Alimentation : « Il n'y a quasiment plus d'inflation sur les prix du bio » (Benoît Soury, Carrefour)

GRAND ENTRETIEN- Alors que la crise du bio est l'une des composantes de la crise agricole, Benoît Soury, directeur du marché Bio au sein du groupe Carrefour, explique à La Tribune que le groupe mise sur sa marque en propre et ses magasins spécialisés pour relancer les ventes.
Giulietta Gamberini
Benoît Soury, directeur marché Bio chez Carrefour.
Benoît Soury, directeur marché Bio chez Carrefour. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Le bio vient de traverser une crise historique. Comment se porte-t-il dans le groupe Carrefour ?

BENOÎT SOURY - Pour ce qui concerne les enseignes généralistes de Carrefour, c'est-à-dire Carrefour hypermarchés, supermarchés ou les magasins de proximité Carrefour City, la crise du bio n'est pas encore tout à fait derrière nous. Mais dans nos enseignes spécialisées, So.bio et Bio c' Bon, sur le deuxième semestre de 2023 et sur les trois premiers mois de 2024, la consommation a enregistré des résultats positifs. On va d'ailleurs recommencer à ouvrir des magasins : en Suisse, dans le Sud-Est, dans la banlieue de Toulouse...

S'agit-il de véritables augmentations des volumes vendus ? De combien?

Nous ne communiquons pas sur ces chiffres. Mais oui, les évolutions des volumes sont véritables, et non pas de simples artifices liés à l'évolution des prix. En 2023, en effet, l'inflation sur les produits bio, vendus en circuit spécialisé comme en grandes surfaces, a été moins forte que sur les produits conventionnels. Et depuis le quatrième trimestre 2023, il n'y a quasiment plus d'inflation sur les prix du bio.

Qu'est-ce qui explique la reprise dans les magasins spécialisés?

Lorsque le marché a traversé un moment difficile, nous avons décidé de ne pas baisser les bras. Nous avons notamment accentué la visibilité des prix accessibles, par exemple en communiquant sur la récente baisse des prix de plus de 300 produits, et sur l'élargissement, de 150 à 200 références, de nos sélections "Meilleurs prix" chez So.bio et "Mini Prix" chez Bio c' Bon. Cela a été très bien reçu.

Avant, la clientèle, avisée, des magasins bio spécialisés n'avait pas besoin d'être animée par une visibilité des promotions et des nouveautés. Maintenant, on se rend compte qu'on ne peut plus se passer de l'ensemble des outils et des dispositifs utilisés plus traditionnellement en grande distribution. Dans les magasins bio spécialisés aussi, il faut désormais motiver l'acte d'achat des consommateurs. On y est donc devenu plus commerçant, avec des cartes de fidélité, une visibilité sur internet, un affichage des meilleurs prix, un cycle promotionnel etc.

La bonne nouvelle, c'est que chez So.bio et Bio c' Bon on est prêt. On a activé ces leviers dès 2023. En 2024, on a décidé de les accentuer.

Qu'est-ce qu'il se passe dans vos enseignes généralistes : le bio y continue-t-il de souffrir ? Pourquoi ?

Oui, dans les enseignes généralistes, le bio souffre. Et plus le magasin est grand, plus sa souffrance est forte. Nous continuons de constater un recul d'activités du bio dans nos hypermarchés. Bien que moins fort, ce recul persiste aussi dans nos supermarchés, alors qu'on commence à retrouver des résultats positifs dans nos magasins de proximité dans les centres-villes.

Les raisons sont diverses. D'abord, puisque l'attractivité des hypermarchés se fonde surtout sur leurs prix, les premiers prix s'y sont fortement développés, et le bio est devenu moins attractif. On a notamment perdu une partie des clients occasionnels du bio.

En hypermarché, nous avons aussi réduit nos assortiments en 2023, de l'ordre de 10%. Enfin, les offres de produits d'agro-écologie, dont les cahiers des charges sont moins exigeants, mais qui sont moins chers que le bio, se sont beaucoup développées. Leur part dans le panier de nos consommateurs a augmenté.

Chez Carrefour, nous avons quand même aussi constaté une progression des ventes en volumes des produits à marque Carrefour bio, notre marque propre. Ils sont à peu près 1200 et représentent désormais plus de 50% de notre chiffre d'affaires bio en grande surface. Son accessibilité a donc aussi représenté un rempart vis-à-vis de la baisse globale de la consommation bio.

Les produits que vous vendez dans vos magasins spécialisés sont-ils plus exigeants que ceux de la marque Carrefour bio ?

Le cahier des charges pour disposer du logo bio, AB ou européen, est rigoureusement le même. Mais oui, les exigences peuvent être supérieures dans nos magasins spécialisés, en fonction des différentes gammes. Dans les cahiers des charges privés de chaque marque, on peut faire jouer énormément d'éléments de différence.

Qu'est-ce qui permet votre politique de bas prix dans le bio ? Malgré la baisse des cours de certaines matières premières, les producteurs et les transformateurs continuent en effet de faire valoir une augmentation globale de leurs coûts de production...

Chez nous, la réponse réside essentiellement dans les engagements contractuels pluriannuels que nous stipulons avec nos fournisseurs, qui permettent au monde de la production et de la transformation, comme à nous distributeurs, de bénéficier d'une meilleure visibilité, dont profitent finalement aussi les consommateurs.

Dans nos enseignes généralistes, cela passe essentiellement par la marque Carrefour bio, dont 100% des fruits, des légumes, du lait, des oeufs, de la viande et de la farine sont d'origine française. Les quelque 5 millions de consommateurs porteurs de la carte fidélité et consommateurs de bio sont en outre encouragés à se tourner vers des produits Carrefour bio grâce à une réduction de 10% sur tous leurs achats.

Dans nos magasins So.bio et Bio c' Bon, en revanche, nous avons choisi de n'avoir aucun produit à marque propre. Notre engagement, souvent pluriannuel, vis-à-vis des plus petits industriels, est donc que nos enseignes restent la vitrine du monde historique du bio. Nous voulons qu'elle soit le mieux représentée possible. C'est une grande différence vis-à-vis de tous nos concurrents, qui développent énormément de produits à marques propres.

Vous parlez d'engagements pluriannuels avec les industriels. Mais avec les marques nationales que vous vendez dans vos circuits, n'êtes-vous pas contraints par la loi à négocier annuellement ?

Si, mais notre état d'esprit avec nos fournisseurs est celui d'une très grande stabilité. Nous cherchons à développer avec eux des partenariats pour que leurs marques soient très significativement présentes dans nos linéaires et ne soient pas concurrencées par des produits à marque propre.

Les achats de nos enseignes bio spécialistes sont d'ailleurs tout à fait distincts de ceux de la grande distribution: les équipes dédiées aux négociations sont totalement différentes. Entre So.bio et Bio c' Bon d'une part et Carrefour de l'autre, il n'y a aucun point commun.

Comment se sont passées d'ailleurs les dernières négociations commerciales, qui se sont terminées fin janvier ? La crise agricole, et en particulier du bio, s'est-elle fait sentir?

Dans le bio, justement grâce à ces partenariats de long terme, les relations entre fournisseurs et distributeurs sont moins conflictuelles. Mais le changement d'époque se ressent. Jusqu'à il y a quelque temps, la demande était tellement supérieure à la production que les fournisseurs de produits bio pouvaient choisir à qui livrer leur marchandise. Le marché était en croissance de 15%. On est passé assez brutalement à un marché entre 0 et -3%, où la production dépasse la demande. Certaines productions ont dû être déclassées. Mais la chaîne a fini par s'adapter.

Pour cette réduction des prix, vous avez aussi pris sur vos marges?

Oui. Le principal obstacle à la consommation de produits bio reste leur niveau de prix. Donc, dès l'instant qu'on s'engage avec le monde de la production et le monde de la transformation, c'est important aussi que nous soyons capables de compresser nos marges sur un certain nombre de produits pour que l'accessibilité soit renforcée.

Il restera toujours un delta de prix entre le bio et le conventionnel. Mais nous considérons que c'est désormais notre responsabilité de réactiver la consommation de produits bio en général et dans nos magasins spécialisés en particulier.

Comment voyez vous l'avenir du bio ? Des prix qui valorisent moins les produits ne risquent-ils pas d'affecter le développement de la filière?

Je suis assez optimiste par rapport à cela. D'abord, on parle de crise du bio, mais il faut être réaliste: il s'agit d'un marché de près de 13 milliards d'euros en France, qui représente un peu plus de 5,5% de la consommation alimentaire en général.

En outre, les consommateurs restent persuadés du caractère essentiel du lien entre l'alimentation et la santé, ainsi que de celui entre l'alimentation et l'environnement. En 2022 et 2023, leur problème a surtout été celui du pouvoir d'achat. Mais les ressorts fondamentaux de la consommation bio en France vont perdurer.

Carrefour reste donc déterminé à défendre sa position de leader sur le bio. Nous avons vécu la crise du bio comme une étape, mais la volonté de l'entreprise de rester un acteur très important et très engagé sur le bio reste très puissante.

La reprise n'impliquera peut-être pas de nouveaux rythmes de croissance à deux chiffres comme pendant 20 ans avant, mais si la croissance revient, elle contribuera quand-même à la transformation de l'alimentation des Français, ainsi que de nos activités.

En 2020, lors du rachat des Bio c' Bon, Carrefour avait affiché l'ambition de réaliser 4,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires en produits bio en 2022, contre 2,3 milliards d'euros en 2019. Où en êtes-vous?

Nous ne communiquons pas sur ces chiffres. Il s'agissait d'une ambition de notre plan stratégique de 2018. Entretemps, le périmètre du groupe Carrefour a changé, car nous ne sommes plus présents dans certains pays. Nous ne connaissions en outre pas l'avènement de la crise due au Covid, qui a engendré un bouleversement considérable de nos activités.

Les attentes des consommateurs en matière d'alimentation saine ont évolué, et s'étendent aussi désormais aux circuits-courts, à l'approvisionnement local et aux produits d'agriculture durable. Nous nous sommes fixé de nouveaux objectifs pour accompagner ces évolutions et visons 8 milliards d'euros de ventes via des produits certifiés durables d'ici 2026.

Combien de magasins spécialisés avez-vous fermé à cause de la crise?

Nous gérons notre parc magasins dans son ensemble. Et alors qu'en 2019 nous n'avions aucun magasin, aujourd'hui, grâce à l'acquisition de So.Bio et de Bio c' Bon, nous en avons 140. Nous avons beaucoup développé l'enseigne So.Bio en lui apportant des magasins Carrefour Bio. Pour Bio c' Bon, nous avons acheté 100 magasins et il nous en reste 70.

Le soutien du gouvernement à la filière bio vous paraît-il suffisant?

Je commence d'abord par dire merci. Les moyens financiers que l'État français met en 2024 sur le bio sont substantiellement supérieurs à ceux de 2022 voire de 2019.

Toutefois, la principale façon de réenchanter de façon définitive le marché, c'est d'encourager la consommation. Tout ce qui va dans ce sens nourrit non seulement mon métier, mais aussi l'ensemble de la filière. Or, l'État a plutôt choisi de continuer à soutenir la transformation du monde agricole pour qu'il y ait plus de production. Si une telle approche d'urgence était peut-être nécessaire en temps de crise, elle ne transformera pas le secteur.

Cela ne présume toutefois pas de ce que fera l'Etat ou l'Europe dans quelques mois. Je souligne  d'ailleurs que le travail de l'Agence bio, en particulier sa communication autour du "bio-reflexe", va dans le bon sens. Elle a vu ses moyens renforcés, et c'est le bon axe.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 09/04/2024 à 19:33
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ben oui, vu ce que ca coute, si en plus ils creusent l'ecart...

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