A quoi sert un NFT ? Le marché des jetons numériques uniques en six questions

Effet de mode ou réel usage en devenir ? Les NFT, ou "jetons non-fongibles" en français, déferlent dans plusieurs secteurs qui y voient un moyen de monétiser des biens immatériels numériques. Six questions sur ces jetons numériques, nés avec le développement des technologies décentralisées de la blockchain, et portés par le besoin d'attribuer la notion de propriété privée aux biens notamment dans les mondes virtuels de la révolution "metaverse".
Jeanne Dussueil
A Hong Kong, l'oeuvre Machine Hallucinations — Space: Metaverse de Refik Anadol qui sera mise aux enchères par la maison Sotheby's à l'occasion de la Digital Art Fair.
A Hong Kong, l'oeuvre "Machine Hallucinations — Space: Metaverse" de Refik Anadol qui sera mise aux enchères par la maison Sotheby's à l'occasion de la Digital Art Fair. (Crédits : REUTERS/Tyrone Siu)

1. Quelles sont les caractéristiques d'un NFT ?

Apparu avec le protocole blockchain, soit une "chaîne de blocs" - principalement le protocole informatique Ethereum -, le NFT (non fongible token) est un jeton numérique qui vient authentifier et tracer la valeur d'un bien sur InternetConcrètement, un jeton unique (un petit programme informatique) s'inscrit sur une chaîne de blocs. Particularité de ce jeton numérique, il intègre dans son code des instructions informatiques appelées smartcontracts (contrats intelligents) qui définissent ses caractéristiques et permettent de les identifier par l'attribution d'une adresse unique sur la blockchain.

Le jeton permet ainsi de générer une preuve d'existence unique et non piratable (c'est un principe similaire aux cryptomonnaies, qui reposent aussi sur des preuves de transactions cryptées). Comme les cryptomonnaies, ce jeton non fongible (non interchangeable) promet dès lors de faire basculer l'Internet des débuts, - celui des autoroutes de l'information -, vers celui des valeurs et de la propriété.

2. A quoi peut donc servir un NFT ?

Et pour cause. Sur Internet, s'il n'est destiné à être acheté, tout bien est par définition immatériel.

« Un NFT n'est ni une œuvre ni un fichier. Il s'agit d'un certificat ou d'un contrat augmenté. Ces jetons intègrent des liens dans leurs métadonnées qui pointent vers une œuvre (un jpeg, un gif, etc.) », résume Matthieu Quiniou, avocat et cofondateur du cabinet Legal Brain spécialisé dans le droit numérique.

Dès lors, toute création numérique peut être collectionnée et privatisée.

Grâce à ces valorisations certifiées du bien numérique, les ventes de NFT explosent. Au troisième trimestre, les ventes ont grimpé jusqu'à 10,7 milliards de dollars, soit huit fois plus qu'au trimestre précédent, selon Reuters qui cite le site spécialisé DappRadar. Preuve également de cet engouement, « les recherches sur le Web pour "NFT" dépassent les recherches pour "cryptomonnaies" à certains moments cette année », a relevé le comparateur en ligne MoneyTransfers.com.

En terme de capitalisation, le marché de l'ensemble de ces nouveaux jetons pèserait près de 5 milliards de dollars, selon le site de data NFTGO. « Les jetons ont décollé depuis août, à une vitesse de croissance qui a fait fois cinq, en raison de la multiplication des projets NFT », explique le site spécialisé trustnodes.com

3. Quels sont les secteurs concernés pour l'instant ?

Pour l'heure, les propriétés du NFT ont trouvé écho auprès des collectionneurs et des amateurs d'art. Dopées notamment par les NFT et les ventes aux enchères en ligne, les ventes aux enchères d'art contemporain ont ainsi atteint un niveau historique de 2,7 milliards de dollars sur l'exercice 2020/2021, selon le rapport annuel de la société Artprice publié début octobre.

Désormais, les NFT représentent même 2% du marché de l'art global, selon ce rapport.

Résultat, les grandes maisons de ventes aux enchères se positionnent. Mi-octobre, la Britannique Sotheby's a ainsi annoncé la création de son "Sotheby's Metaverse", un espace digital réservé aux collectionneurs de NFT et une vente désormais bi-annuelle de ces objets numériques.

Les acheteurs pourront créer un profil personnel, avec "un avatar conçu par le célèbre crypto designer Pak", et les paiements pourront s'effectuer en monnaie fiduciaire ou dans certaines crypto-monnaies (Ethereum, bitcoin, USDC), explique Sotheby's.

Chez la concurrence, Christie's a adjugé pour 69,3 millions de dollars en mars  l'œuvre entièrement numérique de l'artiste américain Beeple, en NFT. Autre exemple de l'engouement du monde de l'art, un collectionneur de Banksy a volontairement détruit le support d'une de ses œuvres (d'une valeur de 100.000 dollars) dans le but unique de créer un NFT associé à cette destruction.

Création numérique, jeux, immobilier...

Outre le monde traditionnel des arts, l'enjeu de la propriété intellectuelle et des droits d'auteur se pose d'autant plus avec la création numérique. Parmi les grands noms du secteur, se trouve Sorare, une société qui mise sur la technologie des NFT pour créer un jeu en ligne d'échange d'images de joueurs de football. Valorisée 4,3 milliards de dollars (3,7 milliards d'euros), l'entreprise parisienne, fondée en 2018, annonçait une levée de fonds de 680 millions de dollars (580 millions d'euros), soit un record pour le secteur de la tech en France.

Côté startups, Kalart ambitionne de devenir la première plateforme NFT française dédiée aux YouTubers, Instagrammers, « et tout ceux qui produisent des œuvres sur les réseaux sociaux ». Avec ces jetons, ces créateurs du Web et leurs fans doivent ainsi avoir la possibilité de vendre aux enchères, acheter ou de collectionner. Autre jeune pousse, Starname a développé une technologie permettant de créer un lien irréfutable entre le créateur et une œuvre (ou un émetteur et ses NFT).

Enfin, l'immobilier se penche aussi sur le sujet des NFT. Au Portugal, le promoteur Prometheus International a annoncé avoir vendu deux propriétés de luxe payées en cryptomonnaies. L'acte de propriété est disponible sous la forme d'un NFT afin de permettre aux futurs propriétaires de « revendre leurs propriétés en un clic », assure-t-il.

4. A quel stade de maturité se trouve le marché ?

Les NFT ont été décrites à l'été 2020 par l'institut Gartner comme "technologie émergente" dans son cycle de la "Hype". Il estime entre 2 à 5 ans la durée de son "pic d'attentes croissantes", avant de passer par le creux des "désillusions", pour remonter ensuite vers "le plateau de la productivité".

Dès lors, les NFT se trouvent dans cette bulle de promesses qui attirent le capital-risque. Tout comme les plateformes stars du trading pour les cryptomonnaies (Coinbase, FTXtrading valorisées plusieurs milliards), les NFT ont leurs propres places de marché en ligne. Parmi elles, le poids lourd Opensea qui a levé 23 millions de dollars.

Ces nouvelles sociétés spécialisées commencent aussi à pénétrer les places boursières. A l'image de Crypto Blokchain Industries (CBI), une société française qui développe, opère et investit dans des jeux vidéo, applications professionnelles et projets sélectifs liés à la blockchain, aux NFT et aux crypto-devises. CBI a été récemment admise à la cotation sur le marché d'Euronext Growth Paris.

5. Pourquoi les NFT peuvent-ils devenir un tournant de l'économie numérique ?

Alors que les cryptomonnaies n'ont pas encore rencontré tous leurs usages dans les achats du quotidien, les NFT pourraient, eux, être accélérés avec l'émergence des mondes virtuels, telle la révolution du "métavers" promise par Facebook.

« Il est très probable que le commerce au sein des métavers soit basé sur les NFT, accélérant davantage l'importance de ces jetons contre les monnaies officielles », anticipe Matthieu Quiniou.

Sur Decentraland, une plateforme en ligne considérée comme l'un des précurseurs du "métavers", il est par exemple possible d'acheter des parcelles de terrain virtuel sous forme de NFT (certificats d'authenticité numérique pour des contenus en ligne) via une cryptomonnaie associée baptisée "MANA".

Cette promesse de créer son monde est reprise par d'autres sociétés telle The Sandbox qui vient de lever 93 millions de dollars. Mais aussi les monde virtuel d'OVRLand et Cryptovoxels, où les jetons permettent d'acheter des parcelles de la planète dans le metaverse. Dans ces mondes tout deviendrait alors possible à distance : faire ses courses, vendre, se former, investir, échanger...

En France, Mainbot, une jeune pousse créée au sein de l'Ecole Polytechique annonce vouloir lancer sa cryptomonnaie ainsi « qu'une collection de 12.111 NFTs » afin de de développer « le premier métavers au monde dédié aux jeux éducatifs ».

6. Quelles sont les limites actuelles rencontrées par les NFT ?

Les NFT vont-ils rencontrer un usage de masse, en dehors de la spéculation et du trading sur lesquels les cryptomonnaies ont bâti leur notoriété ?

Le monde du paiement commence déjà à s'y intéresser. L'Américain Visa a ainsi réalisé son premier achat de NFT au travers d'une œuvre numérique cryptoPunk. Mais l'ambition est bien d'expérimenter les nouvelles pratiques du commerce en ligne. Son concurrent Mastercard vient aussi d'annoncer la création de sa première œuvre NFT, avec l'entraineur de football José Mourinho.

Surtout, les NFT donnent une occasion en or aux escrocs de s'y engouffrer. Plusieurs cas de fraudes au NFT sont apparus, à l'image d'une fausse œuvre de Banksy vendue en NFT pour 336.000 dollars en août. Avec son projet baptisé "Evil Ape", - une collection de 10.000 œuvres graphiques NFT pourtant référencées par la plateforme OpenSea -, un développeur a mystérieusement disparu début octobre, après avoir engrangé 2,7 millions de dollars, rapporte le site Vice.

Ensuite, se pose la question de la valorisation de ces œuvres :

« Face à de telles opérations la valeur de marché de certains NFT paraît établie, mais en y regardant plus précisément la contrepartie à ces sommes n'est pas toujours clairement établie ou comprise par les vendeurs et les acheteurs », pose Mathieu Quiniou.

De même, quelle sera la régulation sur les NFT ? Dans les univers virtuels, quelles seront les règles de KYC (Know Your Customer) ?

« Les éditeurs du métavers délèguent de manière irréversible à des détenteurs de jetons des droits de publication et d'édition dans leur métavers, complexifiant les enjeux de responsabilités civile et pénale évoqués précédemment », explique Matthieu Quiniou. Le métavers étant international, les litiges pourront par exemple opposer un utilisateur européen et un utilisateur d'un « pays tiers » (hors UE). Dans ce cas, si chacun saisit le juge de son État, cela conduirait à des conflits de juridictions plus nombreux. »

Enfin, tandis que la valeur créée sur Internet est aujourd'hui principalement captée par les plateformes des GAFA, les NFT pourront-ils changer la donne ? Pour l'heure, rien n'est moins sûr.

Lire aussi 5 mnCartes à collectionner, NFT et football : le cocktail explosif derrière le succès de Sorare

Jeanne Dussueil

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Commentaires 5
à écrit le 16/11/2021 à 18:13
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En effet au sein de ce cauchemar néolibéral la quête vers une forme de liberté s'accentue pour nos jeunes qui ont besoin de respirer pendant que ce monde se dévoile petit à petit à leurs yeux. C'est pas prêt de s'arrêter puisque c'est un moyen d'évas...

à écrit le 16/11/2021 à 17:00
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Rien compris ...

à écrit le 16/11/2021 à 11:21
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Que les gens achètent des trucs qui n'existent pas n'est pas plus débile que d'acheter des trucs qui existent et dont on ne se sert pas ou quasiment pas ou que l'on jette après. Et le pire est que si ça se trouve le consommateur va donner plus de val...

le 16/11/2021 à 12:11
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Oui, la valeur est subjective et pas objective. Parmi les économistes seuls les autrichiens comme Von Mises et Hayek l'avaient pleinement compris. Les NFT ont un grand avenir.

le 16/11/2021 à 18:13
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En effet au sein de ce cauchemar néolibéral la quête vers une forme de liberté s'accentue pour nos jeunes qui ont besoin de respirer pendant que ce monde se dévoile petit à petit à leurs yeux. C'est pas prêt de s'arrêter puisque c'est un moyen d'évas...

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