L'affacturage explose sur fond de révolution digitale

La France est devenue le deuxième marché au monde, derrière la Chine, dans la reprise de créances d'entreprises. Le métier reste trusté par les banques, les Fintech peinant à percer.
Delphine Cuny

Affacturage : le métier ne fait probablement pas rêver les étudiants en finance. Pourtant, cette activité connaît une forte croissance, à l'heure où les banques réduisent la voilure tant dans les agences que dans les salles de marchés, et une transformation accélérée avec le digital. L'Association des sociétés financières (ASF), qui regroupe 290 membres, dont les principaux acteurs de l'affacturage, a publié le 12 mars des chiffres record. Le montant des créances d'entreprises prises en charge par des sociétés spécialisées (appelées « factors ») a dépassé 320 milliards d'euros en 2018, « le montant le plus élevé jamais atteint sur une année », s'est félicitée l'organisation professionnelle. Un montant en hausse de 10,2 %, après trois années consécutives de progression à un chiffre, multiplié par 2,5 en dix ans et par 6,5 en vingt ans.

Le champion des crédits à court terme, né dans les années 1960

« Depuis 2016, l'affacturage est devenu le premier crédit à court terme pour les entreprises, devant le découvert. Il a tout balayé, y compris de vieux produits comme l'escompte », a analysé Patrick de Villepin, président de la commission affacturage de l'ASF et président de BNP Paribas Factor, lors d'une présentation à la presse. « Nous achetons des créances, nous les finançons, si besoin nous assurons la relance et le recouvrement. Nous apportons de l'oxygène aux entreprises, le cash nécessaire pour qu'elles se développent », a-t-il plaidé.

Si l'origine de l'affacturage remonterait à l'Antiquité, aux marchands phéniciens, grecs ou romains, le concept de cession de créances s'est développé au XVe siècle, avec l'essor des empires coloniaux. Mais la technique de gestion financière, au départ anglo-saxonne, consistant en la reprise d'une créance commerciale par un acteur spécialisé assumant le risque de non-paiement n'apparaît en France que dans les années 1960 (la Société française de factoring est fondée en 1964, Factofrance Heller en 1966), et le terme d'affacturage est créé par un arrêté de novembre 1973. Dans un pays où le retard de paiement a longtemps été un sport national, l'activité a fortement augmenté dans les années 1980. Autrefois considéré comme un financement de dernier recours pour les entreprises en difficultés de trésorerie, l'affacturage s'est banalisé ces quinze dernières années et beaucoup développé sur le segment des grandes entreprises émettrices de factures (fournisseurs d'électricité, opérateurs télécoms, etc.).

« De grands groupes du CAC 40, dans le secteur B2B, comme Total, veulent sortir de leur bilan les créances grâce à l'affacturage, et ainsi afficher un faible poste clients et un niveau élevé de trésorerie. Cela représente des volumes phénoménaux, plusieurs milliards d'euros », nous décrypte Cédric Teissier, cofondateur et directeur général de Finexkap, plateforme d'affacturage en ligne active depuis quatre ans. L'ASF confirme que « les grands clients représentent 80 % des volumes et 20 % du nombre de clients ». Le taux de pénétration reste en réalité faible parmi les PME : moins de 5 %, deux fois moins qu'outreManche. Ce sont pourtant elles qui sont le plus victimes des retards de paiement, qui leur coûtent près de 16 milliards d'euros de trésorerie par an, selon une estimation de la Banque de France.

Les agences bancaires, clé du marché

L'Europe représente les deux tiers du marché mondial : 66 % d'un total de 2730 milliards d'euros en 2018, selon l'association mondiale de la profession, FCI. La croissance de ce business quinquagénaire est beaucoup plus forte en France (+8 %) que chez bon nombre de nos voisins. Ainsi, « la France est devenue le numéro deux mondial en 2018, certes loin derrière la Chine, mais elle aurait dépassé le Royaume-Uni, d'après les estimations provisoires de la FCI , indique Patrick de Villepin. Nous avons des champions français et européens, pour ne pas dire mondiaux. »

BNP Paribas Factor se revendique leader européen. En France, où il a réalisé 51,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires acheté en 2018, il a été doublé par le Crédit Mutuel (CM-CIC Factor) : la filiale du groupe mutualiste est passée du cinquième au premier rang depuis le rachat de l'activité d'affacturage et de leasing de GE Capital (dont la marque FactoFrance) en juillet 2016 : elle affiche 73,9 milliards d'euros de créances achetées au compteur en France en 2018 et une part « de plus de 20 % du marché français ».

Le secteur est désormais trusté par les groupes bancaires : le Crédit Agricole avec Eurofactor pointe à 76 milliards en 2018, dont 49,9 milliards en France ; Société Générale Factoring a grimpé à 50 milliards (+24 %) en 2018 dont 35 milliards en France ; et Natixis Factor annonce 59 milliards d'euros en 2018 (dont près de la moitié à l'international).

Initialement aux mains d'indépendants, « le marché est devenu progressivement un produit captif des réseaux bancaires », admettait il y a quelques mois Luc Dymarski, le directeur général de CM-CIC Factor. Chez BNP Factor par exemple, « l'apport de clientèle se fait à 80 % par les agences bancaires de BNP Paribas, le reste avec les courtiers en assurance crédit et le canal direct en ligne », note son président. La part est de 78% au Crédit Agricole (LCL et caisses régionales).

« La force du réseau de distribution des banques est démentielle ! », réagit Cédric Teissier, de Finexkap. La startup de la Fintech a financé à ce jour plus de 250 millions d'euros, soit plus de 35.000 factures émises par plus de 1500 clients TPE, PME ou entreprises individuelles : « Ce n'est pas indécent au regard des 30000 PME qui ont recours à l'affacturage », confie-t-il. Cela dit, « on est tout petit encore ! Finexkap est la première plateforme de financement B2B sur le marché français, mais on est en deçà de ce que nous espérions. »

Elle mise sur les partenariats, avec des plateformes pour indépendants (Yoss d'Adecco, Malt) et des courtiers (AUGroup, Altassura). Au Royaume-Uni, la Barclays s'est même associée au pionnier Market Invoice, dont elle a acquis une part du capital, « un modèle gagnant » aux yeux de Cédric Teixier.

Processus fluidifiés

Les Fintech ont du mal à percer le marché faute de notoriété, dans un contexte de taux où les financements sont peu chers, et face à des acteurs historiques qui ont su prendre le virage du numérique pour conquérir les TPE à moindre coût, avec des forfaits très simples.

« L'aiguillon des Fintech a convaincu les acteurs de se moderniser, a reconnu le président de BNP Factor. Nous sommes devenus des "tech companies" : nous avons fluidifié les processus qui sont totalement digitalisés pour l'offre d'entrée de gamme. »

La solution digitale Cash In Time du Crédit Agricole (réponse en moins de 24 heures), a atteint en deux ans le milliard d'euros de créances. Or le modèle a besoin de volumes pour être rentable. Les plus petits acteurs sont aussi plus exposés au risque de fraude. Deux Fintech ont d'ailleurs jeté l'éponge, victimes de pertes importantes, le britannique Urica et le suisse Advanon. Le belge Edebex, au modèle inversé de place de marché, enregistre en revanche une forte croissance et dit avoir dépassé les 200 millions d'euros de factures vendues en France.

Delphine Cuny

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Commentaire 1
à écrit le 29/03/2019 à 8:57
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Bonjour, Je suis l'auteur de l'image que vous utilisez pour illustrer l'article sur l'affacturage, pouvez vous me contacter svp ?

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