« On consomme moins mais mieux » (Alexandre Ricard, PDG de Pernod Ricard)

ENTRETIEN - Pour le dirigeant du groupe familial depuis 2015, le marché se normalise après des années d’euphorie.
Marie-Pierre Gröndahl
Alexandre Ricard, mercredi au siège parisien de l’entreprise.
Alexandre Ricard, mercredi au siège parisien de l’entreprise. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI pour La Tribune Dimanche)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Les derniers résultats semestriels du groupe s'affichent en baisse. Pourquoi ?

ALEXANDRE RICARD - Tout simplement parce qu'ils reflètent une phase de normalisation de notre industrie, après trois années d'un « supercycle » en réaction aux restrictions en vigueur pendant la pandémie. Notre secteur a connu une période très faste, du second semestre de 2020 au premier de 2023. Dans le monde entier, une revenge conviviality - une sorte de revanche postconfinements autour de fêtes et de retrouvailles - a dopé les ventes de vins et de spiritueux. Aujourd'hui, le cours habituel de la vie reprend. D'où une baisse de 3 % de notre chiffre d'affaires et du résultat opérationnel.

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Cette normalisation touche-t-elle à sa fin ?

Cela dépend des régions du monde. Aux États-Unis, par exemple, elle perdure encore. Les taux de croissance du marché restent très bas, mais les ventes y avaient été supérieures à celles du reste du monde entre 2020 et 2023, d'où cet apparent décalage. Malgré la croissance économique du pays, d'autres facteurs entrent aussi en ligne de compte, en premier lieu l'augmentation massive des taux d'intérêt. Elle pèse sur les coûts des grossistes et des points de vente où les stocks diminuent, parfois même jusqu'à frôler la rupture.

Combien de temps cette phase va-t-elle durer ?

Les avis divergent, mais probablement entre six et douze mois. Car les ménages aux États-Unis subissent également les effets de la hausse des taux via les intérêts de leurs dépenses effectuées par carte de crédit. Leur consommation s'ajuste en
proportion.

Les ventes baissent également en Chine ?

Oui, en particulier pour les produits haut de gamme comme le cognac. L'économie ralentit significativement, la croissance est à la peine, le chômage augmente, notamment celui des jeunes. Et l'immobilier subit une crise majeure. Cet environnement plus difficile qu'anticipé sape la confiance des clients, qui préfèrent épargner plutôt que dépenser. Mais cela reste passager. En outre, un nouveau canal de consommation émerge en Chine: les live venues. À la différence des boîtes de nuit et des karaokés, où l'on achète des bouteilles assez chères, on y boit plutôt des verres de vin ou de spiritueux plus abordables. Mais le reste de l'Asie se porte très bien, en particulier en Inde, où la montée en gamme se poursuit en parallèle d'une croissance forte.

"Nous avons été les premiers dans le secteur à supprimer le plastique à usage unique"

Et en Europe ?

En Europe de l'Est et centrale, nous enregistrons de très belles performances, hors Russie, bien sûr, puisque nous nous sommes retirés du marché. L'Europe de l'Ouest fait preuve d'une bonne résilience, à la suite de deux années de records touristiques en 2021 et 2022. L'Afrique se porte très bien. Globalement, après un premier semestre compliqué, le second devrait être plus favorable. Nous pensons finir l'année avec un chiffre d'affaires stable, après une augmentation à deux chiffres lors des trois années précédentes. Ce qui prouve la résilience du modèle de Pernod Ricard face à un contexte difficile. À l'équilibre géographique correspond celui de notre portefeuille, où une bouteille d'entrée de gamme se vend aux environs de 5 euros en Inde, quand le prix de notre dame-jeanne de cognac la plus chère atteint 1 million d'euros. Mais notre cœur de métier se situe autour d'étiquettes entre 20 et 40 euros.

Où en sont vos projets de décarbonation ?

Nous possédons une trentaine de distilleries dans le monde et elles seront toutes décarbonées, grâce à une technologie de récupération de la chaleur, baptisée « MVR ». Les nouvelles le seront dès leur inauguration. Mais nous travaillons aussi sur l'agriculture régénératrice et sur les emballages, y compris le verre. En Inde, nous avons choisi de bannir le carton pour les bouteilles de whisky. Nous avons été les premiers dans le secteur à supprimer le plastique à usage unique. Le développement responsable va de pair avec nos activités, puisque l'intégralité des produits utilisés provient de la nature, des raisins au maïs, de la badiane à la pomme de terre. Et l'eau est au cœur de nos métiers. Pour réussir la transition écologique, tout repose sur l'équilibre et l'accompagnement des démarches.

Comment évolue la consommation ?

La tendance de fond s'articule autour du « moins mais mieux ». Moins de volume, plus de valeur. En France, les volumes d'alcool, toutes catégories confondues, ont baissé de 60 % en soixante ans, de 12,5 % depuis cinq ans. Le changement est indéniable, tant dans le choix des catégories de produits que dans la manière de les consommer : la pratique du binge drinking continue de baisser et c'est tant mieux.

Les ventes de produits sans alcool sont-elles en hausse ?

Elles augmentent, mais cela reste un marché de petite taille - moins de 2 % du chiffre d'affaires du groupe. La demande de cocktails miroir, qui imitent les originaux mais sans alcool, croît plus vite que la moyenne dans ce segment.

Pourquoi lancer une campagne sur le thème de la consommation responsable ? N'est-ce pas un peu hypocrite ?

Nous sommes régulièrement critiqués, quelles que soient nos initiatives... Cette campagne, dont le slogan est « Drink more water », s'adresse en priorité aux jeunes. Conçue par l'agence Buzzman, elle est faite pour inciter les jeunes à réfléchir à leur consommation. Les vins et spiritueux existent sous une forme ou une autre depuis quinze mille ans. Consommés de façon raisonnée, ils ne posent pas de problème. Comme dans une multitude de domaines, les excès sont nuisibles. La convivialité ne doit pas être synonyme d'abus.

Marie-Pierre Gröndahl

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Commentaire 1
à écrit le 24/03/2024 à 10:16
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Je sais pas faut demander aux CRS... ^^

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