C'est une véritable bombe dans le monde des cryptomonnaies. Ce mercredi, les fans de ces actifs échangés via un réseau d'ordinateurs et un protocole blockchain, se sont réveillés avec une nouvelle majeure : l'emblématique patron de la plus grosse plateforme d'échanges de crypto-actifs au monde, Binance, sort de l'entreprise.
En procès aux Etats-Unis, l'entreprise a accepté de plaider coupable de violation des lois américaines contre le blanchiment et de signer un accord global qui lui impose de verser deux amendes de 3,4 milliards de dollars et 968 millions à deux agences dépendant du Trésor américain, a indiqué le ministère des Finances, mardi.
Mais surtout, son PDG Changpeng Zhao, qui a plaidé coupable à titre personnel, va démissionner pour être remplacé par Richard Teng qui occupait jusqu'alors le poste de responsable mondial des marchés régionaux chez Binance.
« Aujourd'hui, j'ai quitté mon poste de PDG de Binance. Il est vrai qu'il n'a pas été facile de lâcher prise d'un point de vue émotionnel. Mais je sais que c'est la bonne chose à faire. J'ai commis des erreurs et je dois en assumer la responsabilité. C'est ce qu'il y a de mieux pour notre communauté, pour Binance et pour moi-même.
Binance n'est plus un bébé. »
« Les faits reprochés à Binance étaient d'une gravité absolue. Et Changpeng Zhao a plaidé coupable car il avait intérêt à le faire », explique à La Tribune Stanislas Barthelemi, consultant chez KPMG, spécialiste des cryptomonnaies et du Web3.
Le géant des cryptos embourbé dans les affaires
Selon la justice américaine, la plateforme aux plus de 100 millions d'utilisateurs aurait facilité des transactions illicites, autorisé des individus associés au Hamas, à l'État islamique, à la Corée du Nord et d'autres pays sanctionnés par les USA à blanchir des fonds. De plus, la plateforme crypto aurait dissimulé l'identité de ses clients américains sur sa plateforme principale Binance.com, en les désignant sous l'appellation « unkwn » (pour inconnu en anglais), alors que ces clients auraient dû opérer exclusivement sur Binance.US. Des accusations d'autant plus graves qu'elles ne sont pas les seules auxquelles doit faire face Binance.
Le géant au logo jaune est notamment visé par une enquête judiciaire préliminaire pour avoir démarché des clients en France en dehors du cadre de la législation sur les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), selon Le Monde qui l'a appris du parquet de Paris. L'enquête, lancée en février 2022, porte également sur des faits de blanchiment aggravé d'argent issu d'infractions, sur une période allant jusqu'à l'année 2022.
Face à cette accumulation de déboires judiciaires dont l'issue semblait peu favorable pour le géant, Binance a choisi une solution radicale : accepter d'utiliser son PDG comme fusible. Cette décision aux allures sacrificielles a même été saluée par plusieurs internautes.
« CZ ! Vous êtes l'un des grands héros en première ligne d'un combat épique. Vous devriez être immensément fier de Binance. »
« Il est commun que dans ce type d'affaires, le dirigeant soit désigné comme responsable et que la justice demande le changement de direction de l'entreprise fautive », rappelle néanmoins Claire Balva, consultante indépendante, spécialiste des cryptos, interrogée par La Tribune.
La même issue que FTX
La clôture de ce chapitre difficile pour l'entreprise de Changpeng Zhao rappelle d'ailleurs celle du deuxième ex-géant des crypto-actifs FTX. La plateforme, qui talonnait il y a encore quelques années Binance était tombée en faillite en novembre 2022 après avoir détourné l'argent de ses clients pour l'investir sur son crypto-actif maison... et le prix de ce dernier ne s'effondre. Après un an d'enquête pour éplucher les comptes de la société, Sam Bankman-Fried, accusé de fraude, d'association de malfaiteurs et de blanchiment d'argent a été reconnu coupable jeudi 2 novembre par un jury new-yorkais des sept chefs d'accusation retenus contre lui. La star déchue des cryptomonnaies, encourt désormais jusqu'à 110 ans de réclusion criminelle au total.
En coupant les têtes des deux géants du secteur, « la justice américaine donne le message que le monde des cryptos est sur un nouveau départ et que ses entreprises vont devoir suivre les règles. On est en train de terminer la crise d'adolescence de l'industrie crypto », analyse Stanislas Barthelemi.
D'autant que concernant Binance, « la justice a obtenu le droit d'avoir accès aux comptes de l'entreprise pendant 5 ans d'avoir ce qui est un très bon moyen pour les autorités américaines de surveiller l'industrie crypto car de nombreuses autres sociétés utilisent les services de Binance », pointe aussi Claire Balva.
Bonne nouvelle pour l'écosystème crypto
La sanction est forte pour la plus grosse entreprise du secteur. Pourtant le cours des cryptos n'en pâtit pas. Ainsi, à 18h, ce mercredi le Bitcoin perdait 0,5% par rapport à la même heure la veille, soit un sur-place pour cet actif ultra-volatil.
Cette mise au pas de l'industrie n'est cependant pas une mauvaise nouvelle selon les experts, loin de là. « Le départ de CZ de Binance est un signal fort de la maturité du marché des cryptomonnaies, où, contrairement au stéréotype du Far West, ceux qui opèrent en dehors de certains paramètres seront désormais tenus responsables », a notamment déclaré Greg Moritz, directeur du fonds d'investissement crypto AltTab Capital au média spécialisé Decrypt.co. Une nouvelle étape dans la vie de l'industrie symbolisée par l'arrivée de ETF (Exchange traded funds) bitcoin, au comptant.
Depuis quelques mois, plusieurs sociétés financières comme le géant Blackrock tentent d'obtenir la validation des autorités américaines pour mettre à disposition de leurs millions de clients des fonds répliquant le cours du bitcoin et d'autres crypto-actifs. Une nouvelle porte d'entrée qui pourrait amener des centaines voire des milliers de milliards de dollars d'investissements dans ce micro-marché qui voit la valorisation du bitcoin (653 milliards d'euros) à peine dépasser celle de l'action Tesla.
Quel futur pour Binance ?
En revanche, l'incertitude règne sur le futur de Binance. Plus d'un milliard de dollars de fonds sur les 65 milliards conservés par Binance ont été retirés ce mercredi, selon les données du site spécialisé DefiLlama rapportées par The Block. « Il y a un an, FTX et Binance écrasaient le marché. Avec cette nouvelle donne, d'autres acteurs pourraient sortir gagnant, notamment ceux qui ont fait le choix d'être des tortues plutôt que des lièvres », anticipe Stanislas Barthelemi.
Mais la chute de l'ancien roi des cryptos pourrait aussi être une opportunité de retour en grâce de son entreprise. « Avec toutes ses affaires, Binance n'aurait jamais obtenu l'agrément de prestataire de services sur actifs numérique (PSAN) français ni le futur statut européen Crypto asset service providers », avance un autre connaisseur du dossier. Avec cette tentative de montrer patte blanche, le géant des cryptos peut donc espérer faire baisser la garde des autorités.
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