"Notre objectif est de garder les start-up en France" (Emmanuel Chiva, Agence de l'innovation défense)

A la veille du Forum Innovation Défense, le directeur de l'Agence de l'Innovation de Défense, Emmanuel Chiva, trace un bilan chiffré trois ans après la création de l'AID. Il revient notamment sur "le succès" de la Red Team Défense et sur l’émergence d'une filière de start-up dans la défense. Il assure que la France doit "arrêter de se tirer une balle dans le pied" en matière d'innovations. La France est "inspirante" dans le monde dans le domaine de la recherche, affirme-t-il.
(Crédits : Agence de l'Innovation de Défense)

La Tribune : A quoi faut-il s'attendre au Forum Innovation Défense ?
Emmanuel Chiva:
Nous allons présenter les 25, 26, 27 novembre à l'Espace Champerret plus de 110 projets futuristes. Nous les avons classés en cinq quartiers : gagner la guerre avant la guerre ; accompagner les armées grâce au soutien ; innover pour transformer le ministère ; anticiper les ruptures technologiques et, enfin, fédérer l'écosystème autour de l'innovation de défense.

Quels sont les projets phares du Forum ?
Le programme Centurion est l'un des projets les plus intéressants. C'est le futur du fantassin débarqué. Il est innovant à la fois dans ses objets et dans sa façon de procéder. Nous allons montrer par exemple le casque qui permet de filtrer le bruit ambiant et d'éviter les traumatismes auditifs tout en assurant d'autres fonctions pour le combat. En outre, nous avons fait en sorte que ce contrat-cadre important confié à Safran et Thales, puisse intégrer des start-up, qui pourront proposer des innovations à l'intérieur de ce projet.

Le projet Centurion fait-il appel au concept de l'homme augmenté ?
Naturellement, oui. Le soldat équipé du programme centurion sera indéniablement un soldat augmenté. Nous montrerons les équipements et les nouvelles technologies qui équiperont le combattant du futur. Mais je rappelle qu'il n'y aura pas d'augmentation invasive, ni puces implantées dans le corps des soldats français. En revanche, des textiles intelligents récupéreront les constantes vitales des pilotes par exemple. Mais ils pourront bénéficier de la réalité augmentée comme l'aide à la localisation de tirs.

D'autres projets ?
Dans le quartier « Gagner la guerre avant la guerre », le programme Helma-P développé par CILAS est extrêmement spectaculaire. Cette PME développe une arme laser pour neutraliser des drones et des systèmes d'observation. Dans le soutien aux combattants en matière de santé, le projet hPBES portant sur des greffes de peau autologue pour les grands brûlés, constitue une avancée majeure. C'est un brevet que nous avons pu récupérer du monde civil, et en particulier de l'industrie cosmétique. Nous avons financé un projet d'accélération de l'innovation pour pouvoir utiliser ce brevet. Les grands brûlés font partie de la traumatologie qu'on trouve sur les théâtres d'opérations. La fabrication additive, notamment via le projet OPTIFAB, permettra par exemple de remplacer un certain nombre de pièces en opération. Nous travaillons avec Nexter et Arquus sur cette piste de travail.  Enfin, nous allons montrer des horloges atomiques quantiques, et plus particulièrement nous montrerons que nous atteignons un certain degré de miniaturisation aujourd'hui dans les capteurs quantiques grâce à la start-up bretonne Syrlinks.

Trois ans après sa création, quel est le bilan de l'Agence de l'innovation de défense en termes programmatiques et sur le plan du fonctionnement au sein de l'écosystème de la défense (Direction générale de l'armement, organismes de recherche dont ONERA et Institut de recherches franco-allemand de Saint-Louis, industriels...). Quels sont les freins rencontrés par l'AID ?
Depuis la création de l'Agence il y a trois ans, 286 start-up ont été caractérisées. Caractériser, cela veut dire que nous avons rencontré une grande partie d'entre elles, nous les avons évaluées pour connaître leur "business model", leurs marchés et leurs technologies mais aussi leurs freins. Nous avons réalisé une analyse en profondeur de la base industrielle et technologie de défense dans le domaine des start-up, nous n'avons pas simplement coché des cases pour remplir une base de données. Nous avons également reçu pendant cette période 2.420 demandes de soutien, hors projets de technologies de défense (études amont). Au sein du ministère, nous suivons quatre types de projets : projets de technologies de défense, projets de recherche, projets d'accélération et d'innovation - une nouveauté qui permet d'identifier des technologies dans le civil qui sont accélérées au profit de la défense - et, enfin, l'innovation participative, qui a toujours été dans l'ADN du ministère. Nous avons soutenu 521 projets de recherche.

Ce qui n'est pas si mal pour un pays qui n'arrête pas de se flageller en permanence...
Tous ces projets contribuent effectivement à valoriser la recherche française. Je n'arrête pas de dire qu'il faut arrêter de se tirer une balle dans le pied, que nous sommes un pays qui a un excellent écosystème en termes d'innovation et de recherche. Et nous lançons beaucoup de projets sur un nouveau mode. En outre, la loi de programmation militaire contribue à la croissance des efforts en matière de recherche. Elle nous permet de lancer une stratégie aujourd'hui vraiment axée sur le partenariat avec les organismes de recherche pour arriver à financer des projets, qui sont véritablement d'intérêt pour la défense. C'est une nouveauté.

En quoi est-ce une nouveauté ?
Le ministère a toujours financé la recherche deeptech, mais, là, nous sommes dans une logique de renforcer le financement de la recherche, qui pourra nous permettre de répondre aux défis de demain en termes de défense. En termes d'accélération de projets d'innovation, Helma-P en est un exemple : nous développons une technologie en essayant de co-construire avec l'utilisateur final le meilleur moyen de monter en maturité. Nous avons soutenu et financé 336 projets de ce type depuis le début de l'agence. Tout comme nous avons soutenu 92 projets d'innovation participative. Soit une trentaine de projets par an depuis trois ans.

Combien de projets technologiques le ministère a-t-il soutenu ?
Dans le cadre des études amont, l'AID avec la DGA a lancé plus de 200 projets technologiques. Et je ne compte pas l'appel à projets pour participer à la lutte contre la Covid-19. Lors de la première vague Covid-19, nous avons reçu et traité 2.580 projets en trois semaines, nous en avons financé 36 pour un montant de 10 millions d'euros. Et si la France a des tests salivaires et des tests antigéniques aujourd'hui, c'est aussi grâce au financement du ministère des Armées. Ce qui est une très bonne fertilisation.

Avez-vous le sentiment que l'AID est aujourd'hui bien intégrée dans l'écosystème défense ?
Sur l'intégration de l'Agence, tout se passe bien avec la BITD au sens large. Nous avons des correspondants chez tous les grands maîtres d'œuvre industriels, qui ont pris l'habitude de travailler dans le domaine de la collaboration avec les start-up. Ces grands maîtres d'œuvre MBDA, Thales, Naval Group, Nexter, Arquus se sont réorganisés pour coller au plus près de nos objectifs en matière d'innovation ouverte et de coopérations avec les start-up. Cela nous permet de travailler différemment. Non seulement l'Agence est bien intégrée mais nous avons mis en place un certain nombre de mécanismes qui permettent d'accélérer le passage à l'échelle et le développement de l'innovation et de la recherche. Ce sont là des résultats concrets de notre action.

Quels sont les avantages de travailler de cette façon avec les grands maîtres d'œuvre, qui sont incontournables ? Avez-vous des exemples concrets ?
Tous les projets de technologiques de défense sont essentiellement réalisés avec les grands maîtres d'œuvre. C'est vrai pour le Système de combat aérien du futur (SCAF) ou Main Ground Combat System (MGCS) et bien d'autres. Nous avons l'habitude de travailler avec ces grands industriels. Mais nous mettons en place en plus, aujourd'hui, des modes de travail innovants à l'image du projet Centurion, l'exemple type, qui nous permet de travailler avec les grands maîtres d'œuvre mais aussi avec des acteurs qui ne font pas partie des acteurs traditionnels de la BITD. Il faut bien voir qu'une start-up va développer souvent une seule brique technologique, qui devra être intégrée dans un système. Nous souhaitons avoir une vue d'ensemble et ne pas dialoguer uniquement avec le grand maître d'œuvre. Mais nous voulons travailler avec l'ensemble de la communauté et nous sommes capables d'une certaine agilité...

Est-ce bien pris en compte par les grands maîtres d'œuvre ?
Absolument. Par exemple, lors de la journée de présentation terrestre de Thales, les start-up étaient présentes. Cette adaptation de notre mode de travail nécessite de développer des architectures ouvertes et évolutives : les nouvelles technologies bouillonnent alors qu'un système d'arme est en général sur le temps long. Je n'ai pas d'inquiétude sur ce point, ce nouveau mode de travail nous permet de jouer notre rôle de tiers de confiance.

Récemment le fondateur d'une start-up dans le spatial m'expliquait qu'il avait dû partir de Toulouse pour exister face aux grands maîtres d'œuvre...
Il faut être vigilant parce qu'il faut protéger les plus petits. Charge à nous d'être ce tiers de confiance. C'est pour cela que nous avons également créé des moyens d'investir directement dans les start-up. L'Agence y fait attention : des dispositifs comme Centurion, nous permettent de préserver l'équilibre. Le ministère aura toujours besoin des grands maîtres d'œuvre mais nous souhaitons préserver les start-up. Il ne faut pas les opposer.

La France a des organismes de recherche plus reconnus à l'étranger qu'en France comme l'ONERA par exemple. Travaillez-vous suffisamment avec eux ?
Avec le CNES, le CEA et l'ONERA, nous sommes évidemment très étroitement liés. Nous avons la co-tutelle du CNES et du CEA pour les applications duales. Sur le CNES, nous sommes très en soutien avec la mise en place de cette nouvelle politique d'innovation, qui est tournée vers le NewSpace. Nous travaillons aussi évidemment avec l'ONERA, dont nous avons la tutelle, tout comme celle de l'Institut de recherches franco-allemand de Saint-Louis, pour les aspects liés à la recherche. Mais nos partenariats vont bien au-delà de ces organismes de recherche. Nous avons noué un certain nombre de partenariats structurants avec l'ANR (Agence nationale de la recherche), l'INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) et le CNRS. Avec le Centre national de la recherche scientifique, nous avons signé un important accord-cadre portant sur plusieurs thématiques, dont une sur les nanomatériaux et l'intelligence artificielle. Nous pouvons financer des recherches communes avec des laboratoires du CNRS sur des thématiques d'intérêt de défense.

Comment valorisez-vous la recherche française dans le domaine de la défense ?
L'Agence doit être un catalyseur. Nous avons mis en place des processus pour mieux valoriser la recherche de défense. C'est le cas avec le document de référence de l'orientation de l'innovation de défense (DROID), le document de référence qui donne les grandes priorités en matière de recherche. Nous définissons les priorités et nous orientons les soutiens à la recherche vers ces priorités. Nous avons des priorités dans le domaine des capteurs quantiques, dans le domaine de l'hypervélocité, dans le domaine de l'humain. Nous essayons de faire en sorte d'optimiser le financement des priorités compte tenu que l'enveloppe financière n'est effectivement pas infinie. Nous sommes également une gare de triage pour des financements en coopération. Être catalyseur, c'est aussi garder cette notion d'accélération. Comment pouvons-nous aller plus vite au profit des armées ?

Avez-vous le sentiment d'avoir amené l'AID là où vous vouliez qu'elle soit ?
Je souhaitais qu'elle soit pleinement intégrée aux armées, aux directions et aux services du ministère des Armées. Surtout je ne souhaitais pas qu'on catalogue l'AID comme une agence qui fait des gadgets à côté de la DGA, qui travaille sur des grands programmes sérieux. Nous travaillons vraiment ensemble avec le service d'architecture du système de défense, la direction technique et la direction des opérations de la DGA. Nous avons mis en place des outils et des processus. Nous sommes vraiment intégrés. Ce qui était absolument indispensable pour intégrer les innovations identifiées par l'AID dans les programmes d'armement. Je suis également très satisfait d'avoir mis en place un véritable réseau d'innovation de défense en France, qui s'appuie sur la coordination de l'AID et sur les pôles techniques d'innovation de la DGA. Ce rôle de coordination est important pour éviter les duplications, favoriser les synergies et, le cas échéant, prendre le relais si nous décidons que telle ou telle innovation doit être accélérée ou amplifiée. Ce réseau est fonctionnel et bien coordonné. Mais il reste évidemment encore des challenges à atteindre.

Quels challenges ?
J'aimerais renforcer le lien entre l'innovation civile et l'innovation défense. Comment ? En faisant venir des personnes venant de la recherche civile (industries et universités), qui viendraient pour un ou deux ans au sein de l'Agence. Puis, elles deviendront les ambassadeurs de cet écosystème en revenant dans leur entité d'origine. Je serai très heureux d'accueillir des salariés de Thales, de L'Oréal ou de Michelin avec comme objectif de nous apporter leur expertise et leur expérience. C'est un chantier sur lequel nous allons travailler. Tout comme celui de la jeunesse. Comment mieux travailler avec les jeunes. L'innovation est un bon moyen, justement, de pouvoir instaurer un tel lien, mais également parce que les opérateurs des systèmes d'armes et de notre défense de demain aujourd'hui sont à l'école. Nous devons les associer à nos réflexions dans le cadre de partenariat comme avec les jeunes de l'IHEDN.

Avez-vous identifié des freins pour le développement de l'AID ?
La gestion des ressources humaines doit évoluer en même temps que les profils recrutés. Comment attirer des jeunes qui ne sont pas ingénieurs, mais qui sont acteurs de l'écosystème de l'innovation ? Comment attirer des jeunes, qui seraient mieux payés s'ils allaient chez les GAFAM ? C'est effectivement un défi à relever, qui nécessite de penser différemment et de passer d'une logique de stock à une logique de flux : certaines personnes vont entrer au sein de l'AID pour deux ou trois ans, puis ensuite elles vont partir dans le civil, et ensuite elles reviennent à l'AID. C'est en réflexion mais ce n'est pas facile à mettre en œuvre aujourd'hui.

L'innovation va bénéficier enfin de ce fameux milliard d'euros. C'est à la fois beaucoup et peu au regard de toutes les priorités : quantique, intelligence artificielle, hypervélocité, lutte anti-drones, spatial, neuroscience... Est-ce bien suffisant finalement ?
C'est quand même un progrès significatif vu le contexte économique de la France. Mais, effectivement cela ne nous épargne toujours pas les arbitrages. Non pas ceux pour savoir quels programmes on continue ou ceux qu'on arrête mais plutôt des arbitrages de ce type : qu'est-ce que nous souhaitons accélérer ou qu'est-ce que nous poursuivons au même rythme ? Que faisons-nous seul ou en coopération ? Qu'est-ce qui est spécifique à la défense et qu'est-ce que nous pouvons laisser à l'écosystème civil pour rapatrier plus tard certaines technologies ? S'il s'agit de développer des algorithmes pour des véhicules autonomes, nous pouvons faire confiance aux constructeurs et équipementiers automobiles pour les développer même si c'est une des problématiques que nous avons identifiées sur les véhicules autonomes en convoi en opérations. C'est un sujet sur lequel on se dit qu'on va mettre moins d'argent nous-mêmes et concentrer nos financements sur des deeptech dont l'enjeu est supérieur en termes de supériorité opérationnelle. Comme par exemple, l'hypervélocité. On ne va pas trouver beaucoup de travaux dans le monde civil. C'est vrai également pour les capteurs quantiques avec des applications qui sont très militaires. En revanche, l'ordinateur quantique sera développé dans le civil.

Mais pourquoi l'AID a-t-elle financé des start-up spécialisées dans le quantique ?
Le quantique est extrêmement dynamique aujourd'hui en France. Pasqal et Quandela sont les deux premiers investissements du Fonds Innovation Défense. La défense pourra ainsi bénéficier des synergies avec l'écosystème civil. C'était deux opportunités : on savait qu'ils recherchaient des fonds et des moyens pour se développer. Nous avons noué des partenariats avec des fonds comme Quantonation. C'était donc le bon moment, c'est pour cela que nous avons commencé par ces deux investissements.

Pas de regrets ?
Un milliard, c'est totémique. C'est un chiffre rond, deux milliards aussi. Dans la loi de programmation militaire suivante, il faudra se poser des questions en observant l'évolution du contexte géostratégique. Ce sera une volonté politique d'augmenter le budget de l'innovation de défense: est-ce qu'on veut aller plus vite dans la compétition, dans certaines technologies de rupture comme l'hypervélocité, le canon électromagnétique... Mais aujourd'hui, le gouvernement a confirmé un effort budgétaire de 270 millions d'euros par rapport à la LPM précédente, dont au moins la moitié est consacrée aux nouvelles formes de soutien à l'innovation de défense. Et ça, c'est nouveau. Il faut attendre d'en voir le résultat.

Sur le milliard d'euros, quelle est la ventilation des crédits entre les start-up, les grands maîtres d'oeuvre, les organismes de recherche ?
80% à 85% vont atterrir chez les grands industriels et entre 10% et 15% dans les start-up et les PME. Nous consacrons un peu moins de 5% pour les bas niveaux de maturité deeptech et autres. Il faut rajouter toutes les subventions aux écoles, aux opérateurs sous tutelle. Au total, c'est presque 300 millions d'euros, dont une partie contribue à la recherche, en plus du milliard d'euros.  Enfin, nous mettons sur la table 120 millions d'euros par an en moyenne, qui sont consacrés aux nouvelles formes d'innovation : innovation ouverte, fonds d'investissement et passage à l'échelle.

A quoi avez-vous consacré les 270 millions de crédits supplémentaires ?
En passant de 730 millions à 1 milliard d'euros, nous avons pu investir 150 millions par an supplémentaires à la préparation des programmes structurants comme le SCAF ou les futures capacités spatiales. Quinze millions par an supplémentaires ont permis de financer la recherche : ce qui a permis de passer d'une stratégie de captation à une stratégie plus orientée vers des partenariats thématiques et les appels à projets ciblés. Nous avons consacré 35 millions d'euros supplémentaires par an au développement des PME et ETI technologiques et innovantes, via le Fonds Innovation Défense. Et enfin, nous investissons 70 millions d'euros supplémentaires par an pour développer de nouvelles technologies émergentes et de rupture : hypersonique, armes à énergie dirigée, lutte anti-drones, nouvelles technologies dans le domaine des capteurs, énergie, technologies quantiques.

Beaucoup d'observateurs reprochent à la défense de ne pas créer un fonds d'investissement puissant. Vous aviez cette ambition avec le Fonds Innovation Défense...
... J'ai toujours cette ambition. Le ministère des Armées a créé le Fonds Innovation Défense abondé de 200 millions d'euros seul avec l'ambition de dépenser environ 35 millions d'euros par an. Nous avons l'ambition de le passer à 400 millions d'euros avec des contributions mais hors crédits budgétaire du ministère des armées. C'est une problématique que nous allons aborder très vite. Et nous sommes en train d'ouvrir des discussions avec des entreprises qui n'appartiennent pas forcément à la BITD. Il nous paraît intéressant de discuter avec ces sociétés, qui sont civiles et transverses. Il n'y a pas de raison que ce fonds ne bénéficie pas aux big pharmas par exemple. Reparlons-en dans un an.

Pourquoi deux fonds ?
Les objectifs d'investissements sont différents entre le Fonds Innovation Défense et Definvest, géré par la DGA et qui a été doublé (de 50 à 100 millions d'euros). Nous voulions un fonds séparé par rapport à Definvest. En revanche, nous nous parlons et à chaque fois, nous nous posons les questions : est-ce que cette société est plutôt finançable par Definvest parce qu'elle est critique pour la BITD ou est-ce qu'elle est plutôt duale, innovante, transverse ? Dans le premier cas, c'est Definvest, dans le second cas c'est le Fonds Innovation défense. Si cette société coche les deux cases, on ne s'interdit pas de co-investir.

Et concrètement, qu'est-ce qui intéresse le Fonds Innovation Défense ?
Un ordinateur quantique intéresse tout le monde. Ce qui m'intéresse, c'est justement de renforcer le caractère dualité du Fonds Innovation Défense, qui est centré sur l'innovation duale transverse, en attirant des investisseurs, qui ne sont pas forcément de la BITD. Aujourd'hui, nous avons dans les tuyaux une dizaine de sociétés que nous sommes en train d'examiner et qui ne sont pas dans le domaine du quantique à l'image de nos deux premiers investissements. Cela va de l'humain à l'énergie, en passant par les radars, le NewSpace... Ce que ne pourrait vraiment pas faire un fonds unique mais il y a une cohérence entre les deux fonds, ne serait-ce parce qu'ils sont opérés par Bpifrance et que les membres des comités d'investissement siègent dans les deux. En outre, tout ceci se fait également en cohérence avec French Tech Souveraineté.

Et France Angels ?
Nous soutenons France Angels, qui a lancé Défense Angels. L'ensemble du dispositif nous permet de regarder des niveaux qu'on ne regarderait pas.

France Angels n'a pas énormément d'argent.
Non, il n'y a pas énormément d'argent mais ce qui nous intéresse, c'est qu'ils puissent aider des start-up dès le début. Ensuite, nous pouvons prendre le relai une fois que ces start-up se développent. Avec un million d'euros, une start-up peut faire beaucoup de choses. Ce qui n'est pas le cas d'une start-up qui cherche à se développer ses activités. C'est pour cela qu'il faut viser des instruments différents.

Avec quelle stratégie ? Garder les start-up en France ?
Ce fonds y concourt. C'est pour cela que nous voulons avoir la possibilité de mettre des tickets jusqu'à 20 millions d'euros pour que notre investissement soit conséquent. Notre objectif est de les garder en France mais aussi de les diversifier vers la défense sans obérer leur business model primaire. Nous visons des entreprises qui ont déjà un marché primaire établi pour leur survie. Nous ne voulons surtout pas qu'elles dépendent de la défense et nous voulons qu'elles se développent en France à la hauteur de leurs ambitions pour conserver notre base stratégique dans les technologies de défense.

Faut-il actualiser le DROID ?
Bien sûr qu'il faut l'actualiser. Nous l'actualisons tous les ans. : une remise à jour majeure tous les deux ans et une mise à jour mineure en alternance. Le DROID fera l'objet d'une mise à jour majeure l'an prochain.  Avec quels objectifs ? Nous engageons avec la DGA, l'Etat-major des armées (EMA) et le secrétariat général pour l'administration (SGA) des travaux préliminaires pour définir les grandes priorités en matière d'innovation et de technologies : que veut-on accélérer ? Que peut-on ralentir? Sommes-nous sur la bonne trajectoire ? Etc... L'AID ne travaille pas toute seule.

Sur le plan programmatique, la Russie a remis une couche avec la destruction d'un satellite en orbite. Cela va-t-il accélérer le développement de projets dans le spatial ? Notamment sur un ATM spatial (management du trafic aérien) ?
L'arsenalisation et la militarisation de l'espace sont inquiétantes, mais c'est un fait. Et donc, la France ne peut pas rester non plus sans rien faire. Sur un ATM spatial, il est trop tôt pour répondre à cette question. En revanche, nous travaillons sur la sécurisation de nos actifs dans l'espace.

Quels sont les axes technologiques de cette stratégie ?
Notre projet phare est Yoda (Yeux en orbite pour un démonstrateur agile), qui va être développé d'ici à la fin de cette année. Ce sont deux nano-satellites, qui vont être lancés à l'horizon 2024 en orbite géostationnaire à 36.000 km d'altitude. Ils seront proches de nos satellites pour sécuriser et protéger nos satellites et leurs technologies. Ils seront capables de détecter des satellites butineurs par exemple à 36.000 km. Ces nano-satellites auront des effecteurs pour aveugler les optiques des intrus, par exemple, voire plus le cas échéant. C'est en cours de définition. Nous voulons valider ces technologies avec Yoda pour mener des opérations de proximité en orbite. Même si nous ne souhaitons pas l'arsenalisation et la militarisation de l'espace, elles s'imposent à nous. Il faut que la France soit capable de mener des opérations spatiales militaires.

Dassault Aviation aimerait beaucoup lancer un programme d'avion spatial. Est-ce un projet qui a retenu votre attention ?
Nous discutons avec Dassault Aviation et la DGA, en particulier le SASD (service d'architecture de systèmes de défense). Nous portons également des projets avec des sociétés que nous soutenons. C'est le cas d'Unseenlabs et de Cailabs.

Outre le spatial, quelles sont les priorités du ministère en matière de technologies de rupture : hypervélocité, quantique, l'IA... ?
Mais tout est important. Le problème est de définir quelles sont les priorités les plus prégnantes. Il y en a plusieurs : le spatial est clairement une priorité dans tous ses aspects mais nous regardons les technologies spatiales et toutes celles qui sont liées au spatial. Nous y mettons notamment les armes à énergie dirigée et beaucoup d'autres. Nous travaillons beaucoup sur la lutte au fond des mers, pour lequel le ministère des Armées dévoilera bientôt une stratégie. Nous nous intéressons à tous les nouveaux espaces de conflictualités : l'espace, le fond des mers et les champs immatériels (cyber, lutte contre la manipulation de l'information...). Nous estimons qu'une opération militaire combinera plusieurs espaces de conflictualité avec des déstabilisations dans le cyberespace, voire dans l'espace et le fond des océans. Ces nouvelles priorités technologiques sont liées à ces nouvelles formes de conflictualité dans les trois espaces. Ce sont clairement nos priorités.

Comment est perçue la France dans le domaine de l'innovation défense à l'étranger ?
En fait, nous sommes assez inspirants même si tout le monde pense à la DARPA. Or, nous travaillons avec tous les organismes de recherche américains qui comptent comme la DARPA ou Defence Innovation Unit (DIU), qui va chercher des innovations de la SiliconValley ou de la côte Est. Ils ont clairement affiché leur intention de travailler avec nous. Nous avons des projets de collaboration avec des pays tel Singapour, qui sera d'ailleurs présent au Forum Innovation Défense avec une délégation officielle. La France est l'un des rares pays aujourd'hui , avec la Suède, les Pays-Bas et la Hongrie, à s'être dotéed'une structure comme l'agence, qui n'est pas une structure d'état-major. La Pologne est venue nous voir et est extrêmement motivée par le domaine spatial. Nous ne devons pas rougir de ce que nous faisons. Peu de pays financent l'innovation de défense à hauteur de 1 milliard d'euros.

Quel est le bilan de la Red Team Défense, qui a suscité beaucoup de perplexités dans le monde de la défense ?
Aujourd'hui, c'est un succès. La qualité des travaux est exceptionnelle mais le succès vient du fait qu'elle a réussi à se faire accepter par les armées. Le chef d'état-major des armées, les chefs d'état-major d'armée, le sous-chef Opérations et le sous-chef Plan de l'état-major des armées sont maintenant convaincus de l'intérêt de la Red Team Défense. A la suite de la saison zéro « Pirates du futur », qui permettait d'illustrer le concept, nous avons conduit une étude réservée. Elle a été restituée il y a quelques jours au ministère et elle est sous diffusion restreinte spéciale France. Les travaux de la Red Team Défense sont par nature classifiés. Cette étude a permis d'identifier un certain nombre de menaces. Charge à la DGA, aux armées, à la DGRIS, à la DGSE de trouver les réponses. Mais ces menaces, qui ont été transmises, existent. Je ne peux pas en dévoiler plus.

Qu'est-ce que la Red Team Défense apporte concrètement ?
Elle a montré la pertinence de penser différemment par rapport à la prospective classique. Quand on voit les annonces de Mark Zuckerberg sur le métavers et qu'on lit la chronique d'une mort culturelle annoncée, il y a intérêt à travailler vite sur ces sujets. La qualité du travail de la Red Team Défense est reconnue, les armées et le ministère sont rentrés véritablement à 100% dans cette démarche. Ce n'est plus vu comme un gadget ou de la com. Et la preuve en est que nous allons lancer des projets financés, qui sont issus d'une réflexion de la Red Team Défense, à la demande des armées. Des projets pour contrer des menaces identifiées grâce à la Red Team Défense. Au Forum, nous allons annoncer un résultat concret de la Red Team. Nous travaillons sur la saison 2. Nous avons soumis quatre thématiques dont je n'ai pas le droit de parler, et deux d'entre elles ont été choisies par le ministère. En juin, il y aura une restitution pour le ministère.

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Commentaires 7
à écrit le 25/11/2021 à 17:21
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Le gars sur la photo devrait faire de la pub pour MC do.

le 25/11/2021 à 22:10
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En effet, il a plus la tête de la start-up du vin (si ça existe).

le 28/11/2021 à 23:58
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La start up du vin ?

à écrit le 25/11/2021 à 2:03
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Les futurs gros marchés de l'énergie ,du transport,de la rénovation,des communications des datacenter ,ect ,seront ils accessible à des jeunes sociétés ou seront ils accaparée par les lobbies de grands groupe mondial surtout américain . Remercions :...

à écrit le 24/11/2021 à 13:50
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les gens qui usurpent les leviers de commandes et ceux du financement sont d'une incompétence crasse: croire un instant qu'une start-up va rester en France dans ce nœud de vipères c'est croire qu'on traite les découvreurs comme des serfs : taillable...

à écrit le 24/11/2021 à 10:43
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Il suffit d'y croire et faire croire mais les start-up se vendent au plus offrant! La start-up France est vendu en pièce détaché par ceux qui sont au pouvoir!

à écrit le 24/11/2021 à 7:39
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Garder les start up en France et céder les grands groupes aux étrangers : le en même temps de Macron. Start up dont la seule ambition est de se vendre, elles aussi, très cher à des américains, des chinois ou des fonds.

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