Comment les banques et la finance traditionnelle veulent s’emparer du marché des cryptomonnaies

Les produits et les initiatives touchant à ce très jeune secteur se multiplient, les acteurs de la finance traditionnelle se montrant aujourd’hui beaucoup moins incisifs contre ce nouvel écosystème controversé. Pourquoi un tel changement de point de vue? Quel intérêt la finance traditionnelle aurait-elle à investir dans le monde crypto? Explications.
Maxime Heuze
L'ETF bitcoin que souhaite créer Blackrock pourrait devenir le plus important fonds dédié aux cryptomonnaies au monde.
L'ETF bitcoin que souhaite créer Blackrock pourrait devenir le plus important fonds dédié aux cryptomonnaies au monde. (Crédits : Brendan McDermid)

Cela ne se voit pas, mais le monde des cryptomonnaies est en pleine ébullition. A l'heure où les investisseurs particuliers se désintéressent de ce marché atone depuis la violente chute des cours à l'été 2022, les professionnels de la finance eux s'immergent progressivement dedans.

Le meilleur exemple est évidemment celui de BlackRock qui a déposé le 15 juin une demande auprès de la Sec, le gendarme financier américain, d'ouverture d'un ETF (Exchange traded fund) bitcoin en partenariat avec la plateforme d'achat de cryptomonnaies Coinbase. Autrement dit, le plus grand gestionnaire d'actifs du monde veut permettre à ses centaines de millions de potentiels clients américains d'investir dans un fonds qui détient des bitcoin, directement depuis leur compte en banque ou leur assurance-vie.

Le bitcoin « a une valeur différenciante par rapport aux autres classes d'actifs, mais plus important encore, parce qu'il est tellement international, il va transcender n'importe quelle devise », a même lâché, Larry Fink, son PDG, lors d'une interview accordée à CNBC le 14 juillet.

Une reconnaissance et un pas de géant pour cet actif qui s'achète généralement en passant par des plateformes d'échange spécialisées et qui a rapidement été suivi par une autre annonce tonitruante : le lancement d'un stablecoin, une cryptomonnaie qui réplique le cours d'une monnaie officielle, par le géant des transferts d'argent Paypal, lundi 7 août.

En Europe, le mouvement est semblable. Alors que Philippe Brassac, le PDG de Crédit agricole, affirmait dans une interview à « l'Opinion » en 2021 que le bitcoin tomberait sous les un dollar d'ici à avril 2025, deux ans plus tard, en juin 2023 sa filiale Caceis a demandé, et obtenu, un enregistrement de l'AMF dans le but de conserver des actifs numériques pour le compte de ses clients. Mais l'acteur bancaire qui cache le moins son intérêt pour les cryptomonnaies est bien la Société générale. Sa filiale Forge investit depuis plusieurs années dans ce secteur et est la première société à obtenir l'agrément de « Prestataire sur actifs numériques » qui garantit à une entreprise de pouvoir gérer des actifs numériques pour le compte de ses clients. La filiale bancaire a donc réalisé ce que n'ont fait qu'espérer les géants de la conservation de cryptomonnaies que sont Binance, Coinbase et autres Kraken.

Un relais de croissance potentiel pour les banques

Le monde crypto change, et pour cause, il est passé d'un marché de niche vu comme un outil servant à acheter des produits illégaux, il y a dix ans, à un véritable produit financier. Un responsable d'une importante société de gestion, interrogé par La Tribune, explique que son groupe s'intéresse de plus en plus à ce nouveau secteur  « car le nombre de détenteurs de cryptomonnaies augmente ». En effet, selon l'édition 2023 de l'étude « Crypto et web3 : comment la France et l'Europe se positionnent-elles ? », réalisée par l'institut de sondage IPSOS pour l'Association pour le développement des actifs numériques (Adan) et le cabinet KPMG, 9,4% des Français détenaient des crypto-actifs en 2022 contre 8% en 2021.

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Une opportunité de business que les banques et les gérants d'actifs ont bien identifiée.

« Une banque doit apprendre à jongler avec des nouveaux actifs et produits financiers si elle ne veut pas perdre ses nouveaux clients qui ont des usages et des intérêts différents », explique Claire Balva, consultante indépendante, spécialiste des cryptomonnaies qui remarque « qu'elles voient déjà des jeunes intéressés par ces nouveaux actifs investir leur argent sur des plateformes d'échange. »

Jusqu'à aujourd'hui cependant, la finance traditionnelle est freinée dans sa volonté d'intégrer ce jeune marché.

La finance traditionnelle, freinée par les incertitudes et la régulation

Un frein, avant tout légal. « Il y a un manque de clarté réglementaire sur les règles de conservation des cryptos qui fait peser sur ces gros acteurs un risque réputationnel », ajoute Claire Balva. Un scénario que vivent les plateformes d'échanges Kraken, Coinbase et Binance, soupçonnées de pratiques illégales (blanchiment, non respect des règles, etc.) depuis plusieurs mois par la Sec qui a même assigné en justice la branche américaine de Binance, une plateforme qui fait aussi face à une enquête judiciaire en France pour blanchiment aggravé d'argent.

Mais les banques européennes sont aussi largement bridées par le Comité de Bâle qui régule le secteur et a annoncé en décembre 2022 que les établissements ne peuvent pas détenir plus de 1% de leurs fonds propres en stablecoins (niveau 1) et 2% en cryptomonnaies volatiles (niveau 2). « Et elles doivent couvrir leurs fonds de cryptomonnaies avec une somme au moins égale en euros en réserve (1250% de couverture), pour éviter des risques de crédit et de pertes financières », détaille Arnaud Touati, avocat chez Hashtag Avocats. Avec ces nouvelles règles, « les banques nous confient que détenir des cryptos pour leurs clients leur coûte très cher », confirme Claire Balva.

Mica pourrait changer les choses

Toutes ces barrières pourraient cependant être supprimées, ou du moins modifiées, par le futur règlement européen Market in crypto asset (Mica) qui vise à clarifier les droits et les devoirs des acteurs du secteur, d'ici 2024.

« Cela pourrait être l'occasion pour les acteurs traditionnels de prendre une part de marché plus importante dans ce secteur car les régulateurs vont préférer confier ces actifs à de gros acteurs, solides et qu'ils vont pouvoir surveiller plutôt qu'à des petits acteurs moins faciles à contrôler et qui, donc, ne seront pas tous agréés », anticipe la consultante.

La question qui se pose maintenant pour les acteurs du secteur est de savoir si ces futurs géants seront les « pure players » ou les acteurs financiers traditionnels. Elle ne se posait pas il y a quelques années encore, tant la mainmise de certains acteurs comme Binance - qui possède les deux tiers des flux mondiaux - semblait totale. « Mais ce qui se passe aux Etats-Unis montre que les choses peuvent changer rapidement », remarque-t-elle.

D'autant que les tourmentes judiciaires dans lesquelles se trouvent des acteurs spécialisés pourraient bien être l'occasion pour les acteurs traditionnels d'absorber une partie du marché pour garder la main sur la finance de demain.

Maxime Heuze

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Commentaires 15
à écrit le 13/08/2023 à 15:33
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Mesdames, mesdemoiselles, messieurs et autres! Vos avis sur la monnaie de singe?

à écrit le 13/08/2023 à 2:25
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@Raymond. Quand plus rien n'a de valeur, seule l'or a cours. Relisez l'histoire.

à écrit le 12/08/2023 à 7:02
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Parce que le bitcoin est plus fort qu'eux, comme ils ne sont pas arrivés à le démolir, souvenez vous, même ici mais partout dans tous les médias on insultait le bitcoin et ses clients sans cesse que ce n'était qu'un feu de paille, qu'il fallait être ...

à écrit le 11/08/2023 à 18:12
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Rien de nouveau sous le soleil depuis le système de Law !!!

à écrit le 11/08/2023 à 12:55
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Vous connaissez la règle des pseudo-investissements: quand ça commence à spam dans les journaux plus ou moins grand public, c'est que les gros poissons cherchent à vendre pour tondre le quidam :-)

à écrit le 11/08/2023 à 11:12
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que les gogos cupides aillent se faire plumer dans ces trucs qui ne valent rien, sauf la somme de l'energie que ca a coute pour le maintenir ( et encore a priori, ca ne recompense que le mineur le plus rapide, pas les autres) ......c'est un peu comme...

à écrit le 11/08/2023 à 9:58
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Beaucoup trop compliqué pour le commun des mortels çà sent l embrouille.. si les 10% de français qui ont investis perdent leur fric si ils ne viennent pas chialer … on a aucune garantie, aucun élément palpable tout est du vent que seuls les initie...

à écrit le 11/08/2023 à 9:53
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Je ne vois pas trop l intérêt pour le quidam de ces monnaies virtuelles et de leur virtualité… pour moi ça ressemble à du Ponzi avec tous les effets négatifs: blanchiment d argent , Groupe privé manipulateur a ses propres fins, spéculation et faill...

à écrit le 11/08/2023 à 9:41
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Les crypto-actifs privés (à l'instar du Bitcoin) - à ne pas confondre avec les monnaies numériques de banques centrales (où les "MNBC" auront une espérance de vie plus durable) - ne sont que la version moderne de "l'or des fous". C'est-à-dire un vhc ...

le 11/08/2023 à 11:02
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Que le bitcoin ne soit pas une unité de compte valable actuellement c'est un fait à cause de sa volatilité. Et tant que le lightning network ne décolle pas il n'est pas valable non plus comme moyen de payment par manque de scalabilité. Mais presque 1...

à écrit le 11/08/2023 à 9:33
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Je ne vois pas l'intérêt d'acheter des Bitcoins aléatoires avec des Dollars ou des Euros bien réels. Court circuiter le système bancaire est louable vu ce que nous ponctionnent les banques cependant, c'est aussi la porte ouverte à tous les trafics...

le 11/08/2023 à 16:18
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@Valbel89 👍👏

à écrit le 11/08/2023 à 8:00
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Parce que le bitcoin est plus fort qu'eux, comme ils ne sont pas arrivés à le démolir, souvenez vous, même ici mais partout dans tous les médias on insultait le bitcoin et ses clients sans cesse que ce n'était qu'un feu de paille, qu'il fallait être ...

le 11/08/2023 à 8:25
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Le bitcoin est de l'esbrouffe. Rien ne vaut le bon viel or. J'en ai achete quand son cours etait au plus bas, re-achete depuis. Ma mise au cours actuel est a multiplier par 14. Votre monnaie virtuelle en cas de crash, c'est du vent. Libre a vous d'y...

le 11/08/2023 à 10:08
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@matins calmes. Évidemment que toutes les "cryptomonnaies privées" (respectivement crypto-actifs) sont de l'esbrouffe. À chaque arbitrage et dans tous marchés, il faut un vendeur et un acheteur. Et si l'acheteur n'est pas un initié dans cette jungle,...

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