Paiements : « Un tiers de notre chiffre d’affaires sera récurrent d’ici à cinq ans » (Laurent Blanchard, PDG d’Ingenico)

ENTRETIEN. Après un long parcours dans le secteur des technologies, notamment chez Cegid, Laurent Blanchard, arrivé chez Ingenico au printemps 2023, a rapidement mis en place la nouvelle stratégie d’Ingenico, leader mondial des terminaux de paiement, après le rachat de cette société pionnière de la monétique par le fond américain Apollo auprès de Worldline. Face à des concurrents de taille et des nouveaux acteurs Tech, Laurent Blanchard précise pour La Tribune sa feuille de route et ses ambitions pour le groupe dans un univers en rapide transformation.
Le PDG d'Ingenico, Laurent Blanchard, estime que son marché adressable  peut tripler dans les années à venir.
Le PDG d'Ingenico, Laurent Blanchard, estime que son marché adressable peut tripler dans les années à venir. (Crédits : DR)

Ingenico fait partie de ses sociétés historiques qui ont créé la monétique « à la française », à l'orée des années 80. Une aventure industrielle, liée au boom de la carte à puce, autre invention française, qui permet encore aujourd'hui au groupe de partager la quasi-totalité du marché des terminaux de paiement, avec son principal concurrent, l'américain Verifone. Un savoir-faire, notamment en termes de sécurisation des transactions, protégé par de nombreux brevets mais aussi par l'État Français qui a longtemps veillé à ce que Ingenico ne file pas chez les Américains ou les Chinois.

Mais le contexte a changé. Les terminaux de paiement ne sont plus considérés comme un actif stratégique ou de souveraineté, même si la digitalisation des paiements incite de plus en plus de commerçants à s'équiper de terminaux. L'arrivée de nouveaux acteurs, comme SumUp, ou de nouvelles technologies, comme le softPOs qui permet de transformer des mobiles en terminaux de paiement, ont fait vaciller Ingenico. Son rachat par Worldline, alors en pleine gloire, en 2020 a fini par plonger la société dans un demi-sommeil. Et quand Worldline a souhaité revendre son acquisition deux ans plus tard, les candidats ne se sont pas bousculés au portillon. C'est finalement un fonds d'investissement américain Apollo qui rachète Ingenico en décembre 2022. Avec au programme : une nouvelle équipe de direction et une nouvelle stratégie.

LA TRIBUNE - Qu'est-ce le rachat d'Ingenico, en décembre 2022, par le fonds d'investissement américain Apollo a changé depuis un peu plus d'un an ?

LAURENT BLANCHARD - La première chose qui a fondamentalement changé est notre relation avec nos clients, qui sont des banques ou les « acquéreurs » (sociétés de paiement en charge de collecter les paiements pour le compte du commerçant). Cette relation s'est considérablement simplifiée car nous ne sommes plus, du fait de notre appartenance au groupe Worldline, potentiellement un concurrent avec nos propres clients. Un grand acquéreur américain m'a ainsi confié quelques semaines après ma nomination chez Ingenico : « nous pouvons désormais avoir une discussion stratégique ! ». Cela nous a permis d'être plus à l'écoute sur un marché très dynamique, d'être capable d'entendre les défis auxquels sont confrontés nos clients pour réduire leurs coûts opérationnels, réduire leur taux de perte de clientèle, les commerçants, qui peut s'élever à 20 ou 25% par an, et aussi pour faire face à de nouveaux entrants qui arrivent sur le marché avec un modèle intégré.

Quelle stratégie avez-vous mise en place depuis votre nomination en mars 2022 ?

Nous avons décliné une stratégie à trois étages. Le premier étage concerne l'acceptation des paiements, que ce soit sur des terminaux de paiement électroniques physiques (TPE), soit via des logiciels. C'est notre métier historique, sur lequel nous sommes un leader mondial, présent aux quatre coins du globe. L'enjeu est de continuer à innover en interne mais aussi en acquérant des savoir-faire. C'est notamment ce que nous avons fait avec l'acquisition en mars de la société Phos qui a développé une technologie softPOs, permettant de transformer une tablette ou un smartphone en TPE.

Mais ne pensez-vous pas que le modèle historique du terminal d'encaissement est sur le déclin et qu'il va falloir engager une transformation stratégique plus radicale ?

Nous sommes une des rares sociétés françaises à toucher près d'un milliard de consommateurs dans le monde. Nous sommes une fintech qui vient transformer le commerce. Combien d'entreprises françaises peuvent dire cela ? Nous travaillons avec 1.500 clients, qui sont les plus grandes banques ou les plus grands acquéreurs. Nous sommes à notre juste place et nous continuerons d'innover pour rester le leader dans l'acceptation. Mais les besoins de nos clients changent et nous devons les accompagner avec de nouvelles offres. Au total, je pense que nous pouvons tripler le marché adressable.

Quelles sont ces nouvelles offres ?

Tout d'abord, et c'est le second étage de notre stratégie, nous visons la gestion des flottes de terminaux de paiement, dont le nombre peut atteindre plusieurs dizaines de milliers, une tâche qui est traditionnellement assurée par les banques ou les acquéreurs. Certains de nos clients ne savent souvent pas où se trouvent les terminaux, ou comment les remplacer rapidement en cas de panne. C'est pourquoi nous venons de lancer une offre de gestion, Manage 360, une solution hébergée dans le cloud, et qui permet d'identifier, de géolocaliser, de réactualiser ou de réparer à distance les terminaux de paiement. Déjà de grandes banques françaises et australiennes ont manifesté leur intérêt, comme d'ailleurs quelques grands acquéreurs américains. C'est un marché qui devrait être aussi important que celui de l'acceptation des paiements, soit entre 4 et 5 milliards de dollars dans le monde. Enfin, dernier étage de notre stratégie, sans doute la plus parlante, est celle de l'amélioration de l'expérience, à la fois pour le consommateur mais aussi pour le commerçant. Après la pandémie, nous nous sommes tous rendus compte que le point de paiement était devenu aussi un point de commerce, que le paiement en soi faisait partie de l'offre commerciale d'un marchand. Notre objectif est donc de proposer la meilleure expérience possible. Vous évoquiez une technologie du passé, mais un terminal de paiement est un concentré de technologies, dans un environnement ultra réglementé et sécurisé. Un terminal de paiement, c'est 400 brevets et aucun droit à l'erreur.

Quelles sont les demandes des commerçants ?

Elle est simple : garder le plus longtemps possible la relation avec son client. Il doit donc faciliter la vie de son client, fluidifier au maximum son paiement et lui proposer toute la palette de modes de paiement sur le marché, de la carte au wallet en passant par d'autres solutions de paiement alternatif, comme le paiement fractionné. Nous proposons donc à nos clients l'accès à tous ces différents types de services, comme une app store dans laquelle les commerçants peuvent faire leur marché en fonction de leurs besoins.

Ces évolutions vont-elles transformer le modèle économique d'Ingenico ?

La gestion de flottes de terminaux et les API pour améliorer l'expérience du paiement relèvent en effet d'un modèle financier différent, avec des revenus récurrents. Nous sommes donc en train de transformer l'entreprise qui était essentiellement « hardware », avec une facturation à l'acquisition des terminaux à une entreprise à facturation récurrente. D'ici cinq ans, un tiers de notre chiffre d'affaires sera récurrent, contre quelques pourcents aujourd'hui.

Dans le domaine des paiements, de véritables mastodontes émergent ces dernières années, sans parler des GAFAM qui affichent de solides appétits de conquête. L'indépendance d'Ingenico n'est-elle pas menacée à terme sur un marché en voie de consolidation ?

L'industrie des paiements est sur un marché très structuré et finalement beaucoup plus simple qu'il ne paraît. Vous avez l'acceptation du paiement, puis l'acquisition de la transaction, le processing de la transaction par des opérateurs, comme Visa ou Cartes Bancaires, et le retour de la boucle. Ce sont des domaines relativement différents, avec toutefois un caractère commun, la sécurité et la réglementation. Et dans cet univers, nous travaillons avec tout le monde. Nous menons cinq pilotes avec Mastercard et nous avons annoncé un important partenariat avec Visa pour lutter contre la fraude

Vous ne redoutez pas la concurrence d'Apple qui lance sa fonction pour transformer un iPhone en TPE ?

Apple n'est pas un concurrent mais un partenaire ! Il n'a pas de solution softPOS et donc il est bien obligé de travailler avec des acteurs tels que nous. Ensuite, il ne faut pas surestimer la part de marché de ces terminaux de paiement mobiles. Ils répondent certes à des besoins spécifiques de petits commerçants ou artisans itinérants, ou comme terminal d'appoint en point de vente, mais un TPE revient quand même moins cher qu'un smartphone, sans parler des problèmes d'encaissement de factures et de notifications sur un smartphone privé. Cette solution restera une solution de niche, pour des petits montants.

Envisagez-vous de réduire le nombre de vos ingénieurs en France ?

Non car l'innovation reste une priorité. Nous avons trois centres en innovation, en France, en Inde et en Chine. En tout, plus de 1.500 ingénieurs, dont 406 en France. C'est notre richesse.

L'Europe parle beaucoup de souveraineté dans les paiements. Qu'en pensez-vous en tant qu'acteur français mais présent dans le monde ?

L'industrie des paiements est une industrie réglementée et sécurisée qui doit continuer à l'être avec l'open banking. Mais c'est à l'Europe de montrer que ses nombreuses initiatives sont pertinentes. Dans un autre secteur, celui de l'intelligence artificielle, l'Europe se montre très pertinente avec un certain nombre de garde-fous tout en stimulant l'innovation. Dans le paiement, les textes doivent également favoriser l'innovation.

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