Nous en consommons quotidiennement sans nous en rendre compte. Sous l'appellation E414, on la trouve dans les biscuits, les sodas, les bonbons, les aliments pour animaux ou encore dans les pâtes, les produits diététiques, la bière et même dans le vin dont elle préserve la couleur tout en évitant les dépôts. Elle, c'est la gomme d'acacia jadis dénommée gomme arabique : un ingrédient dont l'industrie agro-alimentaire ne sait plus se passer.
Il faut dire que cet additif naturel a des allures de couteau suisse. A la fois émulsifiant, agent de texture et stabilisant, il fixe la brillance des aliments, épaissit les sauces, améliore le moelleux des plats préparés, facilite l'extrusion, masque les arrière-goûts et permet de limiter l'utilisation de sucre. Parce qu'il est riche en fibres, on lui prête également des vertus sur la digestion. Il est en outre certifié casher, halal et « vegé » compatible.
Ces pépites méconnues du Sahel
A l'état naturel, cet exsudat de l'acacia sauvage se présente sous la forme de boules de couleur jaune pâle ou ambrée. L'aire de collecte est très localisée. Ces autres pépites du Sahel sont récoltées, depuis la nuit des temps, entre le Sénégal et l'Erythrée dans une zone connue sous le nom de ceinture de la gomme ou gum belt comme l'appelle les anglo-saxons.
Cette zone, l'entreprise Alland & Robert (86 millions de chiffre d'affaires) la connaît sur le bout des doigts. Depuis plus de 100 ans, c'est là que cette firme familiale vient se procurer la gomme avant de l'importer via le Havre puis de la transformer en poudre. « Notre activité fait vivre des millions de villageois avec qui notre famille a noué des accords, parfois depuis plusieurs générations », s'enorgueillit Charles Alland, directeur général et arrière petit-fils du fondateur.
Le doublé normand
Installée à Saint-Aubin-sur-Gaillon et Port-Mort dans l'Eure, sa société se partage avec le groupe rouennais Nexira, fondé en 1895, les deux tiers du marché mondial du E414. Question de géopolitique, souligne Charles Alland. « C'est la présence du port du Havre et nos liens historiques avec l'Afrique qui expliquent le développement de ce savoir-faire ». Question d'antériorité aussi. « Nous avons 125 ans d'expérience dans le sourcing, cela compte », fait valoir, de son côté, Mathieu Dondain, directeur général de Nexira (152 millions de chiffre d'affaires) dont la famille est aux commandes depuis plus d'un siècle.
De facto. Comme pour le café, une « route de la gomme » a perduré au fil du temps. Perduré et même prospéré car depuis quelques décennies, l'adjuvant gagne du galon face à ces équivalents synthétiques, porté par la percée des régimes flexitariens et végétariens. « Les exportations de gomme arabique non transformée et semi-transformée ont presque triplé au cours des vingt-cinq dernières années, passant d'une moyenne annuelle de 35.000 tonnes en 1992-1994 à 102.000 tonnes en 2014-2016 », chiffrait ainsi la CNUCED dès 2018.
Plus vite, plus haut, plus fort
Depuis, l'engouement ne semble pas se démentir. « L'appétence des consommateurs pour les ingrédients végétaux et naturels et l'apparition de nouveaux acteurs de l'agro-alimentaire stimulent la demande », constate Mathieu Dondain. Les fabricants de substituts de viande, par exemple, utilisent beaucoup de la gomme d'acacia « parce qu'elle apporte de la cohésion et du moelleux aux recettes tout en facilitant la rétention d'eau », observe, pour sa part, Isabelle Jaouen, directrice R&D d'Alland & Robert..
Ce regain d'intérêt pour le E414 conduit les deux champions normands à investir à tour de bras. Nexira a injecté 10 millions d'euros, entre 2021 et 2022, pour augmenter de 20% la capacité de son usine de Serqueux en Seine-Maritime. Laquelle se monte désormais à 35.000 tonnes par an. De son côté, Alland & Robert vient d'inaugurer une nouvelle unité de transformation à Saint Aubin-sur-Gaillon dont le coût est chiffré à 14 millions d'euros. A la clef, une hausse de 50% de la capacité de production portée à 30.000 tonnes. Ce qui s'appelle mettre la gomme.
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