« Safran Helicopter Engines produira 10.000 moteurs entre 2025 et 2035 » (Cédric Goubet)

Dans une interview exclusive accordée à La Tribune à la veille du salon HAI Heli-Expo, qui débute mardi à Anaheim (Californie), le président de Safran Helicopter Engines, Cédric Goubet, explique comment le motoriste spécialisé dans le développement et la conception des turbines d'hélicoptère, va produire à partir de 2025 au moins 1.000 moteurs par an (588 livrés en 2023). Un vrai pari au regard des difficultés de la « supply chain ». Dans le domaine militaire, le patron de Safran HE appelle à la mobilisation de l'Europe et des pays européens pour le lancement d'un programme de moteurs ayant une puissance comprise entre 3000 et 4000 chevaux, voire plus, pour un futur hélicoptère militaire européen.
« Safran Helicopter Engines n'a jamais autant recruté, nous n'avons jamais autant investi chaque année » (Cédric Goubet, président de Safran Helicopter Engines).
« Safran Helicopter Engines n'a jamais autant recruté, nous n'avons jamais autant investi chaque année » (Cédric Goubet, président de Safran Helicopter Engines). (Crédits : Safran)

Très souvent, on oublie que Safran Helicopter Engines est le leader mondial de la fabrication de turbines d'hélicoptères (21.000 moteurs en service, 2.500 clients dans le monde, 6.000 salariés, dont 900 à l'étranger). La filiale de Safran, qui est principalement installé en France, y investit significativement que ce soit à Bordes (Pyrénées-Atlantique), l'actuel siège social où il est installé depuis 1942, ou encore à Uzein (Pyrénées-Atlantique), Tarnos (Landes) et Bucheley (Yvelines). Ce champion français s'approvisionne à 80% en France, notamment dans la région sud-ouest, comme le rappelle le président de Safran Helicopter Engines, Cédric Goubet. « Nous irriguons vraiment le territoire français avec nos investissements, que ce soit dans nos nouvelles capacités et dans des emplois très qualifiés », précise-t-il.

LA TRIBUNE - Quelle est votre analyse du marché mondial de l'hélicoptère ?
CÉDRIC GOUBET -
Le marché de l'hélicoptère est en fort rebond avec une très bonne visibilité sur les années à venir. Effectivement ce rebond va se confirmer dans les prochaines années. Safran Helicopter Engines prévoit de fabriquer 1.000 moteurs neufs et de rechange par an à partir de 2025. Nous n'avions plus produit une telle quantité de moteurs depuis 2009. Et nous avons déjà retrouvé des niveaux de commandes qu'on n'avait pas vus depuis les années 2016 et 2017 pour donner un autre élément de comparaison. Nous constatons une croissance régulière de 2,5% à 3% des heures de vol par an pour la flotte mondiale équipée par des turbines de Safran Helicopter Engines. Il y a de plus en plus de turbines de Safran? qui sont opérées.

Quels sont les segments de marché qui font l'objet d'une forte croissance ?
C'est une dynamique qui est forte à peu près dans tous les segments de marché. Il est tiré notamment par la défense, par l'EMS (Emergency Medical Service) et aussi par l'offshore où le renouvellement des flottes a débuté. On est sans doute aujourd'hui dans ce qui sera une des dernières vagues de renouvellement important des flottes d'hélicoptères qui desservent les plateformes offshore. Dans le secteur de la défense, il faut se rappeler que l'Allemagne a annoncé en fin d'année une commande ferme de 62 H145M assortie de 20 appareils en option. L'armée française a aussi commandé huit NH90. La demande est importante dans le domaine de la défense.

Quel type d'appareils s'est bien vendu en 2023 ?
Au-delà de la commande allemande pour le H145M, la demande pour des H145 dans le civil a également été extrêmement forte. Dans les missions parapubliques ou publiques, la sécurité civile et la gendarmerie en France ont commandé 42 H145. Au total, Airbus Helicopters a vendu 186 H145. Ce qui est une année record pour cet hélicoptère, un modèle qui marche très bien, motorisé avec notre Arriel 2E. Et puis, la filière hélicoptère est dans l'attente du résultat d'un appel d'offres du Bundespolizei, qui doit commander une quarantaine de machines de type H225.

La guerre en Ukraine et l'emploi de l'hélicoptère par les Russes dans les combats à haute intensité n'ont pas été une bonne vitrine pour toute cette industrie et pour les forces armées. Quel est votre regard ?
J'en parle très humblement, je ne fixe pas la doctrine d'emploi des hélicoptères. C'est sûr que lors des premiers moments de cette guerre, l'utilisation des hélicoptères par les forces russes a beaucoup surpris. La plupart des autres forces armées dans le monde ne les aurait pas utilisés de cette façon. Les Russes ont certainement surestimé leurs capacités et sous-estimé les forces ukrainiennes. Je comprends très bien que ce retour d'expérience puisse susciter des interrogations puisque beaucoup d'hélicoptères ont été abattus en Ukraine. Nous l'avons senti dans certaines nations européennes, comme par exemple en Allemagne où les interrogations sont plus vives. Mais ce regard a changé. Aujourd'hui, les Russes, comme les Ukrainiens, semblent avoir évolué dans l'utilisation de leurs hélicoptères. Les hélicoptères durant les conflits sont plutôt employés pour des missions spécifiques de pénétration en profondeur au-delà des lignes ennemies, et généralement pas à découvert et en point fixe. Et d'ailleurs, cela n'a pas non plus ralenti les projets américains dans ce domaine avec le développement et l'acquisition de nouveaux hélicoptères. Sur la base des discussions que je peux avoir, il y a une confirmation qu'on aura toujours besoin d'hélicoptères.

Dans le domaine militaire, les drones sont-ils concurrents des hélicoptères ?
Quel sera le besoin à l'horizon 2040 ? La question, qui se pose, est légitime. Car pour certaines offensives sur des champs de bataille conventionnels, les drones sont de plus en plus utilisés, notamment pour la reconnaissance et l'attaque. Cette solution monte en puissance. Mais il n'y a pas que des conflits de type ukrainien. L'armée française peut être confrontée à des situations de conflit asymétriques comme aujourd'hui en Mer Rouge et comme on l'a vu au Sahel. Dans ce type de conflit, l'hélicoptère est un moyen d'appui opérationnel, qui reste redoutable au service des forces armées qui les utilisent.

Les ambitions sur la modernisation des Tigre ont été revues à la baisse par le ministère des Armées. Safran Helicopters Engines est-il impacté par cette réduction de voilure ?
D'abord, la France va continuer à utiliser des Tigre. Il y a quand même un programme de rénovation qui se poursuit avec Airbus Helicopters. En ce qui concerne le moteur, la modernisation a déjà été effectuée avec la version MTR390 E qui augmente la puissance de 14%, ce qui permet d'améliorer les performances du Tigre en conditions « hot & high » (temps chaud et haute altitude). Notre challenge est aujourd'hui de soutenir dans la durée le MTR390 E avec nos partenaires MTU Aero Engines, Rolls Royce et ITP.

Pourquoi ?
Les volumes sont limités mais nous sommes satisfaits que ce programme puisse continuer. Mais il faut que nous nous organisions dans le cadre du consortium pour mieux anticiper le soutien de ce moteur dans la durée qui n'est plus en production, et avec l'Allemagne, qui va progressivement renoncer au Tigre. Donc c'est un vrai challenge pour garder le support et le soutien à un bon niveau au cours des vingt prochaines années. Industriellement, le dossier n'est pas trivial pour nous et nos fournisseurs.

La loi de programmation militaire (LPM) a été sévère sur les hélicoptères avec l'étalement des livraisons notamment du H160M (Guépard). Quel est votre constat ?
On peut voir le verre comme toujours à moitié vide. Mais nous sommes plutôt satisfaits avec notamment la commande de huit NH90 supplémentaires pour les besoins de l'armée de Terre et la confirmation du programme Guépard. Vous avez raison, le calendrier d'entrée en service des appareils s'étale, mais les quantités n'ont pas été révisées à la baisse. Donc nous pouvons considérer que cette LPM, du point de vue des hélicoptères, est une sorte de pierre d'attente. Les principaux engagements n'ont pas été remis en question.

Les étalements de programme n'impactent-ils pas le dimensionnement de votre outil industriel par rapport aux projections de la LPM précédente ?
Quand je vois aujourd'hui la difficulté que nous avons à servir nos clients avec nos capacités actuelles ainsi que celles de nos fournisseurs, je ne suis pas aujourd'hui préoccupé à court terme par ces étalements. En revanche, on verra par la suite mais je reste confiant au regard de mes discussions avec les responsables de l'administration et des forces armées, sur l'avenir de l'hélicoptère dans la prochaine LPM. Je n'ai pas de raison d'être inquiet. Dans le domaine militaire, ma principale préoccupation est la préparation du futur, qui va se faire dans un cadre européen.

Ce qui risque d'être compliqué...
... C'est forcément plus compliqué que quand on est tout seul. Mais comme on dit : tout seul, on va plus vite ; ensemble, on va plus loin. Ma préoccupation porte sur le maintien et le développement de nos compétences dans la gamme des moteurs à forte puissance, c'est-à-dire 2.500 à 3.000 chevaux et au-delà. Nous avons développé un nouveau moteur, l'Aneto, dans cette gamme de puissance pour des applications civiles. Mais la plupart du temps, les moteurs à forte puissance n'ont que des applications militaires, les applications civiles n'étant que très marginales. Safran Helicopter Engines souhaite être prêt en temps voulu pour pouvoir offrir une solution pour les pays européens qui souhaiteraient rester souverains. L'Europe doit garder des capacités souveraines et développer des moteurs de forte puissance pour des hélicoptères militaires lourds, qui viendront après le NH90, le H225...

Le marché de l'offshore est-il vraiment en phase de décollage ? J'ai l'impression d'avoir entendu à de nombreuses reprises cette prévision...  
... Le marché offshore ne sera plus ce qu'il a été. Il ne va pas revenir au niveau qu'on a connu pour notre portefeuille d'activités et de revenus. Nous le savons bien. En revanche, il y a encore un besoin. À ma connaissance, on ne peut pas se passer complètement aujourd'hui des énergies fossiles, le monde reposant encore très majoritairement sur ce type d'énergie. Ce sera encore le cas dans les années qui viennent. Et donc il y a toujours des plateformes et des installations d'extraction pétrolière et gazière à desservir. Ce marché existe toujours. C'est un marché non pas de croissance, mais de renouvellement.

Pour le renouvellement des flottes d'hélicoptères S92 ?
Exactement. L'avenir de cet hélicoptère pose aujourd'hui question. Car on sait bien que Sikorsky a beaucoup concentré ses activités sur le militaire. Ce constructeur américain est en retrait sur le marché civil. Et ce n'est pas un secret que de dire qu'il semble qu'il y ait de plus en plus de difficultés à soutenir les S92. Mais il n'y a pas que le S92, il existe aussi différents hélicoptères dédiés à l'offshore (rayon d'action, capacité d'emport, différentes plateformes à desservir). C'est pour cela que le H160 qui va faire son entrée en service sur le continent américain chez l'opérateur PHI, un grand opérateur de l'offshore, a un bel avenir dans ce type d'activité pour certaines dessertes de plateformes. En raison des modalités de l'exploitation de certains gisements, PHI a besoin de capacités d'emport en termes de passagers qui sont un peu plus réduites.

Vous ne motorisez pas le H175. Avez-vous renoncé à le motoriser ?
C'est le PT6 de Pratt & Whitney qui le motorise. Mais pour le H175M, si une nation militaire voulait une motorisation souveraine - en France ou ailleurs -, nous sommes capables de l'équiper avec un moteur Ardiden 3.

Quel est l'état de vos relations avec Airbus Helicopters ?
Je vous confirme qu'elles sont étroites. Nous avons d'excellentes relations avec Airbus Helicopters et notre coopération se déroule bien. Il faut se rappeler que nous sommes aujourd'hui le motoriste principal d'Airbus Helicopters. Nous ne sommes pas le seul. Outre le H175, nous sommes en compétition sur le H135 avec le PW206 de Pratt & Whitney. Sur certains NH90, l'Espagne et l'Italie ont choisi une motorisation américaine avec le moteur T700 de General Electric (GE). Mais la majeure partie des NH90 est motorisée par Safran. Airbus représente environ 60% de notre chiffre d'affaires (contre 90 % il y a quelques années) grâce à notre politique de diversification en Europe et aux Etats-Unis. Nous sommes le motoriste du Bell 505 (moteur Arrius 2R), qui représente la moitié de leur production, et nous sommes sur deux hélicoptères de Leonardo, l'AW189K motorisé par l'Aneto-1K, qui est entré en service dans un pays du Moyen Orient, et l'AW09 avec l'Arriel 2K, dont Safran Helicopter Engines poursuit actuellement le développement.

Vous visez une production annuelle d'un millier de moteurs en 2025. Comment faites-vous quand je constate qu'Airbus Helicopters, votre principal client, n'a enregistré que 410 prises de commandes en 2023 ?
Outre Airbus Helicopters, nous motorisons des appareils de Bell, de Leonardo, de l'indien HAL et du sud-Coréen KAI avec notre partenaire Hanwha Aerospace. Nous travaillons également avec le japonais KHI (Kawasaki Helicopter Heavy Industry). Tous ces clients engrangent régulièrement des commandes. Ensuite, Safran produit pour le compte de son pool de moteurs de rechange afin de soutenir ses clients dans le monde qui ont signé des contrats à l'heure de vol. Il est géré depuis la France mais il y a un pool en Asie et aux Etats-Unis pour rester proche des clients. Enfin, comme le nombre d'hélicoptères livrés avec nos moteurs augmente, les besoins de réparation des moteurs suivent une courbe ascendante. C'est significatif. Tout cumulé, Safran Helicopter Engines devrait produire au moins un millier de moteurs par an à partir de 2025. Soit 10.000 moteurs sur les dix prochaines années.

Cédric Goubet Safran Helicopter Engines

En 2019, votre prédécesseur Franck Saudo visait 50% de parts de marché mondial en 2025. C'était avant le Covid-19. Cette ambition est-elle toujours d'actualité ?
Au jour d'aujourd'hui, nous ne sommes pas à 50%. Safran Helicopter Engines détient entre 35% et 40% des livraisons au niveau mondial. Par exemple, en 2023, nous n'avons pas livré tout ce que nous aurions dû livrer en raison de nos difficultés d'approvisionnement. Si nous avions atteint notre objectif de livraisons, nous aurions eu 40 % des livraisons mondiales. Nous avons été un peu en-deçà.

Et en 2025 ?
Nous ne serons pas à 50 % de parts de marché au niveau mondial en 2025. On sera, je pense, autour de 40 %. Ce qui n'est pas si mal. Nous sommes le leader mondial. Là où nous sommes moins présents, c'est sans surprise sur le marché militaire américain.

Dans le domaine des services, quel est votre bilan ?
Nous avons vraiment développé les services à l'heure de vol chez nous avec des contrats dit SBH (contrat à l'heure de vol, support-by-the-hour). Plus de la moitié de la flotte de nos moteurs est couvert par ce type de contrat. C'est le ratio le plus important chez Safran. En moyenne, nous réalisons 70% de notre chiffre d'affaires dans les services contre 30% pour la première monte.

Pouvez-vous déjà faire de la maintenance prédictive ?
Oui absolument. C'est l'objectif. Aujourd'hui, le développement des nouveaux produits ou des produits récents prend en compte d'entrée de jeu cette capacité en coopération avec l'hélicoptériste.

Le support a fait l'objet de frictions entre Airbus Helicopters et vous il y a quelques années. Avez-vous défini des frontières dans ce domaine ?
Nous travaillons en bonne intelligence dans ce domaine. Nous avons défini il y a quelques temps un cadre qui fonctionne très bien. Aujourd'hui, je ne sens pas de tensions, ni de sujet d'exacerbation, ou encore de frustrations de part et d'autre. Le terrain de jeu est bien clair des deux côtés aujourd'hui. Parfois, nous travaillons pour des contrats de services gagnés par Airbus Helicopters. Par exemple, certains clients militaires souhaitent avoir des contrats verticalisés et passent un contrat avec Airbus Helicopters. Nous avons des configurations contractuelles qui sont assez variées à la vérité.

Avec la montée en cadence, combien de personnes allez-vous recruter ?
On recrute énormément. En 2023, on a recruté 600 personnes en CDI, dont la majeure partie en France compte tenu de notre schéma d'implantation. On va réaliser autant de recrutements cette année. Si vous ajoutez les apprentis, les stagiaires, les intérimaires, nous avons recruté 1.000 personnes pour une société de 6.000 salariés aujourd'hui. C'est pas mal quand même ! Nous devons le faire pour nos besoins capacitaires dans tous les domaines du jeu, principalement dans le domaine de la production et de la gestion de nos fournisseurs. Il faut qu'on s'améliore et qu'on renforce le pilotage de la surveillance de nos fournisseurs. Nous recrutons également pour nos bureaux d'études. Nous n'avons jamais eu autant de développements et de projets de préparation du futur dans notre portefeuille.

Cédric Goubet Safran Helicopter Engines

Quel est le montant de vos investissements ?
Nous investissons énormément pour soutenir notre effort dans la recherche, la technologie, le développement, l'industrialisation et les achats de matériel pour nos usines (CAPEX). Nous n'avons jamais autant investi chez Safran Helicopter Engines. C'est 300 millions d'euros d'investissements en 2023, puis en 2024. On n'a jamais autant recruté, on n'a jamais autant investi chaque année.

Les difficultés de la supply chain vont-elles être résolues en 2024 ?
La problématique est profonde. Aujourd'hui, nous avons clairement des contraintes capacitaires avec une profondeur de retard significative. Ces contraintes freinent notre capacité à être en rythme avec le rebond de la demande. Notre principal challenge aujourd'hui est de se mettre au niveau du « ramp up » en termes de capacités internes et externes. Nous devons améliorer notre capacité à bien travailler avec nos fournisseurs, à bien anticiper avec eux les problématiques. Nous n'anticipons pas toujours assez ce qui peut se passer.

Des retards de quel ordre ?
Cela dépend des fournisseurs ou des pièces. En moyenne (moteurs neufs et réparés), nous avons l'équivalent d'un trimestre de retard. Nous nous sommes organisés pour augmenter nos capacités et amplifier notre efficacité. A iso-capacité, il faut être plus efficace, notamment certains fournisseurs qui doivent continuer à progresser pour avoir un meilleur rendement et moins de problèmes de qualité.

Quand un de vos fournisseurs a des difficultés, envoyez-vous des salariés de Safran pour les aider ?
Toujours. Nous les aidons à produire plus vite, à obtenir parfois des machines et de la matière première qu'ils ont du mal à avoir. Nous avons un gros sujet d'approvisionnement en matière. La situation va aller en s'améliorant. Je le constate déjà mais la profondeur de retard reste très importante. Nos fournisseurs aux États-Unis sont quant à eux aujourd'hui sous-capacitaires. Et tout cela au moment où l'aviation commerciale repart très fort aussi. Tout le monde augmente en même temps et passe aujourd'hui par les mêmes goulets d'étranglement. C'est encore plus difficile pour la filière hélicoptériste, dont la motorisation des hélicoptères.

Ces problèmes vont-ils être résolus et à quelle échéance ?
Nous avons lancé des actions et nous investissons dans notre outil industriel et chez nos fournisseurs. Nous recrutons et nous les aidons à recruter. Parfois, nous les aidons financièrement et nous les aidons à trouver les machines dont ils ont besoin. Et puis parfois, il faut qu'on trouve d'autres fournisseurs pour suppléer les plus défaillants. En 2024, la situation restera difficile mais commencera à s'améliorer. Nous ne rattraperons pas tout notre retard avant 2025.

Réfléchissez-vous à reprendre des activités à vos fournisseurs ?
Pour sécuriser nos approvisionnements ? Nous regardons au cas par cas mais le but n'est pas de tout reprendre. Nous faisons des analyses sur la base du « Make or Buy » pour sécuriser nos approvisionnements et parfois pour le faire à des coûts plus compétitifs. Mais nous devons faire face à un double choc : capacitaire et inflationniste. Nous subissons une inflation dans l'énergie, dans les salaires et la matière première. Nous constatons également une hausse des prix très significative de la part de nos fournisseurs. Résultat, nous avons été également contraints de revaloriser beaucoup nos prix.

L'objectif de 1.000 moteurs en 2025 reste-t-il jouable ?
Nous allons le faire. Nous devons produire cette année 900 moteurs. En 2023, nous en avons livré un peu plus de 600. Cette année, nous avons une grosse marche à gravir. Ce qui nous pénalise, c'est souvent les derniers manquants, c'est-à-dire on a beaucoup de moteurs qui sont presque finis et auxquels ils manquent une, deux ou trois pièces en raison des difficultés d'un fournisseur. Une fois la solution trouvée, nous pouvons déstocker.

En Inde, quelles sont vos ambitions ?
Depuis la fin des années 90, nous avons un vrai partenariat stratégique avec l'Inde, dont nous sommes très fiers. Nous sommes un des rouages du partenariat stratégique entre la France et l'Inde. Tant et si bien que nous équipons 100% des flottes d'hélicoptères militaires produites localement. Ce qui n'est pas rien. Lors des célébrations des 25 ans de ce partenariat, nous avons ajouté d'autres coopérations. Nous avons créé une co-entreprise avec HAL qui a pour objectif de développer un nouveau moteur de forte puissance au-dessus de 3.000 chevaux pour le programme IMRH (Indian multirole Helicopters), un hélicoptère de 13 à 14 tonnes, qui a vocation à voler dans l'Himalaya.

Le marché du Moyen-Orient est-il dynamique ?
Le Moyen-Orient fait partie des régions dynamiques. Dans le domaine civil, l'Arabie saoudite a beaucoup de projets. Les Saoudiens achètent de plus en plus d'hélicoptères civils et militaires. Au Moyen-Orient et en Inde, les lignes vont bouger pour le marché civil. Sans doute plus rapidement en Arabie Saoudite.

En Russie, toutes vos activités sont-elles terminées ?
On avait un partenariat important avec la Russie. C'est du passé.

Aux Etats-Unis, estimez-vous possible d'être plus présent ?
Nous avons les compétences et des turbines qui pourraient correspondre aux besoins de l'armée américaine. Les Américains nous connaissent, y compris les forces américaines. Mais le marché de défense américain reste fermé même si nous équipons les Lakota, une version du H145 fabriquée à environ 500 exemplaires par Airbus Helicopters. Nous sommes également présents chez les gardes-côtes américains et la police des frontières. Le marché américain est important pour Safran Helicopter Engines. Mais nous ne sommes pas sur les grands marchés de la défense.

Sur les futurs hélicoptères de combat et de transport tactique, l'Europe a de vrais enjeux. Il y a une différence notable entre la doctrine américaine que les Etats-Unis veulent imposer à l'Europe, et la doctrine de l'armée française. Votre alliance avec MTU dans le domaine de la motorisation des gros hélicoptères peut-elle à terme proposer une solution « Made in Europe » pour ne pas se faire imposer une solution américaine ?
C'est absolument essentiel. Nous le pensons. C'est pour cela que nous avons pris nos responsabilités en tant qu'industriel avec MTU Aero Engines. Ce partenariat exclusif s'applique aux moteurs de plus de 3000 chevaux. Mais nous souhaitons fédérer d'autres industriels européens, notamment espagnols et italiens. Nous avons besoin du soutien non seulement de l'Union européenne, mais aussi des nations européennes, qui auront envie de disposer d'un choix entre une motorisation européenne et une motorisation exclusivement américaine. Nous devons être prêts en temps voulu et avoir les briques technologiques pour lancer un programme à l'horizon 2030 pour l'entrée en service d'un appareil en 2040. Il ne nous reste pas beaucoup de temps pour nous mettre en ordre de bataille. Le besoin porte sur des turbines ayant une puissance comprise entre 3000 et 4000 chevaux, voire plus, pour un futur hélicoptère militaire européen, qui reste à définir et qui pourrait être de type conventionnel, ou avec un rayon d'action et une vitesse bien supérieure à ce que nous avons actuellement, comme ce que propose Bell aux Etats-Unis avec le V-280.

Il y a une bagarre énorme en coulisse de la part des Etats-Unis pour imposer leur solution...
... Aujourd'hui, c'est trop tôt pour préjuger du résultat. Nous voulons répondre aux besoins qui seront identifiés et aux décisions qui seront prises sur le développement de futurs hélicoptères militaires lourds. Mais il y a des différences d'approche très claires entre les nations et même parfois entre les industriels. Ce n'est pas un secret que Leonardo travaille depuis longtemps sur ce concept de rotors ou de moteurs basculants. Nous, en Europe, nous n'avons pas nécessairement la même géographie et les mêmes besoins que les Américains.

Concrètement, où en êtes-vous avec MTU pour le lancement de votre co-entreprise ?
Après avoir signé un protocole d'accord (MoU) au salon du Bourget en juin dernier, nous avons finalisé un partenariat engageant entre les deux groupes pour définir la coopération au sein de la co-entreprise (50/50). La répartition des rôles tient compte des compétences respectives. Et il n'y a pas de souci avec les Allemands. On est parfaitement au clair sur la répartition des rôles.

Au-delà, souhaitez-vous un programme technologique au sein du Fonds européen de défense ?
Nous devons convaincre les nations européennes de lancer ce qu'on appelle un « call » ou appel à propositions spécifique sur la motorisation de ces futures plateformes au-delà du programme ENGRT (European New Generation AutoCraft Technology), au sein du Fonds européen de défense (FED). Nous avons le soutien de la France, notamment de la Direction générale de l'armement (DGA), ainsi que d'un certain nombre de nations. Maintenant il faut que ce « call » soit lancé pour permettre à l'Europe de maîtriser davantage sa destinée à l'avenir. Le consortium pour ce « call » est en cours de formation. Nous avons beaucoup de contacts, nous discutons avec GE Avio, avec l'espagnol ITP et d'autres industriels. Au-delà de ces discussions, il faut également un appui national, c'est-à-dire des financements nationaux...

Pourquoi ?
Nous devons être soutenus dans un cadre national à l'image de ce que vont faire les Allemands de leur côté. Nous discutons aujourd'hui avec la DGA d'un programme de soutien avec des financements. Pourquoi ? Parce que les premiers financements du « call », que l'on doit obtenir, n'arriveront pas avant 2027. Entre 2024 et 2027, nous devons travailler de façon complémentaire avec des financements nationaux. Nous ne pourrons pas le faire sur autofinancement. Il faut être très clair : il s'agit d'applications strictement militaires.

Quand ce « call » va-t-il être lancé ?
Il doit être lancé début 2025. Nous avons une année pour emporter la conviction et les soutiens dont nous avons besoin pour déclencher ce « call ». Après, il faudra faire une offre et gagner cette compétition si nous ne sommes pas les seuls.

Vous vouliez motoriser l'Eurodrone. En vain. Êtes-vous aujourd'hui intéressé par la motorisation du drone Aarok de Turgis & Gaillard ?
J'ai rencontré les dirigeants. Ce dossier peut nous intéresser. Nous avons une turbine qui s'appelle l'Ardiden, qui pourrait convenir pour l'Aarok actuellement motorisé par le PT6 de Pratt & Whitney. Après, il faut que ce projet s'en donne les moyens. Et ce n'est pas seulement le sujet de Turgis & Gaillard : que veut le ministère des Armées ? Veut-il financer ce projet ? Est-il prêt à aller jusqu'au bout ? S'il veut vraiment développer ce moyen pour les armées françaises, veut-il le remotoriser ? Toutes ces questions sont totalement ouvertes. S'il le souhaite en y mettant les moyens nécessaires, nous pouvons apporter avec l'Ardiden une solution souveraine.

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Commentaires 5
à écrit le 15/04/2024 à 9:57
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@ Réponse de factuel Airbus est un exemple de projets franco-allemands dans lesquels la France a escroqué l'Allemagne. La France récolte davantage de bénéfices du projet. Le siège d'Airbus est en France. Le patron d'Airbus est français. Ces deux fai...

à écrit le 27/02/2024 à 10:59
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@Yakari L'article du journal présente l'achat d'hélicoptères pour la Bundeswehr allemande comme un triomphe pour l'industrie d'armement française. Je suppose donc que l'hélicoptère est fabriqué en France. Dans les projets franco-allemands, les béné...

le 13/04/2024 à 11:11
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L'article traite de Safran Hélicoptères engines et donc de la motorisation du H145. Mais le H145, le best seller d'Airbus, est un hélico conçu et fabriqué en Allemagne. Je ne comprend pas comment vous pouvez prétendre que l'Allemagne serait un parten...

à écrit le 26/02/2024 à 13:02
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L'Allemagne achète des hélicoptères à la France et renforce ainsi l'industrie d'armement française. Et quelles armes la France achète-t-elle en Allemagne ?

le 26/02/2024 à 17:36
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Ha, ha , ha. Je vous rappelle que Airbus Helicopters a une usine d'assemblage en Allemagne.

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