Le début de l'année 2024 a été marqué par un tournant majeur pour le secteur des cryptos. Désormais, aux Etats-Unis, suite à l'approbation de la Sec (Securities and Exchange Commission) d'émettre des ETF bitcoin donnée à onze fonds de gestion, les particuliers et les grands fonds vont pouvoir spéculer sur la cryptomonnaie, sans acheter directement le jeton numérique décentralisé, connu pour sa volatilité. De quoi doper le cours de l'actif avec ces nouveaux produits dérivés et créer un appel d'air pour les autres actifs numériques échangés via les blockchain.
Pour les professionnels du secteur, en France également, quelles seront les conséquences de cette décision ? Le point de vue de Stéphane Ifrah, Chief Investment Officer (CIO) de Coinhouse, la plateforme française d'achat-vente de cryptomonnaies.
LA TRIBUNE - Est-ce une bonne nouvelle pour le secteur crypto ?
STEPHANE IFRAH - C'est un moment historique. Un support d'investissement solide a été acté. Jusqu'ici, le marché des cryptos n'était pas accessible à de gros investisseurs. On était sur du « retail », voire du « retail plus » (ventes au détail, ndlr) c'est donc un grand changement. Cela fait dix ans qu'on l'attendait.
Quel sera l'impact sur le marché crypto global ?
A court terme, il n'y aura pas d'impact. La transformation attendue se fera davantage à moyen-long terme. D'ailleurs en France, ces ETF américains n'auront qu'un impact marginal car ils ne seront pas facilement accessibles. Ils le seront uniquement pour des investisseurs éduqués. Tout le monde n'a pas accès au marché américain, il faut en effet pouvoir entrer dans le monde des trackers à Wall Street. Certains gros investisseurs français vont y avoir accès mais pas tous.
Quelles seront les conséquences pour les plateformes cryptos ?
Il y a un vrai risque pour les grosses plateformes d'échanges. D'un coup, vous avez accès au bitcoin, sur une valeur équivalente de 1 pour 1, via un courtier, le tout avec moins de risques de piratage que sur une plateforme en ligne. Vous n'avez donc plus besoin des Coinbase ou de Coinhouse. Il y aura donc certainement un impact. Pour autant, Coinhouse, qui vit principalement du courtage - c'est 80% de nos revenus -, ne va pas perdre de part de marché. Nous n'allons pas perdre beaucoup de clients potentiels car ces ETF s'adressent à des gros investisseurs et aux clients institutionnels quand nous, nous visons la clientèle « retail ».
La plupart de nos clients veulent pouvoir arbitrer sur leur portefeuille cryptos. Or, l'offre sur les produits ETF est pour l'instant limitée au seul bitcoin. Éventuellement, d'ici quelques mois y aura-t-il des ETF Ether ou Ripple. Mais du point de vue du retail, il n'y aura pas tant de changements. Je vois mal les ETF s'étendre au-delà des cryptomonnaies principales. Les grosses plateformes vont donc davantage se concentrer sur la clientèle « retail ».
Comment le marché global va-t-il se réorganiser ?
Il va y avoir un impact sur les prix qui vont être poussés à la hausse. Grâce à un effet domino, cela va attirer le regard des clients. Nous attendons donc un effet indirect positif. Aussi, l'arrivée de gros gestionnaires va redistribuer la détention de bitcoin. Onze licences ont été accordées aux plus grands de la place. Ces gros acteurs vont en récupérer une partie. L'offre est là. Mais cela va prendre plusieurs mois ou plusieurs années.
Faudra-t-il un ETF bitcoin équivalent en Europe ?
Oui, il faudra qu'il y ait l'équivalent en Europe pour donner accès à ce produit d'investissement. Va-t-on être capable de réunir un dépositaire, un gestionnaire d'actifs, un distributeur, un valorisateur, et un cadre réglementaire ?
Il y a eu quelques tentatives au Luxembourg car la juridiction y est plus favorable. Mais on n'arrive pas à le lancer au sein de l'Union européenne. Avec MicA qui arrive (le règlement MiCA entrera en application à partir du 30 décembre 2024, ndlr) je m'attendrais toutefois à un ETF européen d'ici 12 à 18 mois. Nous voudrions y participer à notre niveau aux côtés des acteurs de référence (Amundi, BNP Paribas...).
Faudra-t-il un fonds Ucits, ou « OPCVM » (les « organismes de placement collectif en valeurs mobilières » régis par le droit de l'Union européenne), pour bitcoin ?
Oui, car c'est le seul cadre qui permet de faire de la collecte à grande échelle. Il est le seul standard qui permet de rentrer dans les enveloppes, notamment dans les sociétés d'assurance. C'est lié à la structure du marché de la gestion d'actifs en France. Mais ce sera un vrai challenge car il y un sujet de diversification.
Pour l'instant, il n'y a en effet qu'un seul sous-jacent (bitcoin) alors que ces fonds, via Ucits, attendent un minimum de diversification. Il n'y a pas d'ETF sur un seul sous-jacent ou sur une commodité (pétrole, or..) mais sur des paniers de commodités. Il n'est donc pas certain d'avoir un ETF bitcoin de type Ucits et il ne sera pas forcément en Bourse.
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