Attention danger pour l'Europe ! Le protocole d'accord signé mercredi soir entre le groupe américain Bell Textron et l'italien Leonardo pour évaluer les opportunités de coopération dans le domaine des hélicoptères militaires, notamment les rotors basculants, va constituer un vrai défi pour l'Europe de la défense dans le cadre de l'étude conceptuelle de l'OTAN sur l'hélicoptère de transport de prochaine génération (NGRC, acronyme de Next Generation Rotorcraft Capability). « L'effort de coopération débutera sérieusement avec l'étude conceptuelle n°5 sur la capacité des giravions de nouvelle génération (NGRC) de l'OTAN, dans le cadre de laquelle Leonardo dirigera une proposition d'architecture de rotors basculants avec le soutien de Bell », a d'ailleurs estimé Leonardo dans un communiqué. C'est effectivement un très belle opération du point de vue de l'Italie en général, et de Leonardo en particulier.
« Aujourd'hui pourrait marquer un jour historique pour l'industrie des hélicoptères puisque #Leonardo et @BellFlight ont signé un #MoU pour unir leurs forces sur la technologie des rotors basculants militaires. Gian Piero Cutillo, directeur général de #LeonardoHelicopters, souligne la vision solide et partagée des avantages uniques des rotors basculants pour façonner la prochaine génération de technologies de giravions », a twitté Leonardo dans la nuit de mercredi à jeudi.
Grande vitesse, un enjeu opérationnel non partagé
Selon le groupe italien, « en tant que leaders mondiaux dans la conception, la fabrication et le support d'hélicoptères pour des applications commerciales et militaires, Bell et Leonardo partagent une histoire de plusieurs décennies de coopération industrielle sur les hélicoptères traditionnels ainsi que sur la technologie des rotors basculants ». Leonardo a effectivement toujours fermement soutenu les technologies de rotors basculants « pour répondre aux exigences changeantes des giravions, d'autant plus que de nouveaux besoins émergent sur le marché ».
C'est très clairement le besoin de grande vitesse que Leonardo soutient et qui a été jusqu'ici exprimé par les Etats-Unis sur la base de celui qu'ils ont identifié pour des concepts opérationnels dans la région Indopacifique (Taïwan). Bell est ravi d'avoir une tête de pont solide en Europe. « Nous sommes fiers d'approfondir notre relation avec Leonardo alors que nous continuons à explorer les nouveaux programmes de levage vertical en Europe et aux États-Unis », s'est d'ailleurs félicité la PDG de Bell, Lisa Atherton.
« La grande vitesse comme critère unique de choix de futures plateformes serait réducteur au regard des besoins inhérents à la doctrine française d'aérocombat. Des gains en vitesse seraient une plus-value qu'il faudra jauger à l'aune du compromis à consentir avec les autres spécificités techniques de la plateforme », avait expliqué en juillet 2023 dans une interview accordée à La Tribune le commandant de l'Aviation légère de l'armée de terre (ALAT), le général Pierre Meyer.
C'est donc sur ce dernier point technologique qui se traduira plus tard sur le plan opérationnel que l'Europe se déchire, et plus particulièrement la France et l'Italie. « Nous, en Europe, nous n'avons pas nécessairement la même géographie et les mêmes besoins que les Américains », a rappelé lundi dans une interview accordée à La Tribune le président de Safran Helicopter Engines, Cédric Goubet. Les pays européens devront exprimer leurs besoins opérationnels correspondant aux vrais besoins de leurs forces et non pas forcément le calquer à un besoin exprimé par les Américains. Mais à travers cet accord avec Bell, Leonardo fait entrer le loup dans la bergerie non seulement dans le cadre de l'autonomie stratégique européenne (et française) mais aussi dans le cadre de la compétitivité de l'industrie européenne de défense et de la filière hélicoptère.
Un vrai défi pour l'Europe
Face aux Etats-Unis qui souhaitent imposer leur solution, toute la question est aujourd'hui de savoir si les pays européens voudront une solution « Made in Europe » lorsque la question de lancer des hélicoptères de nouvelle génération se posera en 2035/2040. Aujourd'hui, l'Europe a compris qu'elle devait absolument créer les conditions pour développer les briques technologiques pour cette nouvelle génération d'hélicoptères, qui aura besoin d'au moins une puissance comprise entre 3000 et 4000 chevaux.
C'est d'ailleurs tout l'enjeu du programme ENGRT (European Next Generation Rotorcraft Technologies) sélectionné parmi les priorités du Fonds européen de défense. Pour la filière hélicoptériste européenne, la priorité aujourd'hui est de sécuriser la phase 2 d'ENGRT en 2024 en principe. C'est également tout l'enjeu de convaincre les pays européens de lancer un appel à propositions (call) spécifique sur la motorisation de ces futures plateformes au-delà du programme ENGRT au sein du Fonds européen de défense (FED).
« Dans le cadre du programme NGRC de l'OTAN, les pays européens doivent avoir comme enjeu de soutenir l'industrie européenne en définissant leurs besoins pour la nouvelle génération. Ils devront choisir entre besoin d'autonomie, de connectivité et de grande vitesse. Attention à ne pas nécessairement s'aligner sur le concept de grande vitesse choisi par les Américains. Les besoins opérationnels de l'Europe ne sont pas nécessairement ceux des Américains », avait expliqué en juin 2023 dans une interview accordée à la Tribune le PDG d'Airbus Helicopters, Bruno Even.
Comment vont s'articuler les différentes architectures des futures plateformes entre les deux principaux constructeurs européens, Airbus et Leonardo. « Nous sommes ravis d'évaluer de nouveaux efforts conjoints pour la prochaine génération de technologies de giravions, sur la base de notre vision solide et partagée des avantages uniques des rotors basculants », a fait valoir mercredi soir dans le communiqué de Leonardo le directeur général de Leonardo Helicopters, Gian Piero Cutillo. Jusqu'ici la bagarre restait en coulisse mais aujourd'hui la bataille des concepts est officiellement lancée par Leonardo avec son protocole d'accord avec Bell.
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