« 30% des industriels jouent le jeu de la transparence » (Dominique Schelcher, PDG de Système U)

ENTRETIEN - Pour le patron de l’enseigne, les lois Egalim fixant le cadre des négociations entre distributeurs et grandes entreprises sur les hausses et les baisses de prix auraient besoin d’être modifiées.
Dominique Schelcher.
Dominique Schelcher. (Crédits : © FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Les négociations commerciales viennent de s'achever. Quels en sont les résultats concrets chez U ?

DOMINIQUE SCHELCHER - En ce qui concerne les négociations avec les grandes entreprises, tout s'est vraiment joué lors des deux derniers jours avant la date limite. Les premières ont demandé moins de hausses que les secondes. Au total, les prix de près d'un quart des produits vendus dans nos magasins baisseront dans les trois mois

Dans quelles catégories ?

Parmi d'autres, les prix de produits à base de blé, des chips ou de certains cafés... L'essentiel est que cette spirale infernale de l'inflation, qui sévit depuis près de deux ans et s'est traduite par une envolée des étiquettes de 21 %, soit enfin enrayée. Mais les coûts de certaines matières premières continuent d'augmenter - le sucre, le cacao, l'huile d'olive... Tandis que les effets de hausse des tarifs de l'électricité et des salaires vont, eux, perdurer. On ne reviendra donc pas au niveau de prix en vigueur avant la guerre en Ukraine.

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Êtes-vous satisfait des lois Egalim ?

Non, car certaines dispositions ne fonctionnent pas à l'usage. Nous aimerions qu'elles puissent être modifiées : une plus grande transparence au bénéfice des revenus des agriculteurs serait nécessaire. Environ 30 % seulement des industriels jouent réellement le jeu de la transparence sur leurs tarifs. Les autres se contentent de fournir des certificats émis par des commissaires aux comptes, en se gardant bien de les détailler. Nous regrettons cette situation. Les hausses de prix demandées sont plus faciles à accepter si la transparence est vraiment respectée quant aux augmentations des matières premières agricoles. Dans le cas contraire, la confiance fait défaut.

Que faudrait-il changer ?

Les clauses d'indexation prévues par la loi en fonction des hausses ou des baisses des matières premières agricoles posent problème dans la pratique, puisque nous ne sommes pas d'accord sur les critères. De surcroît, certains contrats n'en comportent même pas... Le législateur doit fixer de nouvelles règles, en particulier pour les industriels. Nous proposons qu'elles s'inspirent des contrats tripartites signés pour nos produits sous marque de distributeur. Dans ce cas, les trois parties - agriculteurs, transformateurs et distributeurs - s'engagent ensemble, et le résultat est bien plus satisfaisant pour tous. Le processus est plus vertueux et son résultat s'en ressent. La durée des négociations pose également problème.

Pourquoi ?

Parce que fixer une date butoir dans un délai si court se révèle être un carcan qui nous enserre. Seuls les prix font l'objet de discussions, au détriment d'autres éléments importants. Il faudrait casser ce rythme, pour nous permettre de négocier toute l'année et avoir des discussions apaisées qui s'adapteraient à la conjoncture, économique ou climatique. Là encore, pour nos marques de distributeur, nous ne sommes pas confrontés à une date butoir : nous nous mettons d'accord en confiance sur un juste partage de la valeur entre producteurs, transformateurs et distributeurs. En fait, c'est le cadre de négociations avec les grandes marques qui dysfonctionne le plus aujourd'hui. Alors que la majorité des problèmes y est concentrée.

Lesquels ?

Une quarantaine de grands groupes ont une vision mondiale de leur activité et de leurs marques. Leur taille les protège, à tel point qu'elle rend même un éventuel déréférencement inefficace. Leurs prix diffèrent selon les pays pour un même produit, y compris à l'intérieur du marché européen. Pour un indice de prix 100 au niveau européen, on peut avoir 102 en Allemagne, moins de 100 en Espagne... mais 115 en France. De tels écarts ne sont pas supportables ! Nous aussi, nous souhaitons discuter à l'échelle de l'Union européenne. Et trouver des solutions européennes, un cadre précis, serait bénéfique pour tous. C'est le cas pour beaucoup de secteurs. Je ne vois pas pourquoi la grande distribution n'y aurait pas droit.

Le gouvernement et même le président de la République reprochent justement aux distributeurs de créer des centrales d'achat européennes pour contourner la loi. Est-ce votre cas ?

Pas du tout. Système U n'a pas créé ce partenariat dans le but de contourner les lois Egalim. Il s'agit en l'occurrence d'une alliance de coopératives et d'entreprises familiales, souvent leaders dans leurs pays respectifs, réunies autour du leader allemand Edeka, qui est lui-même une coopérative. Donc nous n'avons pas créé cette structure, mais nous l'avons rejointe pour être plus forts face à ces grands groupes. C'est ce qui nous permet de défendre le pouvoir d'achat de nos clients. N'oublions pas que plusieurs enseignes étrangères, dont Lidl, Aldi ou Action, se développent très rapidement en France, où ils vendent des produits achetés un peu partout en Europe. Ces enseignes ouvrent des centaines de magasins par an en France, sans être pourtant soumis aux mêmes contraintes réglementaires en matière d'achats. Cette différence de traitement est un vrai déséquilibre, dont on ne parle pas assez. Chez Système U, nous jouons le jeu. Mais il faut que les règles soient les mêmes pour tous les acteurs.

Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a récemment durci le ton en évoquant une multiplication de contrôles dans les magasins. Est-ce déjà le cas chez ceux de Système U ?

Nous étions déjà très contrôlés avant. Ce qui ne nous pose aucun problème, car nous respectons la loi. Des équipes de la DGCCRF opèrent en effet des vérifications, à notre siège de Rungis comme en magasins. Nous ne faisons actuellement pas l'objet d'injonctions à la suite de ces contrôles, alors qu'un certain nombre ont lieu régulièrement. Ce qui me gêne, c'est l'atmosphère dans laquelle ces contrôles s'effectuent. La grande distribution est clairement davantage visée que d'autres secteurs. Or, l'an dernier, en pleine poussée inflationniste, les distributeurs étaient sollicités pour aider à lutter contre la hausse des prix. Pendant la pandémie, nous avons été au premier rang pour maintenir l'accès aux produits essentiels, notamment alimentaires. Ces mouvements permanents de balancier, où le secteur se trouve tour à tour accusé ou salué, sont pénibles à vivre.

Certains de vos concurrents affichent les mesures prises par des industriels qui diminuent sans le dire la quantité de leurs produits. Et vous ?

Je suis contre cet affichage, non que je soutienne ce que j'appelle la « réduflation » - bien au contraire - mais parce que cela devrait être de la responsabilité des industriels. Pas de la nôtre.

Comment réagissent les consommateurs ?

Ils arbitrent nettement entre différentes familles de produits. Le poisson, la viande ou le fromage en sont victimes. Le panier moyen a légèrement baissé dans nos magasins. Les clients font leurs courses plus souvent, pour profiter des promotions. Les Français consomment globalement un peu moins qu'avant le début de l'inflation et je ne vois pas de retour en arrière pour l'instant. Une certaine sobriété s'installe dans la durée. En partie choisie, en partie subie. Aujourd'hui, un tiers des Français sont en précarité alimentaire. Et 16 % ne mangent pas à leur faim. Ces derniers ont, je pense, besoin d'aide.

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Commentaire 1
à écrit le 11/02/2024 à 11:31
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Il faut surtout obliger les acteurs- producteurs/ transformateurs et distributeurs à afficher l’ origine du produits et le prix payé à chaque étape après ke consommateur pourra faire son choix et sanctionner les abus … sinon ça sert à rien c est to...

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