La décision de la SEC, le gendarme de Wall Street, - et l'une des autorités de marché les plus strictes au monde -, d'approuver la création de onze ETF (fonds indiciels cotés) investis en bitcoins, a suscité peu de commentaires « à chaud » en France dans l'univers de la finance traditionnelle. Plusieurs grandes gestions françaises, sollicitées par La Tribune, ont botté en touche.
« Nous ne sommes pas en mesure de commenter l'actualité du jour », avance ainsi un grand gestionnaire de la place. Le numéro un européen de la gestion d'actifs, Amundi se contente de réaffirmer sa position : « le bitcoin n'est pas un créneau de marché sur lequel Amundi souhaite se positionner jusqu'à présent et nous n'observons pas de demande avérée à ce stade. Nous n'avons donc pas prévu de changer notre approche pour le moment ».
Erreur historique
Interrogé en marge d'une conférence de presse, Julien-Pierre Nouen, directeur de la gestion diversifiée chez Lazard Frères Gestion, ne cache pas non plus son manque d'appétit pour cette classe d'actifs, ETF ou non : « il n'existe pas d'éléments rationnels pour valoriser un bitcoin. La décision de la SEC peut créer un appel d'air, ou le contraire, un peu à l'image de « l'effet IPO » lorsque la cotation en Bourse se traduit, après l'emballement, par une chute de valorisation ».
« C'est une erreur historique. Le fait que cette annonce commence par le hack du compte de la SEC est tout à fait révélateur. Légitimer un actif volatile, spéculatif, polluant, impliqués dans le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme constitue une erreur historique. Ça n'est évidemment pas le chemin à suivre au niveau européen », avance même auprès de La Tribune, l'eurodéputé Aurore Lalucq.
Approche prudente des régulateurs
Du côté de l'Autorité des marchés financiers (AMF), pas de réaction officielle, sinon de rappeler son engagement en faveur de l'écosystème des crypto-actifs, avec notamment l'enregistrement PSAN, et même le premier agrément PSAN l'été dernier, avec un temps d'avance sur le règlement européen MiCA. « La réalité est que l'AMF, comme d'ailleurs les gestionnaires d'actifs ou les banques, ne sont pas très confortables avec l'idée d'offrir la possibilité pour les épargnants d'investir facilement dans le bitcoin », avance un gérant.
Pour l'heure, avec la réglementation actuelle, notamment la directive européenne Ucits, il n'est pas possible de commercialiser des ETF bitcoin en Europe. Et les ETF approuvés hier par la SEC sont des produits uniquement accessibles à des investisseurs américains (à moins de disposer d'un compte aux Etats-Unis).
9 milliards de dollars en Europe
En revanche, il existe en Europe, depuis 2015, des produits très proches des ETF, en l'occurrence des ETP (qui ne sont donc pas des fonds), adossés à des futures mais qui peuvent être souscrits depuis un compte titres. Pour l'heure, ce sont des gestionnaires spécialisés qui proposent ces produits indexés sur des crypto-actifs, comme CoinShares, groupe coté suédois, ou bien 21Shares, ou bien des acteurs venus de la finance traditionnelle qui ont développé une activité crypto, comme Hashdex.
En Europe, il existe plus de 150 ETPs crypto listés sur les bourses réglementées, pour un encours supérieur à 9 milliards de dollars. Restent que ces ETPs ne sont pas éligibles à un contrat d'assurance-vie ou à un Plan d'épargne retraite en France (PER), faute de visa Ucits. Et ce marché reste encore très marginal, quelques milliards d'euros.
« Ce feu vert de la SEC donne un immense coup de projecteur sur ces trackers, ETF ou ETP. Or, ce qui manque en Europe, c'est une vraie demande en gestion de patrimoine ou privée, même si toutes les études montrent que de la demande des particuliers augmente année après année », estime Laurent Ovion, directeur innovation chez Nortia, une plateforme de distribution auprès des conseillers en gestion de patrimoine (CGP). Mais, ajoute-t-il, « si la SEC approuve ce type de produit, si des acteurs comme BlackRock s'y intéresse, cela donne un éclairage différent pour les CGP vis-à-vis de leurs clients ». De quoi mettre aussi davantage de pression sur l'offre de la part des gestionnaires d'actifs.
Game changer
« Cette approbation est un game changer global », renchérit Benjamin Ittah, directeur du développement chez Hashdex. « Les institutionnels américains peuvent désormais investir dans cette classe d'actifs et cela devrait aussi faire bouger les positions des acteurs européens qui n'ont plus de bonnes raisons pour bloquer l'accès aux crypto-actifs », estime-t-il. D'autant qu'ETF revient à investir dans les cryptos via un acteur régulé et non plus forcément via une plateforme moins régulée, avec des garanties de contreparties moins solides.
« C'est un moment historique. Cela fait dix ans qu'on l'attendait, même si la transformation attendue se fera davantage à moyen et long terme », indique Stéphane Ifrah, directeur des investissements chez Coinhouse. Pour ce professionnel de la crypto, « L'arrivée de gros gestionnaires va redistribuer la détention de bitcoin. Ces acteurs vont en récupérer une partie. Onze licences ont été accordées aux plus grands de la place aux Etats-Unis. L'offre est là. Mais cela va prendre plusieurs mois ou plusieurs années ».
Sujets les + commentés