Un revenu universel en cryptomonnaies : cinq questions sur ces projets utopiques

DOSSIER CRYPTO - Le monde de la finance décentralisée veut depuis longtemps relever un défi, celui de voir la fin de la pauvreté et des inégalités. Désormais alliée aux algorithmes de l'intelligence artificielle, la blockchain pourrait produire un revenu universel en cryptomonnaies redistribuable. Fantasme des magnats de la tech, à l'image de Sam Altman et sa cryptomonnaie Worldcoin, ou réalité ? Eléments de réponses.
Jeanne Dussueil
(Crédits : DR)

Et si les cryptomonnaies, qui servent aujourd'hui principalement à la spéculation, permettaient à chacun de recevoir, chaque mois, un revenu minimum ? En vogue dans la Silicon Valley, le projet n'est pas nouveau et est même soutenu par des figures de la Tech, comme Elon Musk. En 2016, l'idée avait déjà pris forme avec la Fondation Grantcoin, organisation à but non lucratif basée aux États-Unis qui avait développé un programme de revenu universel, utilisant une monnaie numérique et la blockchain, finalement abandonnée.

Alors que les économies sont frappées par une forte inflation depuis la fin de la période Covid, réduisant le pouvoir d'achat des contribuables, l'idée séduit à nouveau. Elle est portée par le projet WorldCoin de Sam Altman, fondateur de OpenAI et père de ChatGPT, qui promet un revenu en crypto... contre la photo des yeux de son utilisateur afin d'accélérer les technologies d'identification.

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Qu'est-ce qu'un revenu universel basé sur la blockchain ?

Dans le projet de revenu universel basé sur une cryptomonnaie, deux concepts cohabitent. Le premier, celui du revenu universel, ou revenu de base, d'existence, allocation universelle... propose que l'Etat redistribue à chaque individu une somme, de manière régulière et sans condition. Le principe, censé réduire la pauvreté et les inégalités, s'invite dans les débats depuis le XVIe siècle. « On situe généralement les origines du concept d'allocation universelle à L'Utopie de Thomas More, publié en 1516. Dans l'île imaginée par More, chacun est assuré des moyens de sa subsistance sans avoir à dépendre de son travail », rappelle le site du Sénat. En France, le revenu minimum d'insertion (RMI) en 1988 a constitué la première tentative d'introduire un filet de sécurité généralisé pour les plus démunis. « Toutefois, les limites de ce dispositif, résultant du phénomène de « trappe à inactivité », ont justifié sa réforme avec la mise en place du RSA à partir de 2008 », ajoute l'institution.

Si ce n'est par l'Etat, la prise en charge de ce revenu universel peut revenir à une entité privée. La rémunération devient alors conditionnée à l'accès à une ressource exploitée par l'entreprise. C'est là que le monde des cryptomonnaies et de leurs protocoles blockchain viendrait se greffer. En tant que grand registre de compte décentralisé, la blockchain permet d'effectuer des transactions de manière instantanée, sécurisée et sans intermédiaire. Dans ce grand registre informatique généré par les ordinateurs en réseau (minage), il est même possible de programmer des actions (smart contracts), selon le code inscrit dans la blockchain. Autant d'actions qu'une autre technologie, celle de l'intelligence artificielle (IA), viendrait accélérer grâce au traitement de masse des données.

« Les participants à l'économie de la blockchain peuvent mettre en gage le jeton natif de la chaîne qu'ils possèdent et recevoir une partie des frais de transaction perçus par la plateforme. Étant donné que les frais de transaction sont prélevés sur toutes les activités économiques se déroulant sur la plateforme et qu'ils augmentent avec le volume d'activités, ce mécanisme permet aux participants de bénéficier directement de la croissance économique de l'ensemble de la plateforme », vante un rapport du Tony Blair Institute for Global Change.

Comment fonctionne un revenu universel en cryptomonnaies ?

« La possession de capital peut constituer un obstacle important à l'accumulation de richesses pour les personnes à faible revenu (...). L'abaissement de la barrière à l'entrée de la propriété du capital peut favoriser une répartition plus équitable des richesses au fil du temps », poursuit le rapport « Comment les modèles économiques du Web3 peuvent aider à rendre la distribution de capital plus égale », de mars 2023.

En pratique, la génération du revenu sur une blockchain repose sur un mécanisme automatisé et décentralisé qui permet de distribuer régulièrement des paiements à l'ensemble des participants d'un réseau, et ce, selon certaines règles prédéfinies. Un programme spécifique de revenu est codé dans les « smart contracts » de la blockchain. Des mécanismes d'identification et de vérification sont mis en place.

Les sources de financement de ce revenu peuvent être diverses. Par exemple, par des taxes redistribuées, des revenus générés par des applications ou des services construits sur la blockchain, ou bien des financements d'entreprises partenaires désireuses d'accéder à une communauté. Ainsi, en échange de l'accès à certaines données personnelles, d'actions favorables à l'environnement, de services... la blockchain rétribuerait de manière automatique un utilisateur sur un porte-monnaie numérique.

Dans ces processus automatisés, le recours aux algorithmes de l'intelligence artificielle (IA) présente plusieurs intérêts : l'amélioration des mécanismes d'identification et de vérification des participants éligibles, l'analyse de données, la prédiction des besoins des bénéficiaires, la personnalisation, rappelle une étude d'IBM.

Quels sont les projets de revenu universel crypto ?

Le projet Grantcoin a ainsi été précurseur. Les subventions du revenu de base (sous la forme de la monnaie numérique Grantcoin) étaient distribuées trimestriellement par Grantcoin. En 2016, Grantcoin revendiquait avoir distribué de la monnaie numérique à 1.132 demandeurs, issus de 79 pays du monde entier. L'idée a depuis été abandonnée.

Lancé en 2020 par la société de trading et courtage cryptos eToro, GoodDollar se revendique comme le plus grand projet de revenu universel de base (UBI) au monde. « Il s'agit d'un projet communautaire à but non lucratif qui génère et distribue de l'argent numérique afin de créer un accès à la richesse pour les personnes confrontées à la pauvreté et à l'inégalité. N'importe qui dans le monde peut réclamer des tokens GoodDollar (G$) en tant que revenu universel de base (UBI) quotidien », explique la société israélienne. Elle revendique un demi-million de personnes issues de plus de 180 pays ayant ouvert un portefeuille numérique afin de réclamer le UBI, et 80 000 utilisateurs actifs hebdomadaires.

Qui finance ce revenu ? « Chaque membre enregistré reçoit une distribution quotidienne en G$, le jeton UBI qui est financé de manière durable par les contributions des gains sur les actifs d'investissement des grandes entreprises, qui sont versés dans le cadre de leurs programmes de RSE. Les mécènes qui soutiennent le système UBI GoodDollar sont des organisations ou des individus qui souhaitent soutenir l'UBI dans le cadre d'une approche plus durable, sans don préalable, afin de façonner une économie mondiale plus inclusive », explique Anna Stone, directrice exécutive de GoodDollar, à La Tribune.

« Les pays qui ont connu la plus forte adoption sont le Brésil, le Nigéria et le Vietnam, et les enquêtes menées auprès des membres montrent que la majorité des demandeurs ont des revenus extrêmement faibles », précise-t-elle.

Circles UBI se positionne également sur un revenu de base universel basé sur la blockchain Ethereum (à ne pas confondre avec la plateforme d'échanges crypto Circle) afin de créer une monnaie de base qui est distribuée de manière égale à tous les utilisateurs enregistrés.

Le projet français en open-source Duniter prétend favoriser la décentralisation. « Duniter s'inspire de ces cryptomonnaies, mais il adopte une création monétaire égalitaire sous forme d'un Dividende Universel quotidien défini par une théorie monétaire », explique le collectif d'ingénieurs. Ce dividende repose sur la théorie d'une monnaie libre, soit une part de monnaie créée périodiquement en proportion de la masse monétaire totale. Il revendique 3.000 participants à sa crypto-monnaie G1.

A San Francisco, « Swift Demand est une tentative de revenu de base. Chaque utilisateur inscrit au service reçoit 100 Swifts par jour. Aucun Swift supplémentaire ne peut être créé avec du temps ou des ressources », explique la société américaine. Chaque utilisateur reçoit un montant régulier de « Swifts ». Créée en 2018, elle revendique 40.000 inscrits avec 50 produits proposés à la vente.

MyUBI est une application mobile lancée En Israël, l'application mobile MyUBI génère un revenu de base universel généré basé sur la blockchain Tezos. Enfin, surfant sur le succès de ChatGPT dont il est à l'origine avec la société OpenAI, Sam Altman mise aussi sur les cryptomonnaies capables de rémunérer ses utilisateurs avec le projet « Worldcoin ». En échange d'une photo de son iris, l'utilisateur se voit recevoir 200 dollars. « Nous pensons que Worldcoin pourrait augmenter considérablement les opportunités économiques, mettre à l'échelle une solution fiable pour distinguer les humains de l'IA en ligne tout en préservant la vie privée, permettre des processus démocratiques mondiaux, et éventuellement montrer une voie potentielle vers le revenu universel de base financée par l'IA », annonce le site. L'initiative a déjà déplacé les foules.

Pourquoi ces projets n'ont-ils pas encore atteint un usage de masse ?

Plusieurs facteurs sont cités par les experts. D'abord, bien que mondialement connues, l'adoption des cryptomonnaies reste limitée. Souvent parce qu'elles nécessitent une connaissance technique minimale, freinant là-aussi les nouveaux inscrits. La volatilité de leurs cours représente une crainte, renforcée par les multiples crises traversées ces derniers mois. Adossé au stablecoin décentralisé DAI, Goodollar revendique pourtant la stabilité de ses réserves sur son site. « Cela permet à tous les GoodDollars d'avoir un prix en dollar USD, et d'être liquides et échangeables », explique Anna Stone.

Aussi, un durcissement de la réglementation par les Etats pourrait venir stopper ces développements. Enfin, les projets de revenus crypto essaiment et, sans leaders, ce marché éclaté n'est pas encore consolidé.

Le revenu universel versé en cryptomonnaies a-t-il réellement un avenir ?

Pour l'heure, difficile de dire quel usage ou quel système pourrait prendre le dessus. « L'UBI est une question sous-explorée et sous-estimée qui prend de plus en plus d'importance à mesure que l'IA et d'autres macro-tendances rendent son besoin urgent plus évident. En fin de compte, le domaine de l'UBI ne sera pas un modèle où tout le monde gagne, et nous pouvons raisonnablement envisager un avenir où il y aura une prolifération de systèmes d'UBI, de nature gouvernementale, privée et non gouvernementale, dont les individus seront éligibles pour participer à une série de programmes de revenus », prédit Anna Stone du projet Goodollar.

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Jeanne Dussueil

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Commentaires 5
à écrit le 02/08/2023 à 16:02
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Bref ! Rien de résilient ! Que du virtuel !

à écrit le 02/08/2023 à 15:34
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"Le monde de la finance décentralisée veut depuis longtemps relever un défi, celui de voir la fin de la pauvreté et des inégalités"🤣🤣🤣 Il faudrait un peu mieux vous documenter ou reformuler différemment. Reprenez déjà les dogmes et les mantras du néo...

à écrit le 02/08/2023 à 13:54
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ça changera rien pour certain. Fainéant et arrivistes à gratter les aides sociales et en faire du black , ils seront fainéants et arrivistes en ayant un revenu universel plus facile encore. Rappel : 68 000 000 de français donc 14 000 000 de moins ...

le 02/08/2023 à 18:58
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"ça changera rien pour certain" Si ton voisin t'énerve déménage plutôt que d'en faire une fixette.

à écrit le 02/08/2023 à 8:51
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Revenu universel tenu par les mondialistes néocons fous moyennant obéissance, q' est-ce que nous disions? Il vous faudra alors accepte-notamment- l' injection qui ne manquera pas de ..récidiver et baisser le thermomètre sur o...

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