[Article mis à jour à 19h10]
Deux ans après le référendum britannique sur le Brexit, le 23 juin 2016, et neuf mois avant la sortie effective du Royaume-Uni de l'Union européenne, le 29 mars 2019, les relocalisations annoncées par les banques étrangères se font attendre. Au lendemain du vote, plusieurs grandes banques, américaines, britanniques ou asiatiques, avaient indiqué qu'elles devraient se préparer au scénario du pire, au "hard Brexit" et à la perte du "passeport européen" qui leur permet de démarcher et servir les clients du marché unique (grandes entreprises et institutions publiques) depuis Londres.
Francfort paraissait tenir la corde devant Paris, concurrencée également par Dublin, Luxembourg ou Amsterdam. Personne ne croyait pour autant à un "Brexodus", un exode massif de banquiers vers l'Europe continentale.
Une enquête de l'agence Reuters au printemps a montré que les banques présentes à Londres avaient divisé par deux leurs anticipations de redéploiement d'effectifs lié au Brexit depuis l'automne, en particulier vers Francfort : environ 5.000 postes seraient susceptibles d'être relocalisés, dont un peu plus de 2.200 à Paris.
« Il y a un an, tout le monde disait que Paris était dans les choux, que tout irait à Francfort. En réalité, ce sont souvent les entités juridiques qui ont été implantées à Francfort, qui reste une ville régionale. Paris est la seule autre capitale mondiale en Europe après Londres et elle mène aujourd'hui en termes d'annonces » fait valoir Arnaud de Bresson, le délégué général de Paris Europlace, l'organisme chargé de la promotion de la place financière.
« Entre 4.500 et 5.000 emplois directs devraient être relocalisés à Paris » estime-t-il. « Nous sommes dans une phase préliminaire. les choses pourraient s'accélérer dans les prochaines semaines. »
[Dernière enquête de Reuters sur les anticipations de relocalisations de Londres vers Paris, Francfort, Dublin, Amsterdam ou ville indéterminée. Crédits Reuters]
HSBC en stand-by
Les mouvements tardent à se matérialiser. Les banques semblent toutes attendre le dernier moment pour ajuster leurs effectifs. Même HSBC, qui avait annoncé le chiffre spectaculaire de 1.000 transferts, soit 20% de son activité de trading, vers Paris, où la banque britannique possède le Crédit Commercial de France (CCF), depuis 2000, se montre aujourd'hui fort discrète. La première banque européenne par la capitalisation et les actifs a changé de patron récemment et de priorités, par rapport à l'Asie et à la transformation numérique. L'impact du Brexit s'est surtout traduit pour HSBC jusqu'à présent par des dépenses en conseil, en informatique (pour de nouvelles activités comme le "correspondant banking" et la conservation) et quelques recrutements et rares transferts à Paris.
« Les banquiers de Londres passent plus de temps à Paris, ils se familiarisent » rapporte une source interne, qui ajoute : « la période de transition d'un an va aider.»
Les banques françaises pas pressées
Du côté des banques françaises, qui avaient promis collectivement au ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, en juillet dernier, de rapatrier de l'ordre de 1.000 personnes de Londres à Paris, là non plus, rien n'est fait pour l'instant. Si la Société Générale nous confirme son estimation d'environ 300 postes, transférés ou créés à Paris dans les mois suivant le Brexit, d'autres banques sont plus évasives. BNP Paribas envisage plutôt désormais d'en profiter pour augmenter sa présence sur le marché britannique et s'attaquer aux grands groupes du Royaume-Uni.
La directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), Marie-Anne Barbat-Layani, a confirmé mi-juin « l'évaluation de 1.000 emplois » tout en soulignant que « les banques françaises sont assez peu concernées, à part certains desks spécialisés. S'il y a relocalisation, ce sera à Paris. »
Les géants de Wall Street musclent leurs équipes
Plusieurs banques américaines ont annoncé plus récemment leur intention de muscler leurs équipes à Paris.
La banque d'affaires Goldman Sachs compte transférer « plusieurs dizaines de banquiers » à Paris, où elle emploie une centaine de personnes. « L'ensemble de nos équipes de vente sur les produits de taux, change et matière premières pour nos clients en France, Belgique et Luxembourg, sera relocalisée à Paris dans la capitale à partir de cet été » a affirmé Richard Gnodde, le responsable des activités internationales de Goldman Sachs aux Echos le 12 juin dernier.
Sa concurrente JP Morgan, implantée depuis 150 ans en France où elle emploie 250 banquiers d'affaires, spécialistes des marchés et de la gestion de fortune, envisage de transférer « près de 200 personnes, principalement dans les métiers de marchés », de Londres vers Paris, où son siège de la place Vendôme, sera sans doute trop petit. Le transfert n'est pas acté et se ferait si Londres n'obtient pas de période de transition.
Bank of America envisagerait de transférer 400 postes de Londres vers la capitale, affirmait début juin l'agence Reuters. La banque américaine ne confirme pas et s'en tient à son annonce officielle de novembre dernier de déplacer 200 personnes des équipes de vente et de trading vers Paris et Francfort. Elle confirme avoir signé le bail de locaux encore en travaux dans le 8ème arrondissement de Paris, rue La Boétie, pour l'année prochaine. Des locaux pouvant héberger jusqu'à 1.000 personnes. La banque est aussi en discussions avec Bernard Mourad, ex-banquier d'affaires chez Morgan Stanley, pour prendre la tête de la banque de financement et d'investissement à Paris.
Morgan Stanley, justement, qui emploie environ 120 banquiers d'affaires à Paris, dans un superbe hôtel particulier donnant sur le parc Monceau, pourrait renforcer ses effectifs de 80 postes, par transfert ou création, en plus des 200 transferts envisagés vers Francfort.
D'autres banques étrangères ayant de tous petits bureaux parisiens ont évoqué plus vaguement l'intention d'augmenter leurs équipes, sans précision, à l'image de la britannique Standard Chartered (qui employait une vingtaine de personnes en 2017) et l'américaine Wells Fargo (une trentaine d'employés à Paris). Citigroup a annoncé qu'elle avait choisi Francfort comme base de repli en Europe mais elle a aussi demandé une licence de trading à Paris.
L'assureur américain Chubb avait rencontré le Premier ministre Edouard Philippe en septembre dernier pour annoncer solennellement son choix de Paris comme hub européen, mais sans indiquer les effectifs concernés.
L'Autorité bancaire européenne en mars
En revanche, il est un transfert absolument certain, c'est celui de l'Autorité bancaire européenne (ABE), qui doit impérativement avoir quitté son siège de Canary Wharf, le quartier financier de Londres, pour Paris d'ici à mars 2019. Le superviseur européen, qui emploie environ 200 personnes dont une part d'intérimaires, sera fixé prochainement sur son point de chute précis dans la capitale : la commission budgétaire du Parlement européen doit valider le choix qu'elle préconise à l'issue d'un appel d'offres dans la première quinzaine de juillet.
Dans sa candidature officielle, Paris avait proposé deux localisations, à La Défense ou dans le centre de la capitale, entre la Bourse et Opéra, option qui a semble-t-il la préférence de l'ABE. Il restera à organiser ce déménagement qui se fera en plusieurs étapes, en accompagnant les personnels et leurs familles. La Région Ile-de-France a déjà réalisé plusieurs présentations à leur intention.
Stéphane Boujnah, le patron d'Euronext, l'opérateur de la Bourse de Paris et de celles d'Amsterdam, de Bruxelles, Lisbonne et Dublin, confiait il y a peu que la capitale souffrait encore de quelques handicaps :
« Pour que le Brexit génère de la mobilité vers Paris, il y a encore trois écueils à améliorer : le temps de transport entre Roissy et le centre-ville, la propreté de la Gare du Nord par rapport à St-Pancras et le labyrinthe de La Défense. »
Ce lundi 25 juin, l'ABE a publié une "opinion" dans laquelle elle s'inquiète des risques liés au manque de préparation des institutions financières à la sortie du Royaume-Uni de l'UE, enjoignant les autorités compétentes à s'assurer que les ces entreprises prennent des mesures dès maintenant, sans attendre la période de transition.
« Les entreprises ne doivent pas considérer comme acquis le fait de continuer à opérer comme aujourd'hui, ni compter sur des accords politiques encore non réalisés ou sur une intervention de politique publique » a déclaré Andrea Enria, le président de l'Autorité, cité dans un communiqué. « Les risques, les capacités et les implications juridiques doivent être étudiés et traités » a-t-il insisté.
La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, a dit s'attendre à un afflux d'entreprises financières vers la zone euro?
« Il est crucial de faire en sorte que tout soit prêt en termes de régulation et de supervision pour l'afflux d'entreprises financières qui déménageront vers l'Europe continentale, et vers l'Irlande, à la suite du Brexit » a-t-elle déclaré lors d'une visite à Dublin.
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