus important, donner un signal au marché, aux actionnaires de Worldline, aux banques et aux autres acteurs partenaires, sur la viabilité et la pérennité de l'entreprise de paiement qui a traversé l'enfer. En moins de trois mois, Worldline aura successivement vécu un avertissement sur résultats, une chute de plus de 60 % de son cours de Bourse et sa sortie du coup de l'indice phare du CAC 40, des pannes informatiques et enfin la résiliation forcée de contrats avec des commerçants en Allemagne.

La maison Worldline, qui a multiplié les acquisitions ces dernières années à travers l'Europe, jusqu'à afficher une place de leader, a finalement craqué sous le poids d'une intégration plus difficile que prévu des entités acquises et d'un endettement net élevé de 1,8 milliard d'euros (le double en tenant compte des montants dus aux commerçants). Résultat, le groupe capitalise à peine sept fois ses résultats estimés à douze mois contre plus de 26 fois ses résultats estimés en 2019.

Mille-feuille de solutions

Car Worldline, ex filiale d'Atos, est également le symbole de cette Europe des paiements appelée de ses vœux par les politiques mais qui n'a jamais existé en réalité. A chaque pays européen, son propre écosystème de paiements ou presque, avec ses prestataires de services, ses banques, ses standards qui ne communiquent pas toujours, voire même parfois ses schemes cartes domestiques, comme Cartes Bancaires en France. Et pour un groupe comme Worldline, aux ambitions internationales, cela se traduit par de nombreuses acquisitions, par un immense portefeuille d'applicatifs ou de solutions disparates et adaptées à chaque pays. Le groupe a d'ailleurs signé des partenariats similaires à celui conclu avec le Crédit Agricole en Allemagne ou en Italie.

C'est bien ce mille-feuille que Worldline doit aujourd'hui gérer dans une Europe morcelée. A ce titre, le timing de l'opération du Crédit Agricole ne doit rien au hasard : il s'agit de rassurer les actionnaires et les créanciers de Worldline avant la présentation des résultats annuels le 28 février prochain, qui sera probablement l'objet d'annonces stratégiques sur un changement de cap privilégiant la stabilisation des parts de marché, la réduction des coûts au-delà des 250 millions d'euros annoncés l'an dernier, et la promesse de solutions plus paneuropéennes.

« Nous ne voyons pas de solution rapide aux problèmes clés identifiés, ce qui signifie que l'année 2024 sera une année de transition », estime le courtier Jefferies dans une note.

Une Europe des paiements en panne

Alors que les banques françaises, Crédit Agricole en tête, ont porté le projet paneuropéen European Payments Initiative (EPI), dont Worldline est l'un des partenaires industriels, personne ne pouvait se permettre de laisser l'un des rares groupes européens dans les paiements, avec le groupe italien Nexi, partir à la dérive. Ce sont ces groupes -qui se battent avec leurs solutions domestiques face à des géants comme Apple, Meta ou PayPal- qui pourront peut-être bâtir demain de nouvelles solutions paneuropéennes, dans l'acceptation des paiements, voire la compensation.

Les grandes banques européennes ont également un rôle à jouer car elles ont également intégré de grosses usines dans les paiements, à l'instar de BNP Paribas, BPCE ou Crédit Agricole. « Il y a la nécessité d'une prise de conscience par les politiques au plan européen qu'il ne pourra pas y avoir de souveraineté européenne dans les paiements tant que les Etats et les banques privilégieront les solutions domestiques », estime Hervé Sitruk, président de France Payments Forum.

Peut-être que cette entrée de Crédit Agricole au capital de Worldline, tout comme la mise sur les rails du projet EPI après des mois d'atermoiements, sonnent comme le début de cette prise de conscience des enjeux.

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Commentaires 4
à écrit le 25/01/2024 à 7:51
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Souveraineté et finance sont opposés, ils ne peuvent pas travailler ensemble.

à écrit le 25/01/2024 à 0:44
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Sauf que la France est aussi un pays qui protège ses banques des autres sociétés de paiement européennes.

le 25/01/2024 à 9:38
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pas faux...

le 25/01/2024 à 9:38
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pas faux...

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