Un ingénieur de Boeing accuse : les tronçons du fuselage du 787 « sont incorrectement attachés et pourraient se dissocier les uns des autres en plein vol »

L'Agence américaine de régulation de l'aviation civile (FAA) enquête sur la conception du Boeing 787 Dreamliner et du 777, après avoir été contactée par un employé de l'avionneur affirmant que la structure de ces avions n'était pas sûre, selon plusieurs sources.
87 était conçu pour 44.000 cycles de pressurisation - les plus exigeants pour le fuselage -, soit 44.000 vols. En moyenne, un 787 effectue 600 vols par an.
87 était conçu pour 44.000 cycles de pressurisation - les plus exigeants pour le fuselage -, soit 44.000 vols. En moyenne, un 787 effectue 600 vols par an. (Crédits : Reuters)

Il y a des phrases que tout un chacun aimerait ne jamais avoir prononcées. C'est probablement le cas d'Akbar Al Baker, l'ancien PDG de Qatar Airways, quand il assurait en octobre 2016 que Boeing « fabriquait les meilleurs avions du monde », alors qu'aujourd'hui, l'avionneur est frappé par les problèmes en série et fait l'objet de multiples enquêtes sur ses process de production, déjà mis à mal par les accidents survenus sur deux B737-MAX fin 2018 et début 2019.

Problèmes à répétition

Alors que Boeing fait l'objet d'une enquête pour son appareil moyen-courrier B737 MAX, après qu'une porte s'est arrachée en plein vol d'un 737-MAX 9 début janvier, l'Agence américaine de régulation de l'aviation civile (FAA) a annoncé enquêter sur la conception du Boeing 787 Dreamliner et du 777, deux gros-porteurs long-courriers, après avoir été contactée par un employé de l'avionneur affirmant que la structure de ces avions n'était pas sûre, selon plusieurs sources.

Lire ici : l'incroyable histoire du B777

« Nous enquêtons de manière approfondie sur tous les signalements », a indiqué le régulateur, réagissant à des informations publiées mardi à la mi-journée par le New York Times (NYT).

Le quotidien américain rapporte qu'un ingénieur de Boeing, Sam Salehpour, employé depuis plus de dix ans par l'avionneur- a contacté la FAA pour signaler que la façon dont sont assemblés les différents tronçons du fuselage du B-787 Dreamliner pouvait affaiblir l'avion dans le temps. L'homme, explique notre confrère, affirme que ces tronçons « sont incorrectement attachés ensemble et pourraient se dissocier les uns des autres en plein vol après avoir effectué des milliers de vols ».

Lire ici :  Boeing 787 : un nouveau modèle industriel risqué

Sam Salehpour, selon un communiqué de ses avocats, accuse Boeing « d'avoir, de manière répétée, ignoré des inquiétudes graves concernant la sécurité et le contrôle qualité dans la construction des 787 et des 777 »

« Notre client a identifié d'importants points de préoccupation en matière de sécurité et a fait tout son possible pour attirer l'attention des responsables de Boeing », indiquent les avocates Lisa Banks et Debra Katz. Dans son alerte, Sam Salehpour explique avoir constaté des « raccourcis » dans le processus d'assemblage du Dreamliner qui ont notamment provoqué une « déformation des matériaux composites (...), pouvant altérer les performances d'usure sur le long terme ». D'après lui, plus d'un millier de Dreamliner en service pourraient présenter ce problème situé à « deux jonctions importantes ».

Concernant le 777, Sam Salehpour affirme que de « nouvelles procédures d'assemblage » mises en oeuvre sans procéder « à la nécessaire reconception des pièces concernées ont entraîné un mauvais alignement des pièces ». Selon lui, « les ingénieurs de Boeing ont subi des pressions pour fermer les yeux » alors que cela « constitue également un grave risque sécuritaire ».

Boeing rejette les accusations

L'avionneur a rejeté ces accusations, affirmant avoir « toute confiance dans le 787 Dreamliner » ainsi que « dans la sûreté et la durabilité de la famille 777 ».

« Les problèmes signalés ont fait l'objet d'un examen d'ingénierie rigoureux sous surveillance de la FAA », a poursuivi le groupe, assurant qu'ils ne présentaient « aucune inquiétude sécuritaire et (que) l'avion sera(it) opérationnel pendant plusieurs décennies ». Le constructeur a également affirmé que les accusations relatives au 777 étaient « inexactes ».

Lancé en 2004, le programme du 787 est né dans la douleur avec une certification semée d'embûches. Celle-ci n'interviendra qu'en 2011. Dix ans plus tard, les livraisons du 787 ont été suspendues pendant presque deux ans, en 2021-2022, à cause de problèmes opérationnels. Elles ont pu reprendre après le feu vert de la FAA en août 2022.

Lire ici :  Boeing 787 : un chemin laborieux pour certifier l'avion

Boeing a assuré mardi que le 787 était conçu pour 44.000 cycles de pressurisation - les plus exigeants pour le fuselage -, soit 44.000 vols. En moyenne, un 787 effectue 600 vols par an. Le plus ancien, entré en service en 2012, cumule actuellement environ 16.500 vols, a précisé l'avionneur. Sur un autre sujet encore inexpliqué, les autorités de supervision de l'aviation civile ont commencé à enquêter en mars sur un « incident technique » survenu sur 787 de la compagnie chilienne Latam à destination de la Nouvelle-Zélande qui a violemment perdu de l'altitude en plein vol, blessant de nombreux passagers.

 Lire aussiBoeing : nouvelle enquête après la perte de contrôle d'un 787 Dreamliner en plein vol

Aujourd'hui, ce sont donc trois des quatre modèles d'avions commerciaux actuellement fabriqués par le groupe américain qui sont officiellement visés par une enquête de l'Agence américaine de régulation de l'aviation civile (FAA). Une audience est prévue au Sénat américain le 17 avril, intitulée « Examen de la culture sécuritaire brisée de Boeing: récits de témoins directs ».

Il s'agira d'aborder les « défaillances de production alarmantes et dangereuses » signalées par le lanceur d'alerte appelé à témoigner, ont indiqué les sénateurs démocrate Richard Blumenthal et républicain Ron Johnson, dans un communiqué commun. A la fermeture de la Bourse de New York, l'action Boeing reculait de 1,89%.

« Des avaries complètement anormales »

Ces révélations interviennent en effet au moment où le groupe est confronté à une succession de problèmes de production et d'exploitation de ses 737 MAX. Et ils sont nombreux : pertes de pièces de carlingue en vol, problèmes de moteurs ou soucis mécaniques... Il s'agit, pour des experts, d'un « alignement des planètes défavorable » découlant de problèmes de production et de maintenance. Depuis l'accident du 5 janvier sur un Boeing 737 MAX 9 d'Alaska Airlines, quand une porte-bouchon s'est détachée en vol, les yeux sont rivés sur le constructeur américain.

United Airlines est particulièrement concernée : pédales de gouvernail bloquées, perte d'un pneu au décollage, pièce métallique du fuselage manquante, indicateurs de vitesse du vent défaillants, entre autres. Ces derniers jours, la compagnie à bas coût Southwest se retrouve sous les projecteurs avec une pièce du capot d'un moteur qui s'est en partie arrachée au décollage dimanche. Un décollage avait été annulé jeudi à cause d'un « possible problème de moteur », le pilote évoquant une « surchauffe des freins » et « un incendie au niveau du moteur gauche ».

A chaque fois, il s'agit d'un Boeing -à l'exception du 4 mars, quand un Airbus A320 de United retourne se poser à cause d'un « problème d'équipement ».

Lundi soir, un Boeing 737-800 d'American Airlines s'est posé « sans encombre » à Dallas (Texas), sa destination finale, après avoir signalé un « possible problème hydraulique », selon l'Agence américaine de l'aviation civile (FAA). La compagnie n'a pas été plus explicite sur l'origine.

« Un capot qui s'en va, une roue qui tombe, une porte qui s'arrache, c'est quand même rare. Il y a un alignement des planètes défavorable sur des avaries complètement anormales », relève Bertrand Vilmer, expert aéronautique et consultant au cabinet Icare aéronautique.

Les causes techniques

Pour les experts, il y a trois problèmes possibles. Un problème de conception, comme ce fut le cas pour les accidents de deux Boeing 737 MAX 8 en 2018 et en 2019, qui ont fait 346 morts. En revanche, l'incident d'Alaska Airlines --qui a fait quelques blessés légers-- relève d'un problème de production. L'appareil, un Boeing 737 MAX 9, avait été livré en octobre. Le rapport préliminaire de l'Agence américaine de sécurité des transports (NTSB), publié le 6 février, révèle que « quatre boulons prévus pour empêcher que la porte-bouchon ne se déplace vers le haut étaient manquants ». Ces boulons avaient été retirés à l'usine de Boeing pour remplacer des rivets endommagés.

La troisième cause, d'après les experts, est un problème de maintenance. Et c'est le point commun de la plupart des incidents repérés ces derniers mois. Si les deux premières causes relèvent de l'avionneur, la troisième est du ressort de la compagnie aérienne.

« Très certainement » du contrôle qualité de la société de maintenance, qui est supervisée par la FAA », souligne Bertrand Vilmer.

« Une fois les avions livrés, Boeing n'intervient plus », abonde Richard Aboulafia, directeur du cabinet de conseil AeroDynamic Advisory, insistant sur le « problème dans le secteur de la maintenance dans le monde entier ».

Airbus n'est pas épargné par les incidents, y compris de production, comme la présence d'un composant contaminé dans des pièces de moteurs Pratt & Whitney, qui affecte des centaines d'avions, cloués au sol pendant de longs mois. « Cela se sait, mais dans un petit comité » car c'est moins médiatisé, relève Bertrand Vilmer, citant également un problème de peinture de fuselages pour Qatar Airways.

D'après le cabinet spécialisé Cirium, la flotte commerciale américaine actuellement en service compte 4.769 appareils, dont 60% sont des Boeing et la quasi-totalité du solde des Airbus. L'Association professionnelle Airlines for America indique sur internet que, chaque jour, les compagnies aériennes américaines assurent plus de 26.000 vols et transportent 2,6 millions de passagers à travers.

 Lire ici Déboires du Boeing 787 : la saga du Dreamliner en 7 épisodes

Le Texas ouvre une enquête sur Spirit

Le parquet général du Texas a ouvert une enquête visant Spirit Aerosystems, sous-traitant de l'avionneur américain Boeing, chez lequel « des problèmes récurrents sur certaines pièces » ont été repérés, selon un communiqué. Spirit AeroSystems manufacture les fuselages et d'autres grandes pièces rentrant dans la structure des appareils, dont l'avion vedette de Boeing, le 737.

« Des défauts apparents de fabrication ont conduit à de nombreux incidents inquiétants ou dangereux » sur des modèles de 737, a détaillé le procureur général texan Ken Paxton, dans un communiqué jeudi dernier. Début janvier, Boeing a frôlé la catastrophe quand une porte-bouchon s'est détachée en plein vol.

La justice demande maintenant à Spirit AeroSystems de produire "des documents correspondant au traitement des défauts dans ses produits", et outre le contrôle qualité, l'enquête s'intéresse aussi à son mode d'organisation et de direction.

L'enquête intervient quelques jours seulement après l'annonce du départ à la fin de l'année du directeur général de Boeing, Dave Calhoun.

« Je considérerai comme responsable toute entreprise qui échoue à garantir les normes légales requises et ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour m'assurer que les constructeurs prennent la sécurité des passagers au sérieux », a souligné le procureur Ken Paxton, dans son communiqué.

Le géant américain Boeing, qui avait déjà eu du mal à remonter la pente après deux crashs en 2018 et en 2019, est en pleine tourmente après une succession de problèmes de qualité et de sécurité sur ses avions depuis plus d'un an.

(AFP)

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Commentaires 18
à écrit le 10/04/2024 à 20:30
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"L'Agence américaine de régulation de l'aviation civile (FAA) enquête sur la conception du Boeing 787 Dreamliner et du 777, après avoir été contactée par un employé de l'avionneur affirmant que la structure de ces avions n'était pas sûre, selon pl...

à écrit le 10/04/2024 à 11:38
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Caractéristique de la "culture" américaine. Un vague gugusse s'en prend à son (ex- ?) employeur via des avocats... Avec le but, habituel: "ils préféront transiger, plutôt que de sacrifier leur image". A nous les USD. Fort justement, l'article remet l...

le 10/04/2024 à 18:50
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Ah bon : les USA ne sont pas le paradis du business....? Les employés prendrait leur société en otage... On aura tout vu... Vive le communisme, non ?

le 10/04/2024 à 18:50
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Ah bon : les USA ne sont pas le paradis du business....? Les employés prendraient leur société en otage... On aura tout vu... Vive le communisme, non ?

à écrit le 10/04/2024 à 11:12
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Une entreprise sous la pression financière des fonds de pension. Le cours de l'action et les dividendes avant la qualité. Un désastre pour une entreprise industrielle !

à écrit le 10/04/2024 à 10:18
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Voilà ou conduit l application des normes comptables et financières ifrs: c est une logique de valorisation de découpage de l actif.. type combien ça vaut si je le vendai ? Il est temps que l Europe aussi se découple des us : normes financières, ...

à écrit le 10/04/2024 à 10:13
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Cette histoire est une caricature du modèle anglo saxon : L’ optimisation et la sous traitance poussée au max .. au détriment de la rigueur et de la prudence …pour baisser ses coûts a quoi s attendre quand on sous- traite a des sociétés employant...

le 10/04/2024 à 12:05
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"modèle anglo saxon " C'est le modèle néolibéral qui a envahi le monde dans son ensemble parce que arrangeant tous les riches du monde.

à écrit le 10/04/2024 à 10:13
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Cette histoire est une caricature du modèle anglo saxon : L’ optimisation et la sous traitance poussée au max .. au détriment de la rigueur et de la prudence …pour baisser ses coûts a quoi s attendre quand on sous- traite a des sociétés employant...

à écrit le 10/04/2024 à 10:01
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Ça fait froid dans le dos ces article car on ne pourra plus voyager avec l'esprit tranquille car les 3/4 des avions long courriers dans le monde sont des B787 et surtout des B777. Si cela s'avère vrai, ce serait la mort de Boeing car ce sont les seul...

le 10/04/2024 à 12:44
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"on ne pourra plus voyager avec l'esprit tranquille" lors des vols les passagers seront autorisés à apporter leur parachute personnel, au cas où. :-) L'aviation est pourtant censée avoir des critères de qualité & sûreté 'maximales'.

le 10/04/2024 à 15:42
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@Jason : beaucoup d'inexactitude dans ce que vous dites : 2023 : Boeing livre 396 737, seulement 26 777 et 73 787. En 2022 Boeing livrait également 374 737 pour 25 777 et 31 787...donc non, Boeing ne repose pas du tout principalement sur les livraiso...

le 11/04/2024 à 11:27
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@ERIC B . Oui , je reconnais que j'ai schématisé à mort :)

à écrit le 10/04/2024 à 9:59
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Airbus va devoir sérieusement augmenter ses cadences.

à écrit le 10/04/2024 à 9:49
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Aux Etats-Uni des usines sont plein avec des chinois et des russes.Les sabotages sont garantis

le 10/04/2024 à 10:38
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Il n'y aurait peut être pas que Boeing de touché: "US Navy : gros retard en perspective pour les nouvelles frégates de la classe Constellation par manque de main d’œuvre qualifiée. Programmées pour 2026 elle devrait sortir avec 3 ans de retard...". S...

à écrit le 10/04/2024 à 9:34
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Au niveau de maintenance: ...Sabotage?

à écrit le 10/04/2024 à 9:31
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Lorsqu'une gestion par des financiers prend le pas sur celle par des ingénieurs voila ce qui arrive. La France en est aussi une victime.

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