Spatial : comment l'ESA veut créer les conditions de l'émergence d'un NewSpace européen

Le 21 octobre, le conseil de l’ESA a nommé trois nouveaux directeurs, dont une Française Géraldine Naja qui va piloter la direction de la Commercialisation, de l’Industrialisation et de l’Approvisionnement. Entretien avec la nouvelle directrice française, qui a pris ses fonctions le 1er novembre.
Michel Cabirol
L'approche NewSpace peut bénéficier même aux grands programmes de l'ESA, selon la directrice de l'Agence spatiale européenne en charge de la commercialisation, de l'industrialisation et de l'approvisionnement, Géraldine Naja.
"L'approche NewSpace peut bénéficier même aux grands programmes" de l'ESA, selon la directrice de l'Agence spatiale européenne en charge de la commercialisation, de l'industrialisation et de l'approvisionnement, Géraldine Naja. (Crédits : ESA)

Géraldine Naja est accro. Une accro de l'Agence spatiale européenne (ESA) et bien sûr de l'Europe en général, et de l'Europe spatiale, en particulier. Elle a fait toute sa carrière à l'ESA depuis son arrivée en 1987, une fois son diplôme d'ingénieur de l'ENSTA Paris en poche. Cette X (1982-1985) a d'ailleurs préféré travailler en 1987 sur le programme Colombus que rejoindre l'ONERA où elle avait pourtant déjà un contrat qui l'attendait. Près de 35 ans plus tard, Géraldine Naja, qui connait l'ESA sur le bout des doigts, a été nommée le 21 octobre directrice de la commercialisation, de l'industrialisation et de l'approvisionnement, une direction créée le 1er juin où elle assurait l'intérim en attendant la fin du processus de recrutement pour ce poste.

Commercialisation ?

L'intitulé complet de cette direction a de quoi surprendre. Pourquoi l'ESA veut-elle s'occuper de commercialisation ? Derrière cette direction se cache l'un des objectifs du nouveau directeur général de l'ESA, Josef Aschbacher, qui veut accompagner au plus près l'émergence d'un NewSpace européen, extrêmement foisonnant. Et c'est donc à Géraldine Naja que revient cette mission : "L'idée est de promouvoir un NewSpace européen, confirme-t-elle à La Tribune. L'ESA souhaite créer les conditions de son émergence en maximisant l'investissement privé dans le spatial et en encourageant la commercialisation de manière générale". D'où l'idée de créer une direction transverse de façon à mieux aider les start-up et les PME européennes à se développer.

"Le rôle de la NASA a été prépondérant dans la croissance de SpaceX. Je ne dis pas pour autant que l'ESA a les moyens de faire ce qu'a fait la NASA et je ne suis pas sûre non plus qu'il y ait un Elon Musk européen", estime la nouvelle directrice de l'ESA.

"Ce qui manque à l'ESA, c'est certainement un cadre contractuel adapté" pour ses entreprises, a déjà identifié Géraldine Naja. Ainsi, le directeur général a commandé à Géraldine Naja "un petit rapport interne sur les process à mettre en place à l'ESA pour être beaucoup plus rapide, plus réactif et plus souple dans les contrats et dans la gestion de projet". La nouvelle directrice a fait circuler un questionnaire à de nombreuses start-up pour évaluer leurs attentes.

Aujourd'hui, tout est commercialisable dans le spatial, y compris dans le domaine de l'exploration. Il est loin le temps où les filières télécoms et lanceurs étaient les seules à pouvoir commercialiser des produits ou des services. Aujourd'hui, les start-up se bousculent dans la navigation et l'observation de la Terre. D'autres, de plus en plus nombreuses, souhaitent "développer un petit lander lunaire", fait-elle observer. Enfin, elle note un secteur qui se développe beaucoup, celui portant sur la protection des moyens spatiaux et le suivi des satellites (Space Traffic Management).

"Les maîtres mots sont coordination et coopération. Ma direction n'a pas vocation à tout faire. L'ESA participera ou pas à des initiatives nationales ou multinationales. Il ne s'agit pas non plus de vouloir refaire ou faire à la 'place de' mais de travailler ensemble. On ne sera pas de trop à plusieurs agences à travailler sur certains projets, y compris avec l'Union européenne. Elle travaille sur l'initiative Cassini, qui est très intéressante", explique-t-elle.

Travailler avec les grands groupes

Si elle souhaite aider les start-up européennes à se développer, Géraldine Naja n'a pas l'intention pour autant d'exclure les très grands groupes spatiaux du périmètre de sa direction. D'ailleurs, elle souhaite ne pas "antagoniser" ces groupes et les start-up. D'autant plus, rappelle-t-elle, des grands groupes comme Airbus et Thales Alenia Space font déjà eux aussi du NewSpace. "Il ne faut surtout pas dire OldSpace et NewSpace. Il y a plutôt une approche NewSpace, qui d'ailleurs n'est plus si nouvelle que cela", estime-t-elle. Toutefois, Géraldine Naja est bien consciente qu'elle ne va pas expliquer à ces groupes comment commercialiser leurs produits sur le marché mondial. Mais, souligne-t-elle, "il y a de nombreux sujets sur lesquels on peut réfléchir ensemble". Ces groupes "peuvent nous apporter beaucoup sur la réflexion d'une meilleure commercialisation du spatial".

Elle compte toujours sur ces grands groupes pour les grands programmes, qui restent "le cœur de métier de l'ESA".  La maîtrise d'oeuvre de ces grands programmes sera toujours confiée à des grands groupes à l'image d'un programme comme Rosetta, prévient-elle. Toutefois, "l'approche NewSpace peut bénéficier même aux grands programmes", assure-t-elle. Et d'insister également sur la place des start-up dans ces projets : "Nous pouvons faire en sorte que les nouveaux acteurs ou les petits acteurs du spatial puissent être en concurrence avec les plus grands".

Quelles pistes pour accompagner les start-up ?

Les start-up en tant que PME peuvent déjà bénéficier de clauses dans les grands projets sur lesquels l'ESA réserve aux PME entre 5 à 10% de participation selon les projets. "J'ai demandé à toutes les start-up qui sont dans nos incubateurs de s'enregistrer dans le système de l'ESA afin de répondre à des appels d'offres", souligne Géraldine Naja. Elle va rapatrier dans le département commercialisation le réseau des centres BIC (Business incubator Centers) de l'ESA, qui en a ouvert un dans chaque pays membre, afin de les accompagner dans leur croissance. La nouvelle direction va notamment les aider à avoir accès plus facile au financement en montant des partenariats avec des fonds d'investissement. "L'ESA est en train de monter un partenariat avec le Fonds européen d'investissement", précise-t-elle.

Ces entreprises, qui ne chassent pas systématiquement des aides ou des subventions, ont surtout besoin de signer des contrats, y compris avec l'ESA. Selon Géraldine Naja, un contrat signé avec l'ESA est un document sur lequel elles peuvent s'appuyer en demandant des prêts par exemple. Clairement, "le stamp de l'ESA" est gage de qualité et de fiabilité pour une PME ou une start-up. Elle encourage également les grands groupes à les intégrer dans leur chaîne de fournisseurs. "Pour grandir, ces start-up ont besoin de contrats, rappelle-t-elle. Enfin, la nouvelle direction commercialisation, Industrialisation et Approvisionnement souhaite aider ces entreprises à obtenir "des opportunités régulières de validation de démonstrations en orbite".

"Souvent, une PME ou une entreprise qui démarre, a développé un produit dont le concept est bon. Mais il faut qu'il soit validé en orbite sinon elle ne franchit pas la barrière du financement. Personne ne prendra le risque de l'aider".

Un cloud européen souverain dans l'espace

Dans le cadre de sa direction, Géraldine Naja souhaite développer "une forme d'autonomie stratégique de l'Europe". Un concept qui n'est pas nouveau puisque l'Union européenne a développé grâce à l'ESA la constellation Galileo pour rester indépendante par rapport aux Etats-Unis (GPS). "Après la question que l'on peut se poser en matière de politique industrielle par exemple : quel niveau d'interdépendance peut-on accepter ", s'interroge-t-elle. Mais de nouveaux projets sont en réflexion. Ainsi, précise-t-elle, "on réfléchit par exemple à un cloud dans l'espace".

De même, la nouvelle directrice a lancé une enquête auprès des industriels pour déterminer quelles seraient les vulnérabilités actuelles de l'industrie spatiale européenne en matière d'approvisionnement de semi-conducteurs ou de composants ainsi que de matières premières. "Pour le moment, je n'ai pas d'éléments factuels à ma disposition. Je sais que dans le domaine de l'automobile, le problème est grave mais je ne sais pas jusqu'à quel point, c'est le cas également dans le spatial", a-t-elle expliqué.

Michel Cabirol

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Commentaires 6
à écrit le 03/11/2021 à 15:02
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Je suis très dubitatif: le profil pour un poste de directeur "Commercialisation, de l’Industrialisation et de l’Approvisionnement" devrait être celui d'une personne avec une expérience importante de l'industrie, de la commercialisation de produits et...

à écrit le 02/11/2021 à 23:50
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Bonne tête de vainqueuse ... absolument pas au service des citoyens européens. C'est embêtant quand c'est fait néanmoins avec notre pognon.

à écrit le 02/11/2021 à 13:38
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Après avoir raillé les projets US ils vont faire exactement pareil... L'Europe est la chine de l'amérique depuis l'après guerre... Copier/coller

à écrit le 02/11/2021 à 12:05
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Ça c'est la théorie... en pratique l'ESA (que je connais bien) est une douillette bureaucratie, qui va mettre 15 ans à élaborer un programme que les autres nations spatiales auront réalisé depuis longtemps, et qui seront déjà passées à la suite. Le r...

à écrit le 02/11/2021 à 12:01
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"Cette X (1982-1985) a d'ailleurs préféré travailler en 1987 sur le programme Colombus que rejoindre l'ONERA où elle avait pourtant déjà un contrat qui l'attendait" Quand on connaît les conditions de l"ESA et celles de l'ONERA on comprend facileme...

à écrit le 02/11/2021 à 9:19
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L'UE n'étant déjà pas un continent homogène ça va être compliqué. "Chère vieille Europe, ta tête connait à peine tes jambes qui souvent ne comprennent pas tes bras, comment ça marche encore déjà ? Comment ça marche un corps étranger à son corps on ne...

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