Eau : l'irrigation agricole, un défi croissant pour la France

Une nouvelle étude de France Stratégie constate une augmentation généralisée des surfaces agricoles équipées en irrigation en France. L'irrigation représente ainsi l'un des facteurs de la possible croissance de la demande locale en eau dans les années à venir, alors que la ressource baisse, estime le service du Premier ministre.
Giulietta Gamberini
Cette augmentation est due non seulement au changement climatique, mais aussi à des demandes du marché: notamment à celle industrielle de pommes de terres avec un calibrage spécifique, qui exige davantage d'eau.
Cette augmentation est due non seulement au changement climatique, mais aussi à des demandes du marché: notamment à celle industrielle de pommes de terres avec un calibrage spécifique, qui exige davantage d'eau. (Crédits : Reuters)

Entre 2010 et 2020, en France, les surfaces agricoles équipées en irrigation ont crû en moyenne de 23%. Et si cette augmentation a concerné tous les bassins versants, dans certains, comme la Corse et l'Artois-Picardie, elle a même atteint, respectivement, 49% et 78%. C'est l'un des constats ayant le plus étonné les équipes de France Stratégie lors de l'élaboration d'une note sur les prélèvements et les consommations d'eau publiée le 18 avril, étape préliminaire d'un travail prospectif plus vaste dû pour fin 2024 et visant à anticiper les conflits d'usage autour de l'eau.

Autre surprise : selon France Stratégie, qui explique avoir utilisé les données sur les surfaces équipées afin d'« évaluer l'évolution de l'irrigation indépendamment des variations interannuelles liées aux conditions météorologiques », cette augmentation est due non seulement au changement climatique, mais aussi à des demandes du marché. Ainsi, en Artois-Picardie, où l'irrigation était jusqu'à présent peu développée, sa progression dépend de celle de la culture de pommes de terre et de légumes destinés à l'industrie, qui exigent des calibrages précis exigeant plus d'eau, souligne le service du Premier ministre. La vigne, traditionnellement peu irriguée, l'est aussi de plus en plus pour mieux piloter le taux d'alcool et les qualités organoleptiques du vin, note encore le rapport.

« Les surfaces irriguées le sont d'abord pour des produits exportés, qu'ils soient à usage d'alimentation animale ou humaine (34 % des surfaces irriguées). Viennent ensuite la production d'aliments pour les animaux (28 %) puis celle pour les humains (26 %) », note encore l'étude. Si on raisonne en volumes d'eau, « les volumes prélevés se font peu ou prou à parts égales (environ 30 % chacun) entre alimentation humaine, alimentation animale et exportations », ajoute France Stratégie.

Les prélèvements agricoles dus en quasi-totalité à l'irrigation

Bien qu'en 2020 les surfaces irriguées ne représentent en France métropolitaine que 2,8 millions d'hectares, sur 26,9 millions d'hectares de superficie agricole utile, les prélèvements agricoles d'eau sont en quasi-totalité dus à l'irrigation, rappelle France Stratégie. En 2020, ils ont représenté 3,3 milliards de mètres cubes, soit 11 % des prélèvements totaux dans l'Hexagone, et 1.900 mètres cubes par hectare de surface irriguée. 58 % venaient des eaux de surface, et 42 % des eaux souterraines.

Quant à la consommation, c'est-à-dire la part des prélèvements qui ne sont pas restitués immédiatement au milieu naturel, elle varie sensiblement selon le système d'irrigation utilisé: alors que la micro-irrigation, du fait de son efficacité, consomme presque toute l'eau prélevée, qui est incorporée par les plantes ou évaporée, dans l'irrigation gravitaire entre 40 % à 80 % de l'eau prélevée rejoint la nappe. Dans le cas de l'irrigation par aspersion, selon France Stratégie, 10 % de l'eau prélevée est restituée au milieu.

Globalement, l'agriculture représente plus de 60 % de l'eau consommée en France métropolitaine. Et la consommation d'eau est particulièrement élevée dans les bassins versants les plus irrigués: l'Adour-Garonne, le Rhône-Méditerranée et la Loire-Bretagne.

Un milliard de cubes d'eau évaporée des retenues

L'irrigation représente ainsi l'un des facteurs de la possible croissance de la demande locale en eau dans les années à venir, dans un contexte où la ressource disponible a déjà baissé de 14% en 15 ans, estime France Stratégie. Et ce alors que la consommation agricole d'eau présente une particularité qui complique la donne : elle se concentre en juin et août, justement la période pendant laquelle la ressource est moins importante et est sans doute encore destinée à se dégrader dans l'ensemble du territoire.

Mais alors que les agriculteurs et le ministère de l'Agriculture insistent pour cette raison sur la nécessité du stockage de l'eau, l'étude semble en relativiser l'efficacité : les nombreux ouvrages de stockage d'eau français, dont une partie destinés à l'agriculture, consomment en effet eux-mêmes 1 milliard de mètres cubes par an, selon France Stratégie. Un calcul inédit qui ne peut toutefois pas être davantage détaillé, puisque les données satellitaires disponibles ne permettent pas encore de distinguer les diverses retenues et les différents usages, explique le service du Premier ministre.

Une sobriété à l'hectare pour l'agriculture

« Un effort de sobriété sera nécessaire pour tous les secteurs, différent selon les territoires et les saisons », y compris pour l'agriculture, en conclut France Stratégie.

Toutefois, après la présentation par l'exécutif de son plan eau en mars 2023, censé réduire globalement en France de 10 % l'eau prélevée d'ici à 2030, le ministère de l'Agriculture a promis aux agriculteurs un régime particulier. Pour le secteur, on vise plutôt une réduction de la consommation d'eau à l'hectare. Les surfaces irriguées pourront donc continuer d'augmenter.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 7
à écrit le 20/04/2024 à 9:07
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Nous autres locaux sommes témoins réguliers des aberrations liés au gaspillage de l'eau par la FNSEA. Plus de gaspillage d'eau, plus d’empoisonnement des humains et de la nature, plus de vie détruite voilà pourquoi avance l'engeance agro-industrielle...

le 20/04/2024 à 10:34
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Il est certain qu’au Sahara, ils n’ont pas ce genre de problèmes !! Il faut peut-être envisager d’aller s’y établir pour échapper à « l’engeance agro-industrielle » !!

à écrit le 19/04/2024 à 22:23
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L'eau n'est pas le problème essentiel.C'est comme vecteur de dissémination de la pollution qu'elle pose le plus gros problème en terme de santé publique. Le lessivage des sols entraîne des centaines de milliers de molécules chimiques, de pesticide...

le 20/04/2024 à 14:19
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"dont le nombre et la variété sont en progression logarithmique" bigre, vous avez des chiffres ? On en soigne de plus en plus, de cancers. L'augmentation du nombre de cancers chez les jeunes c'est un biais analytique, ça arrive les biais (et ça fauss...

à écrit le 19/04/2024 à 15:58
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Quand les agriculteurs paieront l'eau comme tout le monde, ils ne la gaspilleront pas, et ne planteront plus du maïs ou des plantes nécessitant beaucoup d'eau.

le 19/04/2024 à 17:42
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Du sorgho par exemple et au-delà mieux gérer la consommation plutôt que d'arroser sans discernement comme cela existe déjà en installant des sondes dans la terre qui mesurent les besoins réels et régulent les débits en conséquence .

le 20/04/2024 à 14:26
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Le maïs consomme autant d'eau que le blé mais pas au bon moment. J'ai fait des crêpes avec de la farine de sorgho (en mélange avec d'autres farines) ça 'marche' bien. Certains font du maïs pour donner à leurs animaux (j'ai essayé une fois du poulet...

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