La guerre en Ukraine l'a confirmé : l'espace est désormais un domaine de conflictualité. C'est « le premier conflit spatial, le premier conflit dans lequel il y a eu une véritable action contre des moyens spatiaux utilisés par le militaire », souligne le général Philippe Adam, le Commandant de l'espace français, à l'occasion de la 10ème édition du Paris Air Forum organisé par La Tribune. Dès le premier jour de l'invasion, la Russie a mené une attaque cyber contre les moyens de communication par l'espace des Ukrainiens dans l'objectif de diminuer leur capacité de combat, rappelle-t-il lors de la table-ronde intitulée « Spatial : la France aura-t-elle les armes pour défense ses intérêts ».
Quelques mois auparavant, le 15 novembre 2021, elle avait effectué une démonstration de force en détruisant un de ses satellites par un missile tiré depuis la Terre. La Russie avait alors procédé à la destruction par un intercepteur à ascension directe (DA-ASAT - Direct Ascent Anti-SATellite) de l'un de ses vieux satellites d'écoute électronique positionné sur une orbite basse à un peu moins de 500 km d'altitude.
Une menace qui ne fait que croître
Aujourd'hui, « la menace ne fait que croître », poursuit-il, « des gens avec de mauvaises intentions peuvent s'installer et on sait qu'ils s'installent. Donc les moyens d'agression dans l'espace apparaissent, ils existent, nous le savons, et il faut se préparer à y répondre ». Si la mission ultime du commandement de l'espace, créé en 2019, est de répondre aux besoins de services spatiaux au profit des opérations militaires, « la mission la plus nouvelle qui est confiée au commandement de l'espace réside dans la maîtrise de l'espace », souligne le général Adam.
Pour cela, la Loi de programmation militaire en cours de discussions prévoit un peu plus de 6 milliards d'euros pour l'espace, soit 45% de budget supplémentaire, souligne Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l'armement. « Avec trois axes d'action : depuis l'espace dans le domaine de l'observation, des télécoms, du renseignement, dans l'espace (avec) tout ce qui est commandement et contrôle, les patrouilleurs, les effecteurs, et l'action vers l'espace, notamment l'alerte avancée, le lancement réactif ». « L'enjeu de la maîtrise dans l'espace se fait en trois étapes, poursuit-il. La caractérisation de la menace, quel objet est menaçant, de quel pays est-il originaire ? ».
Ce qui requiert un haut niveau de maîtrise de la connaissance de l'environnement spatial grâce à des moyens de surveillance depuis le sol et depuis l'espace, y compris la détection des lancements, indique Emmanuel Chiva. « Une fois la menace caractérisée, il faut protéger nos moyens spatiaux et donc être capable de manœuvrer dans l'espace, par un dispositif de protection intrinsèque aux capacités traditionnelles d'écoute et le développement de « capacités extrinsèques », en l'occurrence des satellites guetteurs, explique-t-il. Enfin, il faut « être capable de faire de l'action dans l'espace pour décourager nos compétiteurs, mener des opérations spatiales militaires pour décourager les actes inamicaux, illicites, agressifs, évidemment dans le strict respect du droit international ».
Coordination du NewSpace par le CNES
Traditionnellement chargé d'opérer l'ensemble des satellites de défense français, le CNES voit sa mission évoluer. « Ce n'est pas notre travail que d'opérer des satellites en cas de conflit », explique Philippe Baptiste, le président du Centre national d'études spatiales. « Comme l'espace est devenu un lieu de conflictualité, il est absolument nécessaire qu'on ait une montée en puissance du ministère des Armées et donc du commandement de l'espace pour opérer ces actifs ». En revanche, « l'un des grands axes de développement du CNES aujourd'hui est de travailler avec ce nouvel écosystème du "New Space", avec toutes les startups, les nouveaux entrants, mais aussi de nouveaux usages y compris ceux proposés par de grands groupes industriels existants qui viennent proposer des services qu'on va pouvoir acheter pour le compte du ministère des Armées », indique-t-il.
Car de fait, la France a adopté une approche nouvelle pour parvenir à un « équilibre entre achat de service et moyens patrimoniaux qui constituent le cœur souverain du dispositif spatial militaire », explique Emmanuel Chiva. « Les moyens patrimoniaux, c'est souvent en faible quantité mais de très haute performance en termes de données alors que l'achat de services de constellation va être de moindre performance mais une capacité de revisite bien plus importante. La baisse des coûts des constellations et les performances qui sont proposées rendent ce service intéressant ».
Enfin, la France joue pleinement la carte de la coopération internationale. « Si un conflit s'étend à l'espace, tous les pays seront concernés en même temps », explique le commandant de l'espace, le général Adam. « Tout le monde est extrêmement intéressé pour améliorer la coopération en commençant par l'établissement d'une situation complète de ce qu'il se passe dans l'espace ». De ce point de vue, « la France compte, les capacités et le savoir-faire français sont reconnus », assure-t-il. Et d'ajouter : « J'ai de très bons contacts avec beaucoup de monde sauf avec des pays que je ne nommerai pas ».
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