Avoir dépassé sans incidents majeurs le Congrès annuel de la FNSEA a été un grand soulagement pour le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau. Depuis, afin de maintenir le calme, le gouvernement s'affaire à continuer de mettre en œuvre les « mesures en faveur des agriculteurs », promises en réponse à la crise. Un nouveau suivi a d'ailleurs été publié par le ministère de l'Agriculture jeudi.
Après la présentation en Conseil des ministres du tant attendu projet de loi d'orientation la semaine passée, plusieurs autres promesses ont enregistré des avancées. Lundi dernier, une proposition de loi sur les conflits de voisinage, protégeant davantage les agriculteurs, a été définitivement adoptée par l'Assemblée nationale. Le lendemain, un décret relatif au développement de l'agrivoltaïsme, perdu depuis longtemps dans les tiroirs de l'administration, a fini par être publié au Journal officiel.
Le 10 avril, un autre décret attendu par les agriculteurs, prolongeant la durée de validité des certificats leur permettant d'utiliser, vendre ou acheter des produits phytosanitaires, est également paru. Et le Parlement européen a, enfin, approuvé, jeudi dernier, une procédure d'urgence lui permettant de revoir la Politique agricole commune (PAC). Une modification fortement soutenue par Paris.
Les céréales toujours soumises à la concurrence ukrainienne
Toutefois, alors que l'incertitude continue de planer sur la date du rendez-vous promis par le président de la République aux syndicats agricoles depuis le 24 février - jour d'ouverture du Salon international de l'agriculture -, l'entrain affiché par le gouvernement vis-à-vis des agriculteurs vient de se heurter à de nombreux obstacles. Certains, plutôt prévisibles, rappellent l'existence de préoccupations en tension avec les intérêts immédiats du monde agricole qui, dans l'urgence, avaient été ignorées.
Au niveau européen notamment, la France n'est pas parvenue à obtenir l'inclusion du blé et de l'orge dans l'accord conclu le 8 avril, prévoyant des restrictions à l'exemption de droits de douane sur les importations agricoles venant d'Ukraine. Une décision motivée par des considérations géopolitiques, mais « incompréhensible », estime le président de l'Association des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), Eric Thirouin. Résultat, ce dernier a demandé une « rencontre en urgence » avec Emmanuel Macron.
Cette « situation intenable (...) pourrait aboutir à de nouvelles mobilisations agricoles sur les territoires », a-t-il menacé.
Cet échec diplomatique de Paris à Bruxelles vient d'ailleurs s'ajouter à un autre datant de début mars, dus à des enjeux politiques : l'adoption par le Parlement européen d'un texte restreignant les émissions polluantes d'un nombre accru d'élevages de porcs et volailles, malgré l'avis contraire du ministère de l'Agriculture français.
Le gouvernement face à ses contradictions
En France, la faiblesse de la majorité présidentielle au Parlement est désormais source de tribulations aussi en matière agricole. Le renvoi du projet de loi d'orientation devant le Conseil constitutionnel brouille son agenda législatif. L'inscription du texte à l'ordre du jour de la chambre basse a en effet dû être suspendue pendant 8 jours.
L'adoption en première lecture par l'Assemblée nationale, le 4 avril, d'une proposition de loi écologiste en faveur de prix planchers pour les agriculteurs a aussi mis le gouvernement et la majorité, qui s'y opposaient, devant leurs contradictions. A la surprise de tout le monde, lors de son inauguration chahutée du Salon de l'agriculture, Emmanuel Macron avait en effet lui-même fixé un objectif de « prix planchers ».
Une idée toutefois immédiatement réfutée par les deux syndicats agricoles majoritaires, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs. Depuis, l'exécutif a donc expliqué miser plutôt sur une évaluation, et éventuellement, un renforcement des lois dites Egalim - censées améliorer la prise en compte des coûts de production des agriculteurs - confiée à des parlementaires et attendue pour juin.
Mais dans le cadre d'un rapprochement inédit, les trois syndicats agricoles minoritaires (la Coordination rurale, plutôt de droite, ainsi que la Confédération paysanne et le Mouvement de défense des exploitants familiaux, plutôt de gauche) ont signé ensemble le 9 avril une lettre ouverte au président de la République, l'appelant à mettre en place de tels prix. Ils les présentent comme la « condition n°1 » « pour sortir durablement de la crise agricole ».
Le Haut Conseil pour le climat inquiet
Pour sa part, le Haut Conseil pour le climat, instance consultative indépendante créée en 2018 auprès du Premier ministre, a écrit à Matignon le 4 avril en soulignant que « les annonces récentes en la matière (agricole, ndlr) font craindre un recul de l'ambition climatique de l'action publique portant sur le système alimentaire ». Il s'inquiète du retard de plusieurs politiques comportant des volets agricoles, dont la 3e stratégie nationale bas carbone et le 3e plan national d'adaptation.
Sur LinkedIn, le Secrétaire général à la planification écologique, Antoine Pellion, a rappelé l'importance, en termes de souveraineté alimentaire, d'enjeux écologiques négligés par le projet de loi du gouvernement, tels que la limitation de la dépendance française des engrais de synthèse.
Les juges mettent enfin aussi des cailloux dans les chaussures du gouvernement. Le 10 avril, le Conseil d'État a en effet suspendu en urgence un décret, adopté fin février pour apaiser les agriculteurs, qui interdisait aux fabricants d'alternatives végétales à la viande d'utiliser des mots comme « steak » ou « jambon ».
Un décret précédent poursuivant la même finalité avait déjà été suspendu par la même juridiction en 2022. Le juge administratif attend une décision sur le fond de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur la question de savoir si un État membre peut « adopter des mesures nationales réglementant ou interdisant ce type de dénominations », qui tarde.
Une attente encore « extrêmement forte »
Entretemps, cependant, les syndicats agricoles majoritaires non seulement maintiennent, mais accroissent leurs revendications et leur pression sur l'exécutif. Interrogé mercredi dernier par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a souhaité que le projet de loi d'orientation agricole soit encore « étoffé » par le Parlement de mesures allégeant la fiscalité des exploitants et leur permettant de gagner en « compétitivité ».
Il préférerait que « la complétude des sujets » soit abordée par cette loi, alors que le gouvernement compte renvoyer les questions des revenus, des pesticides et de la fiscalité à des textes ultérieurs.
« L'attente est extrêmement forte et (...) personne ne doit considérer que parce que nous ne sommes plus au milieu des autoroutes [pour les bloquer], le problème est réglé », a une nouvelle fois mis en garde Arnaud Rousseau.
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