Cryptomonnaies : les "stablecoins" inquiètent les autorités centrales, vers une nouvelle régulation ?

Parce qu'elles présentent les avantages technologiques et financiers des cryptomonnaies classiques, sans leur volatilité, comme le bitcoin avant elles, les stablecoins tracent leur sillon dans l'univers de la finance décentralisée. De quoi alerter les banques centrales qui appellent à mettre en place "rapidement" un cadre légal pour réglementer ces nouveaux types d'échanges opérés sur le réseau sécurisé de la blockchain.
Jeanne Dussueil
La libra, la stablecoin de Facebook.
La libra, la stablecoin de Facebook. (Crédits : Dado Ruvic)

Tether, USD Coin, Binance USD... Ces noms sont quasi inconnus du grand public, en dehors des propriétaires de cryptomonnaies. Pourtant, ces actifs numériques dits "stablecoins", sont aujourd'hui surveillés de près par la Maison Blanche et par les autorités financières traditionnelles. Après avoir jugé le bitcoin "extrêmement inefficace", la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen a insisté lundi sur "la nécessité" de mettre en place "rapidement" un cadre réglementaire pour les stablecoins.

"Les participants ont discuté de la croissance rapide des stablecoins, des utilisations potentielles comme moyen de paiement et des risques potentiels pour les utilisateurs, le système financier et la sécurité nationale", est-il écrit dans un rapport publié à l'issue d'une réunion sur le sujet du Groupe de travail de la Maison Blanche sur les marchés financiers (PWG).

La levée de bouclier contre les stablecoins monte en puissance. En amont de cette rencontre du PWG, des chercheurs affiliés à la Banque centrale américaine (Fed) et de l'université de Yale ont publié un rapport intitulé : "Taming the Wildcat Stablecoins" ("Apprivoiser le chat sauvage des stablecoins" ndlr). Dans celui-ci, ils appellent également à davantage de régulations sur ce système régit en dehors de toute institution financière.

Ce souhait, Gary Gensler, le nouveau patron de la SEC, pourra d'ailleurs l'impulser à la tête du gendarme de la Bourse américaine, lui qui connaît parfaitement le monde des cryptomonnaies, des plus décentralisées, à ces stablecoins.

Le Diem attendu de Facebook

A mi-chemin entre le monde des monnaies traditionnelles et les cryptomonnaies, les stablecoins, souvent converties en dollars, s'échangent grâce à la technologie décentralisée de la blockchain dont les ordinateurs en réseau valident chaque information transmise. Leur cours étant adossé à des devises, ces actifs sont beaucoup moins volatiles que le bitcoin et autres cryptomonnaies, dont la valorisation ne répond qu'à la seule règle de l'offre et de la demande. Le bitcoin fluctue dès lors énormément : il peut valoir plus de 64.000 dollars en pleine crise Covid-19, puis retomber sous les 30.000 dollars ces derniers jours. Ainsi, en 2010, deux pizzas pouvaient s'acheter 10.000 bitcoins (environ 41 dollars). « Aujourd'hui, cet achat pèserait des millions de dollars. Les stablecoins résolvent ce problème », explique le site de la blockchain Ethereum, propriétaire d'une infrastructure technologique utilisée par ces monnaies.

Toute entité - en particulier les entreprises - peut créer son propre stablecoin et le faire ainsi entrer dans l'économie réelle. La société doit pour cela développer ces algorithmes sur une blockchain, privée ou publique, et garantir une réserve monétaire de référence. C'est le cas par exemple de Facebook qui entend distribuer dès 2021 auprès de ses 2,7 milliards d'utilisateurs sa propre monnaie avec le "Diem" (ex Libra). Son cours est garanti et centralisé par le réseau social (monnaie dite collatérale) mais d'autres stablecoins ne reposent que sur les algorithmes (dites non collatérales).

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Les nouvelles fonctions de la monnaie

Tandis que le bitcoin n'a pas encore rencontré les usages du grand public, le stablecoin pourrait, lui, réussir ce défi. En 2020, Jon Cunliffe, le gouverneur adjoint de la Banque d'Angleterre, en charge de la stabilité financière, décrivait les avantages des stablecoins tels "des coûts réduits sur les paiements, particulièrement transfrontaliers, une plus grande inclusion financière pour les non bancarisés". On estime en effet que le nombre de personnes non bancarisées dans le monde atteint 1,7 milliard, selon le rapport du groupe de travail du G7, du FMI et la Banque des règlements internationaux (BIS) de 2019.

Deux ans plus tard, contrairement à son homologue de la Banque populaire de Chine, Jon Cunliffe est tout aussi favorable à proposer une cadre réglementaire aux stablecoins. Dans un discours, en mai 2021, le Britannique affirmait :

« Les stablecoin, cette forme de crypto-actifs, (...) dont les partisans affirment qu'elles ont le potentiel de réduire radicalement le coût de la monnaie digitale et d'augmenter ses "fonctions", les "choses qu'elle (la monnaie) peut faire", intégrant l'argent beaucoup plus profondément dans le monde digital, d'une façon que l'on peut maintenant imaginer ».

Reste que les stablecoins ouvrent une nouvelle brèche, alors que, dans le même temps, les Etats et les banques centrales s'activent à créer leur monnaie numérique alternative (les CBDC pour "Central Bank Digital Currencies") au bitcoin, ou qu'elles les interdisent, comme en Chine et en Inde. Sur ces sujets, la Fed, sur un e-dollar, et la Banque centrale européenne (BCE), sur un euro numérique, doivent d'ailleurs rendre leurs conclusions à la rentrée.

Début juin, la Banque d'Angleterre se montrait aussi plus prudente estimant que si ces moyens de paiements se démocratisaient, ils devraient être régulés avec la même rigueur que les transactions bancaires.

Un nouveau marché

Tandis que le bitcoin est montré du doigt par les autorités, accusé de favoriser les transactions illégales, le blanchiment et le financement du terrorisme, les stablecoins, résistent davantage aux attaques. La banque d'affaires Goldman Sachs, - en plus de proposer des outils pour suivre le bitcoin -, est ainsi actionnaire de la société Circle, émettrice de son propre stablecoin. Sa prochaine entrée en Bourse de Circle est estimée à 4,5 milliards de dollars.

La valeur technologique de ces jetons digitaux (tokens) se vérifie aussi sur les nouvelles place de marchés. Celui des stablecoins atteint plus de 110 milliards de dollars, selon le média The Block. En tête, la monnaie Tether (USDT) avec 62% de part de marché et l'USD Coin à 21%. A titre de comparaison, dans ses plus hauts, le bitcoin - dont le nombre de jetons en circulation est limité à 21 millions pour éviter la fabrication d'argent - a atteint jusqu'à 1 trillion de dollars de valorisation.

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Quels risques sur les stablecoins ?

Certes moins volatiles, des critiques s'inquiètent toutefois du manque de transparence de certains émetteurs et plateformes de stablecoins, qui ne publient pas la composition des actifs qu'ils ont en portefeuille pour garantir la stabilité de cette devise électronique.

Par ailleurs, l'agence de notation Fitch a relevé, dans une note publiée début juillet, que le Tether détenait environ la moitié de ses réserves sous forme de "papier commercial", une forme de dette à court terme émise par les entreprises.

Des retraits massifs de Tether en dollars pourraient, dès lors, créer des perturbations sur le marché du crédit aux entreprises, a estimé Fitch.

A Washington, le groupe de travail prône encore des "recommandations" sur les avantages et risques potentiels des stablecoins. Le PWG prévoit de les rendre "dans les prochains mois".

(Avec AFP)

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Jeanne Dussueil

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Commentaire 1
à écrit le 22/07/2021 à 9:58
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Débordés de partout du fait même de leur pattologique cupidité et donc bêtise, ils ne peuvent que s'en prendre à eux mêmes et en attendant c'est tellement beau de les vois s'afficher si grotesques, désesperemment faibles.

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