LA TRIBUNE - BlackRock a publié un nouveau rapport détaillant ses priorités en matière d'engagement actionnarial. Cette annonce du plus grand gestionnaire d'actifs du monde marque-t-elle, selon vous, un tournant ?
OLIVIER DE GUERRE - C'est effectivement un tournant très important. L'initiative de BlackRock confirme que les grands gérants d'actifs ne peuvent plus regarder que la rentabilité financière à court terme. Et le moteur de ce changement, c'est l'Accord de Paris de 2015 qui a incité les grands investisseurs institutionnels américains et européens à prendre des engagements vis-à-vis de la transition énergétique et du climat. Mais deux éléments majeurs sont intervenus depuis.
Tout d'abord, de nombreux rapports d'ONG aux Etats-Unis ont souligné l'absence de BlackRock en 2019 et cette année sur les résolutions liées au climat, en contradiction avec leurs déclarations en faveur du climat. Le gestionnaire a probablement senti qu'il fallait bouger sur cette question, et sans doute sous la pression des fonds de pension.
Ensuite, la directive européenne « droits des actionnaires » oblige désormais les institutionnels européens à faire de l'engagement, sur une forme ou une autre, et de publier un rapport sur leurs actions. Ce qui va contraindre BlackRock, qui a grandes ambitions en Europe, à mettre en place des outils pour répondre à ces nouvelles contraintes. Il reste cependant à répondre aux questions de conflits d'intérêt éventuels entre une entreprise et son gestionnaire d'actifs.
Est-ce que les frontières entre des gestionnaires plus actifs et les fonds activistes seront amenées à se dissiper ?
Non, je ne le pense pas. Certes, il y aura de plus en plus un point commun : celui d'un actionnaire qui souhaite exercer pleinement ses droits. Mais la différence résidera toujours sur la méthode et les objectifs. D'un côté, il y aura toujours des activistes qui souhaitent contraindre les entreprises à changer leur stratégie pour faire monter le cours de Bourse. Et l'autre, les gestionnaires actifs qui souhaitent faire entendre leur voix davantage par le dialogue en amont avec le management des entreprises et le vote en assemblée générale. Les deux approches sont d'ailleurs complémentaires. Mais le chemin est encore long avant de voir des grands gestionnaires déposer des résolutions en assemblée générale.
L'essor de la gestion passive ne risque-t-elle pas de brider ce mouvement en faveur de l'engagement actionnarial ?
La gestion passive va également prendre le train en marche. Pour une raison simple : la plupart des fonds de pension, engagés en faveur du climat, ont déjà une proportion très importante de leurs actifs en gestion passive. Du coup, les géants de la gestion passive, une industrie très concentrée, ne peuvent pas se tenir à l'écart des questions climatiques. Pour preuve d'ailleurs, l'explosion récente de la collecte sur les ETF « verts » ! L'engagement actionnarial est désormais l'affaire de tous, gestions active ou passive. A charge désormais aux entreprises de gérer l'afflux de questions et de demandes sur les thématiques environnementales, notamment en assemblée générale.
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