Bienfaits des ferments : les start-ups bourguignonnes multiplient les innovations

SÉRIE D'ÉTÉ. ENQUÊTE SUR LA PRODUCTION DES PRODUITS FERMENTÉS EN BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ 3/3). La Bourgogne-Franche-Comté joue un rôle de précurseur grâce à un écosystème favorable dans l’alimentation du futur, où de nombreuses start-ups de la région s’emparent des bienfaits des ferments pour créer de nouveaux produits.
(Crédits : GOOD VIE)

En France, 37 % des consommateurs ne savent pas qu'ils consomment des aliments fermentés et le niveau de connaissance sur la fermentation (process et utilisation) reste faible et erroné. Pourtant, ils sont la base de notre alimentation française : pain, vin et fromage pour les plus connus. Aujourd'hui, l'éventail de fonctionnalités attendues par les industriels est immense.

« On croyait les connaitre car elles ont souvent été utilisées dans des contextes simples mais en réalité, il existe un arsenal de micro-organismes », avoue Laurent Beney, directeur du laboratoire de l'UMR PAM à Dijon. Les scientifiques s'intéressent à ces bactéries pour mieux comprendre ce que font tous ces micro-organismes qui participent à la fermentation d'un produit. « On soupçonne que c'est ce procédé qui crée la typicité de produits de terroir », poursuit-il. Si l'industrie des ferments est assez restreinte en termes de producteurs de ferments en France - certains grands groupes sont présents comme Lesaffre ou Dupont -, les industriels cherchent de plus en plus des typicités au niveau de leur produit. « Depuis quelques années, nous constatons une demande croissante des petits industriels qui produisent des produits fermentés et qui ont besoin d'identifier de nouvelles souches propres à leur terroir, un peu comme avec le vin », constate Nicolas Desroche, président de Nexidia, société spécialisée dans le domaine de la microbiologie, à Dijon.

Autre avantage des ferments : la conservation naturelle des aliments. Par exemple, la fermentation par des levures permet d'acidifier la pâte à pain et ainsi d'obtenir un aliment plus stable dans le temps. « Aujourd'hui, on essaye de réduire l'énergie qu'on utilise pour transformer les aliments dans un souci de maitrise du bilan carbone. La transformation par la fermentation présenterait des avantages sur ce plan par rapport aux procédés de pasteurisation qui nécessitent beaucoup de chaleur », précise Laurent Beney.

L'entreprise Atelier du fruit, créé en 2012 à Dijon, travaille sur le végétal, aussi bien avec des start-ups que des grandes multinationales. « Nous avons trois objectifs principaux : sublimer le goût pour donner des notes aromatiques, améliorer la qualité nutritionnelle des aliments en réduisant les sucres et le sel, et développer la bio préservation par la conservation naturelle des fruits et légumes », précise Alain Etievant, directeur général de l'Atelier du fruit. En octobre prochain, la start-up sort une nouvelle gamme de produits pour conserver les légumes et les fruits à la maison. « Mon Amie HAKKO » offrira une alternative innovante aux professionnels et aux particuliers qui fermentent ou souhaitent fermenter leurs fruits et légumes. Ce mix de ferments (sous forme de poudre dosée prête à l'emploi) permet une fermentation naturellement maîtrisée, avec un procédé exceptionnellement court (24 h) versus trois semaines en fermentation spontanée.

Des petites usines biologiques

Ces petites molécules produites par les ferments, qui ne sont pas présentes en grande quantité dans les produits, ont été négligées pendant longtemps. Aujourd'hui, les scientifiques soupçonnent qu'elles jouent un rôle très important pour la santé des organismes, comme c'est le cas pour les humains qui ingèrent les produits fermentés. « Les micro-organismes sont des petites usines biologiques qui fabriquent des vitamines ou des molécules  favorables à notre microbiote intestinal », note Laurent Beney.

Louis Baqué, co-fondateur de la start-up Good Vie à Dijon, travaille en partenariat avec Agrosup Dijon, en Recherche et Développement. Le jeune entrepreneur a conçu une boisson fermentée, végétale, 100% bio et naturelle pour améliorer l'immunité, tout en prenant du plaisir gustatif. Grâce à un nouveau procédé de fermentation, cette boisson réconcilie les bienfaits du kéfir et du kombucha sur la digestion et l'immunité, avec les saveurs des fruits. « L'innovation vient de notre savoir-faire. Nous avons sélectionné les ferments particuliers du kéfir, puis analysé la quantité de sucre nécessaire aux deux fruits pour bien déclencher la fermentation », explique Louis Baqué.

Les ferments participent aussi à une prédigestion des aliments. Ce qui pourrait répondre à un autre besoin pour la planète : consommer davantage de protéines végétales. En particulier pour les populations occidentales qui ont été dans l'excès, en consommant trop de protéines animales au détriment des protéines végétales. « L'idéal serait un équilibre entre les deux pour les rations quotidiennes », suggère Laurent Beney. Le problème des protéines végétales, c'est qu'elles sont peu digestes. « On consomme des protéines végétales pour protéger la planète mais vu l'énergie nécessaire pour les cuire, le bilan écologique n'est pas aussi positif qu'on le croit ! », souligne Laurent Beney. Face à ce défi, les ferments présentent un nouvel intérêt car ils produisent des enzymes qui facilitent la digestion, capables de transformer la matière végétale contenant des protéines.

Un atout dont s'est emparé Hervé Durand, fondateur de Kura de Bourgogne, start-up bourguignonne lancée en 2015. Son idée est de fabriquer des produits japonais "made in" Bourgogne (misos, sakés, bières ...). Son défi consiste à concocter des produits japonais en Bourgogne avec des ingrédients biologiques, aussi locaux que possible, en recourant à un procédé de fermentation issu du savoir-faire régional. « Il a fallu adapter les variétés de soja et de riz disponibles en France. Le climat étant différent du Japon, elles n'ont pas la même teneur en protéines », précise Hervé Durand. Les produits, fabriqués à Charolles, sont maturés dans leurs chais. La démarche permet de créer de l'emploi et de redynamiser un terroir local à l'aide de pratiques agricoles vertueuses. Le carnet de commandes est déjà plein pour 2021 avec Biocoop, leur partenaire de la première heure. « Comme nous n'importons pas le riz, nous n'avons pas de frontière, donc nul besoin de le pasteuriser. D'où son intérêt d'un point de vue nutritionnel. C'est un probiotique qui permet de conserver la flore microbiote », indique Hervé Durand.

Du préventif au thérapeutique

Une des grandes tendances actuelles est l'intérêt que suscitent les microorganismes dans d'autres secteurs que l'alimentaire, en particulier pour la santé, l'environnement et même la cosmétologie. « C'est très marquant ! On compte sur les ferments pour beaucoup de solutions », souligne Laurent Beney. Le champ des possibles est immense, même si la recherche a encore beaucoup à faire. Alain Etievant, directeur général de l'Atelier du fruit, le confirme: « Toutes les grandes sociétés de cosmétologies s'y intéressent de près. Nous avons d'ailleurs été contacté par l'une d'elles récemment. La cosméto food est en train de prendre une place sur le marché des ferments », constate-t-il.

Côté santé, Kura de Bourgogne, par exemple, fait partie du programme d'investissement d'avenir (PIA) via la métropole dijonnaise. Son miso probiotique présente des propriétés intéressantes pour les personnes en convalescence. « C'est un sujet que nous souhaitons creuser davantage », précise Hervé Durand. Pour les aspects environnementaux, les activités fermentées peuvent être utilisées pour dégrader des matières polluantes de l'environnement. « Il est possible de valoriser les parties fréquemment gaspillées ou mal utilisées de la matière agricole », assure Laurent Beney.

Ainsi, pour la production de blé, les graines de céréales sont valorisées mais le reste de la plante est jeté, alors que certains micro-organismes sont capables de dégrader les feuilles de certains végétaux par la fermentation, créant ainsi une nouvelle biomasse. « Nous sommes loin de connaitre la majorité des micro-organismes qui peuvent avoir des activités fermentaires, mais nous comptons sur cette richesse pour dépolluer les fleuves, l'eau, valoriser la biomasse pour faire le lien avec la filière de la méthanisation », conclut Laurent Beney. Finalement, les ferments n'ont pas fini de nous révéler leurs richesses...

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Retrouvez les autres articles de notre série :

1/3 La Bourgogne-Franche-Comté conjugue produits fermentés et alimentation du futur

2/3 Sécurité alimentaire : comment différencier les bons des mauvais micro-organismes

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Commentaires 3
à écrit le 13/08/2021 à 18:35
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Pour le pain, levure industrielle ou levain naturel ? Pour aller vite et faire de la "daube",: levure. Pour du vrai pain fermenté longtemps, qui a du goût, très digeste et qui se conserve : Levain, sans équivoque possible.

à écrit le 13/08/2021 à 15:58
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Ah les bienfaits des ferments, Nous les lapins qui sommes des adeptes furieux de la browin 403103 ne pouvons qu'acquiescer. Et c'est presque du bourguignon, c'est du polack.

à écrit le 13/08/2021 à 14:04
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La cuisine asiatique a la base du plus ancien produit de fermentation : le soja. Toutes les fermentations ne doivent pas être bonnes pour le corps à mon avis , par exemple ceux à base de lactose ?

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