Eurodrone : "Ce serait choquant que le contribuable européen finance une solution" non européenne (Franck Saudo, Safran HE)

Dans une interview accordée à La Tribune le président de Safran Helicopter Engines Franck Saudo n'anticipe pas une reprise du marché des hélicoptères à court terme. Dans cet environnement, il considère que son entreprise doit investir dans la décarbonation de ses moteurs pour mieux rebondir à la sortie de la crise. Son ambition est "de parvenir à réduire de 40% à 50% les émissions de CO2" de ses moteurs "à l'horizon 2030".
Je n'anticipe pas de reprise du marché des moteurs neufs (première monte) à court terme. La crise du Covid-19 et ses variants expliquent en partie les difficultés d'un certain nombre d'organisations publiques comme privées à travers le monde à revenir à un fonctionnement nominal (Franck Saudo, président de Safran Helicopter Engines).
"Je n'anticipe pas de reprise du marché des moteurs neufs (première monte) à court terme. La crise du Covid-19 et ses variants expliquent en partie les difficultés d'un certain nombre d'organisations publiques comme privées à travers le monde à revenir à un fonctionnement nominal" (Franck Saudo, président de Safran Helicopter Engines). (Crédits : Safran Helicopter Engines)

La Tribune : Quelle est votre vision du marché de l'hélicoptère ? La reprise est-elle enfin en vue ?
Franck Saudo : Je n'anticipe pas de reprise du marché des moteurs neufs (première monte) à court terme. La crise du Covid-19 et ses variants expliquent en partie les difficultés d'un certain nombre d'organisations publiques comme privées à travers le monde à revenir à un fonctionnement nominal. Ces difficultés ont ralenti les processus de décision. En 2020, on a donc enregistré logiquement une baisse des prises de commandes aussi bien civiles que militaires par rapport à l'avant crise. En revanche, on constate un fort dynamisme des activités de services.

Dans cet environnement difficile, comment se comporte Safran Helicopter Engines (Safran HE) ?
Safran Helicopter Engines continue d'être résilient. En 2021, si nous constatons encore un recul des ventes de première monte, nous avons depuis le début de l'année une croissance à deux chiffres des services, qui représentent plus des deux tiers de l'activité de Safran HE. Pourquoi un tel recul des ventes de première monte en 2021 ? Nous subissons l'impact des annulations de commandes de 2020. L'année dernière, nous avons eu 20% d'annulations de commandes et, donc, nous sommes en 2021 sur un niveau de production de l'ordre de 650 moteurs, qui est notre plus bas niveau depuis 20 ans. Avant la crise du marché offshore, Safran HE produisait au début des années 2010 environ 1.100 moteurs par an, puis, avant la crise COVID, nous avions un niveau de production de l'ordre de 750 moteurs. Pour autant et même à 650 moteurs produits en 2021, le nombre de moteurs Safran HE en service continue de croître solidement ce qui alimente en retour la croissance des services.

La disponibilité des hélicoptères militaires a été pointée en 2019. Aujourd'hui sentez-vous que la situation s'apaise sur cette thématique cruciale pour les armées ?
La disponibilité des moteurs d'hélicoptères est un enjeu pour nos clients, c'est un enjeu stratégique pour Safran HE. Pour le client État français, nous assurons la disponibilité de 1.600 moteurs, tout utilisateur confondu, que ce soit les forces (terre, air, mer), la douane, la sécurité civile, la gendarmerie ou encore la DGA essais en vol. Depuis 12 ans, nous apportons sans discontinuité 100% de disponibilité moteur à l'État français.

En 2019, vous visiez une part de marché de 50% à l'horizon 2025. Cette ambition a-t-elle été reportée en raison de la crise ou est-elle mise en stand-by?
Elle n'est pas mise en stand-by. Notre part de marché se porte bien dans le marché actuel, même si le marché a baissé en volume. Elle va continuer à progresser dans les années qui viennent, avec l'entrée en service des produits certifiés ces dernières années comme l'Arrano (H160) et l'Aneto (AW189K). Nous avons aussi certifié dans le passé récent un certain nombre de programmes dans les pays émergents, notamment en Inde avec l'Ardiden 1U (programme LUH). Ce sont nos investissements des années passées qui entrent actuellement en service. En revanche, le ralentissement du marché fait que les réallocations de parts de marché vont se faire plus lentement que ce que j'avais escompté avant la crise. Pour gagner des parts de marché, il faut qu'il y ait des renouvellements de flotte. Mais dans un environnement de crise COVID avec une baisse des commandes, ces réallocations de parts de marché vont prendre plus de temps.

Le programme H160 et son dérivé militaire seront-ils un important relais de croissance ?
Le H160, équipé du moteur Arrano certifié en juin 2019, est un programme important et structurant pour l'entreprise. Alors que l'entrée en service du moteur est nominale, la dynamique commerciale du H160 sur le marché civil est bonne. Clairement l'entrée en service du H160 va contribuer à l'augmentation de la part de marché de Safran HE. L'hélicoptère militaire Guépard, dérivé du H160, constituera également la colonne vertébrale du programme Arrano à partir de 2026. Cet appareil représentera une partie importante des volumes de ce moteur.

Avez-vous de nouvelles certifications de moteurs en cours ?
En 2019, nous avons certifié quatre nouveaux moteurs. Cela n'était pas arrivé depuis 20 ans. Depuis lors, nous avons certifié un moteur,il y a une dizaine de jours, le moteur Arriel 2L2, destiné à l'hélicoptériste coréen KAI (Korea Aerospace Industries).

Quelles mesures avez-vous prises pour surmonter la crise ?
Safran HE s'est adapté résolument à la nouvelle donne marché. Cette adaptation a reposé sur trois piliers : réduction rapide et marquée des coûts et des effectifs de structure avec un accompagnement de départs volontaires ; mise en place d'organisations plus simples et plus frugales ; et, enfin, préservation des compétences notamment grâce au maintien de notre politique d'alternance. En 2021, nous accueillons 150 nouveaux alternants. Soit exactement le même nombre qu'avant la crise. Nous avons également pu bénéficier du plan de relance du gouvernement, qui était d'une importance vitale pour notre industrie. L'État a joué un rôle contracyclique, qui a permis de soutenir l'emploi industriel grâce aux commandes de 20 hélicoptères du plan de relance. Avec un nombre de moteurs Safran HE à livrer au plus bas depuis 20 ans, nous espérons que les quatre options qui figuraient au plan de relance pour des Caracal seront exercées rapidement. Enfin, si l'État doit procéder à des locations d'hélicoptères, nous espérons qu'il s'agira d'appareils neufs pour soutenir l'emploi industriel en régions.

La crise a-t-elle dégagé de nouvelles tendances ?
La crise a clairement ouvert des opportunités. Elle a notamment accéléré la prégnance des enjeux de décarbonation, qui vont créer des opportunités dans les années qui viennent. Si nous voulons en tirer parti, c'est maintenant qu'il faut être capable d'investir pour achever de maturer les technologies de la décarbonation. C'est aussi pour cette raison que j'ai souhaité adapter l'entreprise pour préserver la capacité de Safran HE à investir en bas de cycle dans le but de conserver nos positions de leader de marché.

Justement, Safran HE et Airbus Helicopters ont fait voler la semaine dernière un hélicoptère H145 avec du biocarburant. Quel est le plan de vol de Safran HE pour décarboner ses moteurs ?
Lors d'un premier vol opérationnel d'un hélicoptère de secours de l'opérateur allemand ADAC Luftrettung dans la région de Munich, nous avons fait fonctionner les deux moteurs Arriel 2E du Airbus H145 en utilisant un mix de carburant conventionnel et de 40 % de biocarburants fournis par TotalEnergies. Tous nos moteurs sont développés et certifiés pour utiliser jusqu'à 50% de carburants aériens durables, les SAF (Sustainable aviation fuel). Le développement des biocarburants permet de réduire les émissions des hélicoptères déjà en exploitation aujourd'hui.

Mais l'offre de carburants aériens durables est-elle suffisamment développée pour décarboner la filière ?
C'est le sujet de l'œuf et de la poule. D'un côté, il y a peu d'offre parce qu'il y a peu de demande, mais, de la même façon, il y a peu de demande parce qu'il y a peu d'offre. L'objectif est de contribuer au développement des SAF, qui sont un levier important de réduction des émissions de CO2 notamment parce qu'ils permettent d'agir sur les aéronefs déjà en exploitation. La réduction des émissions de CO2 est une responsabilité collective, et notamment une responsabilité de l'industrie qui doit contribuer au développement des SAF. Dès le quatrième trimestre de cette année, Safran HE incorporera 10 % de biocarburants dans ses essais moteur. Pour Safran HE, la décarbonation est clairement un enjeu stratégique. Nous souhaitons conserver nos positions de leader dans les solutions de décarbonation, une politique qui repose sur trois piliers : l'optimisation de nos moteurs avec l'objectif d'aller chercher 20% de réduction de la consommation de carburant à l'horizon 2030 ; l'hybride électrique ; et les SAF. Notre ambition est de parvenir à réduire de 40% à 50% les émissions de CO2 de nos moteurs à l'horizon 2030.

Mais l'État doit être moteur dans le développement de cette filière biocarburants...
... Nous travaillons avec plusieurs acteurs dans le Sud-Ouest, dont TotalEnergies et la coopérative agricole Euralis et la région Nouvelle-Aquitaine, au développement d'une filière de production de biocarburants. Nous avons été les catalyseurs du projet Biokena au moment où le gouvernement a émis début 2020 un appel à manifestation d'intérêt. Nous attendons la prochaine étape, qui est le lancement par le gouvernement d'un appel à projets. Ce serait une vraie avancée. Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer pour encourager l'aviation commerciale à s'engager sur le chemin des carburants aériens durables. Deux éléments vont déjà dans la bonne direction : d'une part l'introduction dans la loi de finances 2021 d'un mandat d'incorporation pour l'aviation commerciale et, d'autre part, l'amorçage de la filière avec l'appel à manifestation d'intérêt.

Les opérateurs, vos clients, sont-ils demandeurs ?
Nous avons de nombreux échanges avec nos clients sur la décarbonation, en Amérique du Nord et en Europe principalement. Ce n'était pas le cas il y a encore quatre ans.

Les carburants de synthèse sont-ils un axe prometteur ?
Dans les carburants aériens durables, il y a plusieurs familles : les biocarburants issus de la biomasse, puis potentiellement dans une étape ultérieure, les carburants de synthèse qu'on appelle le PTL. Aujourd'hui, il n'existe pas de carburant de synthèse en production. Mais ces carburants sont également une des voies de décarbonation de l'aviation dès lors que les carburants de synthèse seront produits à partir d'énergies vertes. On est dans un horizon plus lointain, vers 2035-2040.

L'hélicoptère tout électrique est-il envisageable ?
L'hélicoptère tout électrique suppose l'emport de batteries dont la densité d'énergie est moins favorable que celle du carburant. C'est un défi particulier pour le vol vertical qui demande un appel de puissance supérieur à l'avion en l'absence de portance par les ailes. Aussi conjuguer la versatilité de l'hélicoptère avec des batteries n'est pas envisageable à un horizon raisonnable pour des hélicoptères de la gamme motorisée par Safran HE. La force de l'hélicoptère est de franchir des distances entre 600 km (hélicoptère léger) et jusqu'à 1.200 km, avec également une capacité de vol stationnaire, qui appelle beaucoup de puissance. Ce défi peut être résolu, par exemple, dans le cas de drones multirotors mais avec une capacité d'emport et un rayon d'action limités et des phases de vol vertical à durée réduite. C'est un marché qui est en cours d'exploration et où il existe un grand nombre de projets. Ce marché spécialisé constitue également des opportunités pour Safran HE et le groupe Safran.

L'hybride électrique est-il prometteur pour décarboner la filière hélicoptère ?
Oui, résolument. L'hybride électrique est un axe d'innovation de Safran HE à travers notre programme Eco Mode. Ce système donne la capacité à un hélicoptère bimoteur en régime de croisière d'arrêter un des deux moteurs, puis, avec une assistance électrique de le redémarrer quand le besoin opérationnel le requière. Le système Eco Mode permet de réduire la consommation de carburant.

Sur l'Eurodrone, savez-vous quand Airbus va sélectionner le moteur ?
Sur ce programme, les États sont dans une phase de validation des engagements financiers. La notification des nations pourrait avoir lieu durant l'été, puis viendra la sélection du moteur. Sur le moteur, Safran HE offre une solution à la fois performante et compétitive, qui a été maturée dans le cadre du programme européen Clean Sky. C'est une solution développée avec plusieurs partenaires européens : ZFL en Allemagne, Piaggio en Italie et ITP en Espagne. Safran est le seul industriel à offrir aux nations une solution de propulsion vraiment européenne. Et dans l'esprit du plan de relance européen, ce serait choquant que l'argent du contribuable européen serve à financer une solution de motorisation concurrente, qui est actuellement en cours de certification auprès des autorités américaines. Ce serait d'autant plus choquant au moment où le maintien de l'emploi dans les bureaux d'études est un défi pour les industriels aéronautique européens. Enfin, la sélection du moteur est naturellement un enjeu de souveraineté pour l'Europe, qui doit conserver son autonomie sur les enjeux de motorisation. Les autorités françaises sont clairement mobilisées. Il me reste à souhaiter qu'Airbus et les nations prennent la bonne décision pour l'Europe.

Les nations ont-elles également voix au chapitre ?
Le choix de motorisation sera partagé avec les nations. Plus globalement, il y aura un dossier "choix fournisseurs" qui sera présenté.

Continuez-vous à explorer le marché des taxis volants ?
Les nouvelles mobilités aériennes, que ce soit les V-TOLS (vol vertical), les S-TOLS ou les C-TOLS, sont un enjeu et une thématique sur lesquels SafranHE et le groupe Safran plus largement continuent d'être mobilisés.

A quelle échéance ce marché peut-il décoller ?
On est sur un horizon de fin de la décennie.

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Commentaires 7
à écrit le 14/06/2021 à 17:47
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Est ce au contribuable européen de financer un projet, des industries privé(es) (je me suis mis a l'inclusif) sans contrepartie pepette? Les SAF ne peuvent qu'affamer la planète. Eh M'ssieur Cabirol, vos copains du groupe de réflexions des petits ho...

à écrit le 14/06/2021 à 11:03
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Non, c'est le cas avec les gafams, non? n'avons nous pas financé ceux ci?

à écrit le 14/06/2021 à 9:48
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Les carburants verts ! Ils sont prêts à nous affamer, à nous faire payer le renchérissement des produits alimentaires pour pouvoir continuer à voler !

le 14/06/2021 à 12:34
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La solution pour ne pas être affamé : échanger vaccins et traitement médicaux contre stérilisation des populations au delàde 2 enfants par foyer...

le 14/06/2021 à 17:32
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@pfff "contre stérilisation des populations au delàde 2 enfants par foyer... " Faudra le dire a l'Allemande Ursula von der Leyen qui en a 7.

à écrit le 14/06/2021 à 8:45
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En effet mais c'est déjà choquant que le citoyen européen subventionne le consortium européen financier.

à écrit le 14/06/2021 à 8:34
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Mais ça arrive souvent avec la machine à plumer les français nommée UE. Souvenez-vous quand le contribuable français finançait un pont fabriqué par les chinois en Slovénie.

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