Attirer les jeunes talents, un défi pour l'aéronautique

Alors que le secteur doit embaucher pas moins de 25 000 personnes cette année pour tenir les cadences de production, il se heurte à la pénurie de main d'œuvre et au manque de vocations. Lors d'une table ronde du Paris Air Forum, organisé par La Tribune le 16 juin, Alexandre Gentot, DRH de l'activité avionique de Thales, Arnaud Marfurt, président de l'ESTACA, Clémentine Gallet, présidente de Coriolis Composites et présidente du Comité Aéro-PME, ainsi que deux étudiants ont débattu des mesures à adopter pour séduire la relève - et la garder. Parmi les pistes : informer dès le collège, avec une attention particulière pour les filles, et offrir de la flexibilité et de la formation aux salariés.
Le Paris Air Forum 2023 a une nouvelle fois aborder la question de la pénurie de main d'oeuvre
Le Paris Air Forum 2023 a une nouvelle fois aborder la question de la pénurie de main d'oeuvre (Crédits : DR)

Ils sont là pour remettre en cause les a priori selon lesquels les jeunes rechigneraient à entrer dans l'industrie, et particulièrement dans l'aéronautique, secteur qui peut apparaître comme peu compatible avec leur désir de sauver la planète, sans oublier leur besoin de flexibilité, difficile à concilier avec la production... Invités à la table ronde intitulée « L'aviation a-t-elle les moyens de séduire les jeunes ? », Adrien Treille, élève à l'Ecole d'ingénieurs Aéronautique et Spatiale Paris (Ipsa) et Christine Lin, étudiante à l'Ecole de Technologie Supérieure (université du Québec) et à l'université de Technologie de Compiègne, actuellement en stage chez Pratt & Whitney Canada, ont clairement déjà été séduits. Le premier, passionné depuis son plus jeune âge, se rêve en pilote de ligne, la deuxième a découvert le secteur à l'occasion d'un stage, en 2019 et a trouvé sa vocation. « Mais j'ai des amis qui ont changé de secteur, dit-elle. Ils ont des doutes sur sa décarbonation, alors qu'au contraire, je veux en être actrice », dit-elle. Selon les dernières estimations du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), le secteur aéronautique et spatial français, qui a enregistré un fort rebond de son activité en 2022, doit recruter pas moins de 25 000 personnes cette année pour maintenir les cadences de production et répondre à la demande. Mais comment faire si les talents manquent à l'appel ?

« Les jeunes que nous tentons de recruter posent beaucoup de questions et réfléchissent plus longtemps, admet Alexandre Gentot, DRH de l'activité avionique de Thales, qui compte, pour accompagner sa croissance, embaucher cette année plus de 12 000 personnes dans le monde, dont 6 000 dans l'aéronautique et 2 000 en France. Alors qu'il fallait 70 jours pour un recrutement, il en faut maintenant 110. Mais nous avons des arguments pour les convaincre. » Au-delà du fait que le groupe peut s'enorgueillir d'être classé, avec Airbus, devant Google au palmarès Universum des employeurs préférés des étudiants ingénieurs en France, il utilise des « influenceurs » de choc : ses salariés, qui témoignent de leur expérience et de l'intérêt de leur poste dans des vidéos promotionnelles. En outre, « alors que nous recrutons en masse, nous privilégions un contact plus individualisé, précise le DRH. Nous avons par exemple loué des salles de cinéma pour offrir de découvrir Top Gun Maverick, et en profiter pour parler des opportunités de carrière dans le groupe. » En outre, pour attirer les candidats comme pour garder les jeunes recrues, Thales met en place le plus de flexibilité possible : télétravail, travail hybride, absence de réunion certains jours, écoute attentive des besoins des salariés, formation continue pour l'évolution de carrière... Sans oublier de nombreux avantages sous forme de clubs de sport ou autre. Quant aux salaires, « ils sont compétitifs », assure le DRH.

 « On galère »

Autant d'atouts des grands groupes qu'envie Clémentine Gallet, présidente de Coriolis Composites, basée en Bretagne, et présidente du Comité Aéro-PME... « L'aviation bashing fait des ravages et on galère, dit-elle. Les PME du secteur sont peu connues et souvent en région. Si la qualité de vie y est bonne, nous avons cependant du mal à trouver des techniciens bac + 2 ou 3, alors que des jeunes sont encore sans emploi... » Au point qu'une entreprise du secteur a distribué des tracts vantant les perspectives d'embauche et de formation à des caissières de supermarché, l'idée étant qu'elles en parlent à leurs enfants ou leurs voisins ! Pour l'heure, déplore la dirigeante de Coriolis Composites, certaines entreprises sont en sous-régime, par manque de compétences disponibles.

 Les écoles existent pourtant et elles semblent séduire de nouveau. « Nous avons eu plus de 8 000 demandes sur parcoursup l'an dernier, pour 350 places à l'entrée. Au total, nous avons 2 400 élèves actuellement et nous espérons en accueillir 4 000 à la fin de la décennie », relève ainsi Arnaud Marfurt, le président de l'ESTACA, une école d'ingénieurs centrée sur l'automobile, le ferroviaire, le naval, l'aéronautique et le spatial. Conscients des demandes des étudiants, les établissements d'enseignement supérieur embauchent des praticiens du secteur ainsi que des chercheurs, pour une meilleure prise sur l'industrie, notamment à l'aide de projets, et sur l'innovation. « Et la transition écologique est désormais largement intégrée au programme de cours », ajoute-t-il.

Pour séduire les jeunes talents, Clémentine Gallet compte aussi sur l'entrée gratuite offerte aux étudiants pour le salon du Bourget, du 19 au 25 juin, et sur les animations - « Nous mettons en avant la décarbonation, à travers les nouveaux systèmes de propulsion, par exemple », explique-t-elle -, ainsi que sur du job dating organisé sur les stands, sans oublier la plateforme de matching d'offres et de demandes d'emploi, L'aéro recrute, qui y sera déployée, comme l'an dernier, par le Gifas. La campagne 2022 avait permis de pourvoir plus de 15 000 postes, dans des grands groupes, ETI et PME, sur l'ensemble du territoire.

Féminisation

Reste un autre vivier, encore peu exploité. Celui des jeunes filles. Pour l'heure, seuls 24 % des emplois dans l'aéronautique sont occupés par des femmes, un chiffre qui tombe à 16 % chez les opérateurs de production... « Notre engagement est clair, mais la situation n'évolue que lentement, admet le DRH de Thales. Nous allons d'ailleurs signer dans quelques jours la charte 'Féminisons les métiers de l'aéronautique et du spatial'. » Initiée dès 2009 par l'association Airemploi, elle vise à accroître la mixité professionnelle dans les secteurs de l'industrie aéronautique et spatiale, de l'aérien et de l'aéroportuaire. Pour ce faire, l'association mise sur de l'information concernant les métiers de l'aéronautique dès le collège, des journées porte ouverte dans les usines, des témoignages de professionnelles et d'étudiantes, du mentorat... Mieux vaut commencer tôt, en effet, puisqu'Arnaud Marfurt note qu'à l'ESTACA, les effectifs ne sont composés que de 20 % de jeunes filles. « Féminiser est un axe de travail pour nous », ajoute-t-il. Enfin, autre levier, des engagements en tous genres de la part des entreprises, et notamment pour l'égalité femmes/hommes et les diversités, dont les personnes LGBT+. Thales a ainsi signé en 2020 la charte d'engagement LGBT+ de L'Autre Cercle.

Bref, tout est fait pour attirer les nouvelles générations, soucieuses d'égalité, de diversité et de lutte contre le dérèglement climatique. Sans compter les bonnes conditions de travail et les perspectives de carrière. D'ailleurs, les deux étudiants venus témoigner à la table ronde du Paris Air Forum soutiennent toutes ces initiatives et repartent avec l'ambition de participer à la nouvelle révolution de l'aéronautique. Christine Lin veut se consacrer avant tout aux moteurs, clés de la décarbonation, « dans un grand groupe, pour y faire carrière et changer de poste, ou dans une start-up, qui apporte davantage de transversalité », dit-elle. Quant à Adrien, s'il ne réussit pas à devenir pilote de ligne, il veut se consacrer à l'optimisation des plans de vols - pour une aéronautique toujours plus vertueuse.

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Commentaires 2
à écrit le 19/06/2023 à 4:31
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Pour attirer des talents avec de bons diplomes il faut d'abord bien les payer. Exemple. Fin 75 diplome d'inge en poche un stage d'une annee m'a ete propose chez Thomson. Salaire 5000 francs de l'epoque. J'ai dit non, et postule chez Texas Instrumen...

à écrit le 18/06/2023 à 21:20
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Il serait judicieux de demander "aux jeunes talents" comment ils imaginent leur avenir tant professionnel que personnel et à partir de leurs attentes de leur faire des offres susceptibles de les faire venir ... et cela pas uniquement vers l'aéronauti...

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