Vol de Singapore Airlines : pourquoi les avions traversent des turbulences extrêmes

Un passager britannique de 73 ans est mort et 104 autres personnes ont été blessées après de violentes turbulences du vol d'un Boeing 777 de Singapore Airlines, qui reliait Londres à Singapour mardi. Malgré les radars météo, les turbulences sévères peuvent être liées à différents phénomènes que les avions ne peuvent pas toujours anticiper, expliquent les experts interrogés par La Tribune.
L'intérieur du vol de Singapore Airlines en provenance de Londres après les « fortes turbulences » durant le trajet.
L'intérieur du vol de Singapore Airlines en provenance de Londres après les « fortes turbulences » durant le trajet. (Crédits : ViralPress via Reuters Connect)

Comment les avions sont-ils amenés à traverser des turbulences aussi violentes ? Vingt personnes se trouvaient en soins intensifs à Bangkok mardi après qu'un Boeing 777 de Singapore Airlines, qui transportait 211 passagers et 18 membres d'équipage, a subi des turbulences extrêmes et soudaines à 11.000 mètres au-dessus de la Birmanie dix heures après son décollage, s'élevant soudainement et plongeant à plusieurs reprises. Un passager de nationalité britannique âgé de 73 ans est mort et 104 autres personnes ont été blessées à bord de l'appareil, qui effectuait la liaison Londres-Singapour.

Deux phénomènes à l'origine des turbulences sévères

Selon Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire et consultant aéronautique, deux types de phénomènes peuvent être à l'origine des turbulences dites « sévères ». Le premier concerne les « clear air turbulence (« turbulences en air clair »). Ce type de turbulence peut notamment se produire à proximité des jets streams, « courants d'air que les avions utilisent volontairement pour gagner du temps », explique l'expert. « C'est pour cette raison qu'un aller aux Etats-Unis met 8h30 alors que le retour ne dure que 7h30. » Les turbulences en air clair sont communément associé à un phénomène de cisaillement du vent (changements soudains de vitesse et/ou de direction du vent). « Il se trouve que, parfois, ces courants d'air d'une vitesse de 200 à 300 km/h, peuvent aller vers le haut ou le bas plutôt que d'être horizontaux », schématise Xavier Tytelman.

Deuxième type de turbulences fortes : les cumulonimbus, nuages à grande extension verticales. « Ce sont les nuages qui créent des orages, de la grêle, de la foudre », indique Xavier Tytelman. « La plupart des nuages vont s'arrêter à 6.000 mètres d'altitude. Les cumulonimbus peuvent monter beaucoup plus haut et envoyer de l'air au-dessus d'eux », explique-t-il. « Certains peuvent monter jusqu'à 15.000 ou 16.000 mètres, alors qu'un avion de ligne est limité en général à 12.000 mètres », précise Gérard Feldzer, ex-pilote de ligne, ingénieur et président d'Aviation sans frontières.

Comment éviter ces fortes turbulences ?

Pour ce qui est des turbulences en air clair, « les zones dans lesquelles la probabilité qu'il y en ait est élevée sont connues mais pas leur position exacte », affirme Xavier Tytelman. « Il y a des degrés de certitude qu'il va y en avoir, mais c'est comme les orages, qui se déplacent : en fonction de l'heure, il n'est pas possible de savoir si elles vont être à tel ou tel endroit ». Pour éviter ces turbulences, « les avions vont contourner ces zones, voler à des altitudes moins turbulentes, mais parfois les prévisions ne sont pas aussi précises qu'attendues », ajoute le consultant.

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S'agissant des cumulonimbus, « normalement, ils sont détectés par les avions avec les radars météo. L'avion voit leur position et va pouvoir les contourner de plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres », explique Xavier Tytelman. Concrètement, sur le radar de bord, « il y a des zones de couleurs vertes et jaunes pour les turbulences modérées en pluie voire en grêle », rapporte Gérard Feldzer. En revanche, « quand ça devient rouge, il faut éviter parce qu'il s'agit de grêlons en suspension dans l'air qui, à 900 km/h, peuvent fracturer le pare-brise », alerte l'ancien pilote de ligne.

Toutefois, « si le nuage est en train de se former quand l'avion passe à la verticale, le radar, qui est vers le devant de l'avion, ne voit pas le cumulonimbus », affirme Xavier Tytelman. « Le pilote peut se faire piéger par exemple quand il a une zone orageuse jaune devant lui, qu'il la contourne mais pas suffisamment », complète Gérard Feldzer. « À ce moment-là, il tombe sur une perturbation majeure. Les consignes sont alors de ralentir, exactement comme une voiture sur un dos d'âne, puis de descendre rapidement avec peut-être une météo plus clémente en basse altitude ».

Selon Xavier Tytelman, les pannes de radar sont possibles et « sont détectées ». « Il est même autorisé de décoller avec une panne de radar météo, à la seule condition qu'il n'y ait pas d'orage prévu sur la zone ce jour-là », précise l'ancien aviateur.

Les turbulences peuvent passer sous les radars

Gérard Feldzer assure que « les prévisions sont de plus en plus fiables, parce que tous les avions du monde transmettent en temps réel toutes les perturbations » et permettent de restituer « tout l'état du ciel : température, pluie, grêle, vents ». « Il y a des progrès là-dessus, même si on peut encore se faire piéger », affirme l'expert aéronautique.

« Même si les météorologues ont des outils excellents pour prévoir les turbulences, ils ne sont pas parfaits, et des turbulences inattendues peuvent se produire », souligne auprès de l'AFP Thomas Guinn, professeur à l'université aéronautique Embry-Riddle.

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Concernant le vol affecté mardi, « les premiers éléments semblent indiquer une turbulence en air clair, le type de turbulence le plus dangereux », selon un communiqué de l'Association of Flight Attendants-CWA, représentant plusieurs dizaines de milliers d'agents de bord.

La crise climatique aggrave la fréquence des turbulences fortes

Les scientifiques expliquent que le changement climatique est susceptible de provoquer davantage de turbulences, invisibles au radar. Selon Paul Williams, professeur en sciences de l'atmosphère à l'Université de Reading, « le changement climatique accroît la différence de température entre les pôles froids et les tropiques chauds », ces derniers « se réchauffant plus vite que les pôles aux altitudes de croisière ».

« Cet effet entraîne davantage de cisaillement dans le jet stream, ce qui génère davantage de turbulences », explique le scientifique. Selon Paul Williams, les turbulences « en air clair » graves dans l'Atlantique nord ont déjà augmenté de 55% depuis 1979. « Nos dernières projections sont un doublement, voire un triplement des turbulences graves dans les jet streams dans les décennies à venir, si le climat continue à se réchauffer comme attendu », ajoute-t-il.

Xavier Tytelman se veut toutefois optimiste sur la capacité des avions de demain à s'adapter. « Les avions d'aujourd'hui ne subissent pas les turbulences de la même manière qu'il y a trente ans, tout simplement parce qu'il y a des systèmes de plus en plus efficaces de compensation », rappelle le consultant. « Dans le passé, c'est l'humain qui devait compenser les éventuelles turbulences ; aujourd'hui, c'est l'avion qui les enregistre et les amoindrit ».

Pour la génération d'avions de 2025, l'ancien aviateur attend beaucoup de la technologie LiDAR, « une sorte de rayon laser qui voit les turbulences et les courants d'air montants et descendants devant l'avion, qui a été testé sur l'A340 ». « L'intérêt de cette technologie, c'est que l'avion voit la turbulence avant qu'elle survienne et la compense instantanément. Si bien qu'on aurait des avions sans aucune turbulence », espère-t-il.

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Commentaire 1
à écrit le 24/05/2024 à 9:13
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"pourquoi les avions traversent des turbulences extrêmes" et pourquoi les bateaux bougent parfois méchamment ? Quant on prend place sur ces engins il faut accepter le pire..

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